Nombreux sont les critiques à avoir pointé l’état de crise de la narratrice dans La chair décevante de Jovette Bernier (Allard, 1986; Rannaud, 2018; Saint-Martin, [1999] 2017). Les stratégies narratives traduisant le déchirement de Didi, entre ses valeurs propres et celles, traditionnelles, de la société catholique, ont insufflé une modernité au roman québécois (Allard 1986). Selon Allard et Rannaud, la multiplication de vides dans le discours narratif (phrases hachurée, sans verbes ou incomplètes, points de suspensions) illustrent un vacillement entre le respect des traditions et l’exploration de désirs modernes. Or cette poétique du manque s’étend à la temporalité (dates incomplètes, ellipses, chronologie décousue) dans l’œuvre. Nous proposons d’y analyser l’expérience temporelle fictive (Ricœur, 1984) et ainsi déterminer si et comment s’inscrit le clivage entre Didi et son présent recelant de valeurs traditionnelles.
ALLARD, Jacques (1986), « La novation dans la narrativité romanesque au Québec (1900-1960) », dans Lamonde et Trépanier (dir.), L’avènement de la modernité culturelle au Québec, Québec, IQRC, p.43-68.
RANNAUD, Adrien (2018), De l’amour et de l’audace. Femmes et roman au Québec dans les années 1930, Montréal, PUM, 328 p.
RICOEUR, Paul (1984), Temps et Récit. La configuration dans le récit de fiction, Paris, Seuil, 298 p.
SAINT-MARTIN, Lori ([1999] 2017), Le nom de la mère. Mères, filles et écriture dans la littérature québécoise au féminin, Montréal, Alias, 438 p.