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Il existe un conflit irréductible entre les deux sphères hétérogènes que sont la philosophie et la politique, ce qui amène le philosophe à se questionner sur la manière de se comporter dans une communauté sociale. En fait, trois postures s’offrent à lui. Le philosophe trouve une place dans le monde politique soit 1) en forçant ses interlocuteurs à remettre en question le donné (incitation à la conversion philosophique) ; soit 2) en faisant passer sa philosophie pour une opinion (participation au jeu des apparences pour parvenir à ses fins) ; soit 3) en prenant ses distances (philosophie en retrait). La pensée de Jean-Jacques Rousseau est le chantier idéal pour illustrer et mettre à l’épreuve ces postures intellectuelles. Cet auteur du XVIIIe siècle pratique à la fois la philosophie engagée en dénonçant les absurdités de l’ordre politique (Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes), la philosophie rusée en employant la ruse et les subtilités afin de parvenir à ses fins (Contrat social, Émile, La Nouvelle Héloïse) et la philosophie en retrait en choisissant parfois de se tourner vers lui-même comme pour éviter de s’attirer les foudres publiques (Rêveries du promeneur solitaire et Confessions). Plutôt que de voir Rousseau comme un auteur peu cohérent qui semble souffrir d’un dédoublement, voire d’un détriplement, de personnalité, il convient de l’aborder comme un penseur qui possède la souplesse d’adopter le ton philosophique qui convient.

Niranjana décrit l’idéologie comme une « confusion  de la linguistique avec la réalité naturelle » (de Man in Niranjana 1992, 171). Slavoj Žižek la définit comme un « fantasme inconscient qui structure la réalité sociale » (García et Sánchez 2008). Le « projet scientifique occidental » actuel et sa modernité sont une grossière « simplification » et une « mutilation » de la réalité (Marais 2014, 19), un fantasme, une idéologie. L’État moderne, les prétendues démocraties libérales et la modernité occidentales sont idéologiques. Essentiellement, nous tenterons, dans notre communication, de remettre en question les visions du monde hégémoniques qui construisent notre discipline et le projet impérialiste sur lequel la traductologie repose.

Plus précisément, nous chercherons à définir ou à esquisser les contours de possibles définitions de la traductologie de la libération. Nous nous appuierons sur les concepts de radicalisation et de déterritorialisation (Deleuze et Guattari 1980) dans une démarche d’épistémologie politique (Latour 2005, 249) et d’internationalisation de la traductologie, discipline qui se fera, par al même occasion, cheval de Troie au sein du projet hégémonique occidental. Nous nous inspirons aussi du concept de « zone autonome temporaire » (Bey 1985) et de formes de savoir non-rationnel, non-occidental des traditions ésotériques et mystiques, qui constitueraient une « histoire intellectuelle cachée de l’Occident » (Wilson 2018). 

La contribution de la pensée de George Herbert Mead a été largement négligée comparativement au traitement qu’ont reçu les correspondances et les écrits des autres auteurs classiques du pragmatisme américain. Cela a notamment eu pour effet de nous priver d’une compréhension plus riche de l’influence de l’idéalisme allemand dans le développement du pragmatisme (Hannan, 2008), phénomène que Gérard Deledalle décrivait comme « la fusion de l’idéalisme hégélien et de l’évolutionnisme darwinien ». (Deledalle, 1983, p.107). Notre objectif est de discerner et de circonscrire l’influence d’Hegel et de Kant dans la pensée de Mead tout en y posant un regard critique. Dans un premier temps, nous mettrons en lumière l’intégration de l’intersubjectivité et la dialectique d’Hegel de la part de Mead à l’intérieur même de sa conception du naturalisme et de sa méthode expérimentale (Carreira da Silva, 2007). Nous observerons ensuite comment la pensée holiste de Mead s’articulera avec l’universalisme kantien : le projet social de cette « dialectique naturaliste » doit conduire à la création d’une communauté communicative universelle. Nous terminerons ainsi ce parcours en proposant une critique sur les limites de la rationalité et de la dialectique à réconcilier les divergences et les conflits d’intérêts. Nous proposerons comme solution une intégration du pluralisme de William James, lequel vise davantage l’inclusion des différences et des tensions que de leurs résolutions (James, 1891).

Le présent est-il condamné à vivre dans l’ombre du passé ? Souvenons-nous de la polémique suscitée en février 2017 par Emmanuel Macron qui, en visite en Algérie, a qualifié la colonisation de « crime contre l’humanité », propos jugés « indignes » par certains de ses opposants. Cet exemple illustre la dimension politique et idéologique de notre interprétation des événements historiques que les romans à l’étude, Volkswagen Blues de J. Poulin (1984) et L’Amour, la fantasia d’A. Djebar (1985), entreprennent de dénoncer.

Les protagonistes des deux romans posent ainsi les bases d'une nouvelle démarche historiographique qui tient autant du soupçon vis-à-vis l’Histoire qu’elles cherchent à déconstruire que de la filiation, ces dernières s’inscrivant dans cette même Histoire (de Certeau). Au(x) il(s) masculins de l’Histoire officielle fait écho un je féminin hybride dont la subjectivité permet de remettre en cause un discours présenté comme objectif (White).

Si l'Histoire est comparée à une « grotte-tombe » chez Djebar, elle est « fosse commune » chez Poulin, la narration ayant valeur de pèlerinage. Sa réévaluation doit entraîner une redéfinition politique (autre version de l’Histoire), sociologique (donner une voix aux souffrances des Amérindiens et des Algériens), culturel (remettre en cause l'hégémonie du discours occidental, notamment le rêve américain et la mission civilisatrice de la France), mais aussi identitaire, l’excavation des moi passés devenant exploration du moi présent.

La « révolution numérique » a causé nombre de bouleversements dans l’industrie cinématographique, d’abord pour les manières de faire des techniciens, mais également pour l’ensemble de l’organisation du travail dont la nouvelle répartition des tâches a affecté toute la chaîne des métiers. Réciproquement, les technologies numériques se sont vues façonnées par les mutations dont elles ont été elles-mêmes, à l’origine, prises dans une histoire collective implicite et riches de circulations et d’hybridations.

Pour mettre les innovations technologiques au service de pratiques improvisées propres à son mode de réalisation, Abdellatif Kechiche bouscule les habitudes de production, établissant ses propres conditions et temporalités de travail, jusqu’à parfois jouer avec le cadre légal. L’organisation du travail spécialement aménagée par le cinéaste révèle comment les structures socioéconomiques de production jouent un rôle essentiel dans le développement de l’innovation technologique et leur pratique.

Les résultats finaux présentés au cours de la présente communication reposent sur une reconstitution de la méthode d’Abdellatif Kechiche à partir de 46 entretiens avec ses collaborateurs et plus de 200 archives. Par la manière dont il problématise la technique par l’entremise d’un regard historique, technico-professionnel et socioculturel, ce projet de recherche participe au vaste projet historiographique actuel autour des techniques et technologies du cinéma à l’ère du numérique.

Impression III (Concert) est un tableau de Vassily Kandinsky peint en 1911 et désormais conservé à la Lenbachhaus de Munich. Cette peinture, au bord de l’abstraction, représente la première confrontation de l’artiste avec la musique atonale d’Arnold Schönberg lors d’un concert à Munich le 2 janvier 1911. Alors que l’abstraction picturale et la musique atonale ont été largement étudiées dans le milieu universitaire, je propose ici un examen minutieux du tableau de Kandinsky et de deux esquisses préparatoires (Musée national d’Art moderne, Paris) que je rapproche des morceaux joués lors de cette soirée décisive pour l’amitié entre les deux artistes. À l’aide d’études portant sur la réception psychologique de l’atonalité (Fred Lerdahl et Ray Jackendoff, 1983 ; Michel Imberty, 1993), d’articles du début du XXe siècle témoignant de la perception de l’œuvre de Schönberg sur le public de l’époque, et des théories de la mémoire musicale (W. Jay Dowling, Barbara Tillamm et Dan F. Ayers, 2001), je postule que le concert de janvier 1902 n’est pas à proprement parler le sujet d’Impression III (Concert). Cette œuvre relève précisément de la perception sensorielle que Kandinsky en a eu et des souvenirs qu’il en a gardé. Ainsi, dans une perspective de synthèse des arts, la transcription picturale de l’atonalité de Schönberg s’ancre dans une dimension profondément intime et personnelle.

Julien d’Abrigeon est un auteur, poète et performeur français. La vidéo de son poème-action intitulé «Fast fantrasque du temps passant» (2013) servira de point de départ pour réfléchir aux questions sémiotiques et temporelles que sous-tend la notion de «vanitas» (ou vanité) dans la création artistique contemporaine. Il s’agira, grâce à diverses théories sémiotiques (J.-M. Klinkenberg, C.S. Peirce, C. Saouter, U. Eco), de distinguer les enjeux du texte et de l'action de la performance et ceux de la documentation vidéo. De plus, l’analyse permettra de situer l’œuvre de d’Abrigeon en regard de la sémiose des vanitas depuis leur apogée au XVIIe siècle jusqu’à nos jours, en se référant à divers auteurs qui ont abordé les vanitas historiques (Karine Lanini, Armelle Wolff, Louis Marin) et les vanitas contemporaines (Anne-Marie Charbonneau, Anne Philippon, Évelyne Artaud). De plus, l’œuvre de poésie-performance de Julien d’Abrigeon permettra de clarifier le symbole de la vanité qui oscille, selon l’interprétation, entre le type d’art, le genre autonome et la thématique. On pourra donc mettre en évidence le rôle interprétatif du spectateur qui passe par l'interprétant peircien, ainsi que l'importance de la notion d’expérience telle que la propose Paul Ardenne dans «Un art contextuel».

Le propos de cette communication s’inscrit dans un projet plus vaste qui envisage l’analyse de ce que nous appelons les « poétiques de l’indicible » dans deux romans francophones : Shaba deux de V. Mudimbe et Un dimanche au cachot de P. Chamoiseau. À partir de cette perspective, il sera ici question d’examiner la dimension intertextuelle de Shaba deux, en tant que processus de langage implicite sollicité par l’écrivain pour dire « l’indicible ». Ce roman rend compte d’une situation de violence profonde, tout en analysant les traumatismes que celle-ci a provoqués chez les êtres qui l’ont vécue. Dans sa volonté d’exprimer l’inexprimable des horreurs de la guerre, de la colonisation et de ce qui en découle, Mudimbe s’efforce, par divers biais et de façon latérale, à représenter l’irreprésentable et à produire du sens, même dans l’impuissance du mot. Cette quête d’une parole capable de dire ce qu’elle ne dit pas aboutit à une esthétique « de la sobriété », où l’intertexte joue un rôle important en tant que vecteur de sens implicites. Ce travail aura comme visée d’en mesurer la place, la signification, la fonction et la force à l’intérieur du roman, afin de porter un nouveau regard sur cette œuvre, à partir de l’analyse de l’efficacité de l’intertextualité comme processus discursif de la poétique mudimbienne de « l’indicible ».

Parmi les caractéristiques des diasporas contemporaines, soulignées par le politicologue William Safran, figure la construction d’une conscience et d’une solidarité collectives définies autour d’une relation continue avec la mère patrie. Dans cette mouvance, la stratégie gouvernementale de l’Inde est passée, depuis la dernière décennie, de l’indifférence à un dialogue proactif avec sa communauté diasporique. D’abord reconnue pour sa force économique, elle s’avère de plus en plus influente sur le plan culturel ; elle représente un groupe avec lequel les citoyens de l’Inde doivent dorénavant négocier. 

La communication s’attachera à examiner les enjeux artistiques et sociaux liés à la censure de l’œuvre I Love My India, de Tejal Shah, lors de l’exposition Indian Highway présentée à Shanghai en 2012. Cette oeuvre vidéo s’inscrit dans un effort de compréhension des émeutes produites à Gujarat (2002) en Inde, pendant lesquelles près de 2000 musulmans auraient été décimés par les hindous. Ce retrait par le gouvernement de l’Inde, à la demande de la diaspora indienne en Chine, rend compte d’une dynamique nouvelle et engagée dans les flux migratoires de la globalisation. L’examen des points de vue des diverses communautés, impliquées dans le débat transnational entourant l’œuvre, permettra de saisir les effets de cette "Inde élargie" sur la production et la diffusion de l’art contemporain de ce pays internationalement reconnu pour sa liberté d’expression.

Dans cette communication, je me propose d'examiner la revue Dérives, Tiers-Monde/Québec, une nouvelle conjoncture culturelle (1975-1987) à l’aune de ses conditions sociales d’énonciation. En m'appuyant sur les recherches récentes de Ruth Amossy et de Jérôme Meizoz, j'étudierai par quels procédés discursifs sont construits l'éthos et la posture de Jean Jonassaint, le cofondateur de Dérives. Je m'appliquerai à montrer comment cet auteur haïtien remet en question les représentations collectives de l’être écrivain grâce à une double stratégie rhétorique. Pour ce faire, j'analyserai d'abord les espaces de recherche-création, « Notes pour une recherche » (n° 12) et « La déchirure du corpstexte » (n° 29-30, no° 36) où Jonassaint projette une image auctoriale à la limite de la spectralité. L'analyse se concentrera davantage sur les textes de présentation marquants : « Des cultures, du Québec » (n° 29-30), « Et puis écrire et puis » (n° 50) et « Prospectives/Perspectives » (n° 51). Deux procédés discursifs ressortent de ces textes liminaires : d'une part, l'énonciation in absentia opère un effacement de la subjectivité; de l'autre, les marques de l'énonciation diffusent l'image d'un locuteur engagé qui effectue une prise de position forte. Je conclurai en montrant que cette posture marginale et aporétique participe aux relations dynamiques entre les revues interculturelles et, plus spécifiquement, à un processus de légitimation constitutif du sous-champ de l'écriture migrante.

Malgré la paix officielle établie en 1989 avec les Accords de Taëf, la guerre civile n’a jamais véritablement pris fin au Liban : la disparition de centaines d’individus dont on n’a jamais retrouvé le corps, l’assassinat du Président de la République du Liban Rafic Hariri en 2005, l’éclatement en 2006 d’une guerre entre le Hezbollah et Israël et les attentats ponctuels témoignent non pas de la fin des hostilités, mais de leur perpétuation sous forme de guerre froide. La paix forcée, concrétisée par une loi d’amnistie, n’a fait que couver la violence d’un passé qui ne passe pas.

La recherche sur la guerre civile libanaise s’attarde généralement au problème de la mémoire posthume et de la commémoration. En cristallisant le traumatisme de la destruction comme chose du passé, cette perspective fait l’impasse sur la rémanence de la disparition. La perte articulée aux techniques de l’image que sont la photographie, le cinéma et la vidéo permet de penser la hantise du passé à partir du rapport spectral à l’objet reproduit dans son absence. Ma recherche aborde conjointement la photographie, la vidéo et le cinéma libanais pour faire émerger la parenté des problèmes qu’ils mettent en forme (disparition, destruction des ruines, urbanisation sauvage, répétition de la violence, rituels de deuil) et d’ainsi faire le pont entre des techniques rarement reliées, à partir d’une réflexion sur la spectralité et d’une thématisation psychanalytique du deuil.



La nudité peut être troublante, dérangeante, excitante et fascinante. Bien sûr, elle a été réfléchie et éprouvée de façon différente selon les époques et les contextes. Mais qu’advient-il lorsque celle-ci est multipliée par dizaine, par centaine, par millier? Vanessa Beecroft et Spencer Tunick, deux artistes contemporains reconnus internationalement, nous donnent à voir ce genre de nudité; ils exposent, dans des contextes bien différents, des corps dénudés qui posent la question de la multiplicité. Étonnamment, les œuvres performatives de ces artistes nous montrent des corps dénudés dont l’érotisme semble presque complètement neutralisé, comme si l’œil du spectateur glissait sur un mur de peau et que l’excitation n’arrivait pas à le traverser.

L’objectif de cette communication est de positionner l’état de nudité des corps mis en scène par Beecroft et Tunick, tant dans leur rapport à l’histoire de l’art qu’aux problématiques contemporaines. Cette question présente certaines difficultés, puisque ces corps n’entrent dans aucune des catégories hégémoniques de la représentation – que ce soit celle qui oppose le nu et la nudité, la pornographie et l’érotisme ou le corps utopique et le corps «topique», selon le terme de Foucault. À partir de la théorie sur l’ouverture des corps de Georges Didi-Huberman et des stratégies formelles utilisées par Beecroft et Tunick, nous démontrerons que ces deux artistes proposent une nouvelle forme de nudité, dont les enjeux sont tout à fait actuels.

La « critique des traductions » fait partie des sous-disciplines de la traductologie depuis que James Holmes a publié une première cartographie du domaine en 1972. Dès lors, le nombre de théories sur le sujet ne fait qu’augmenter, tandis que les études sur le champ montrent qu’il existe un véritable fossé entre les propos critiques des spécialistes et ceux du lectorat moyen (Audet 2009; Doyle 2018; Desai 2020). Le Canada est un cas particulier en traductologie : en plus de disposer de deux prix nationaux en traduction, l’État finance chaque année la traduction de plusieurs dizaines d’œuvres. Pourtant, on en sait peu sur le processus évaluatif qui précède la remise de ces prix, et les rétroactions des jurys n’ont jamais été soumis à une étude approfondie.

Dans cette communication, une lacune historique est d'abord comblée en présentant le contexte qui a mené à la création du Prix de traduction John-Glassco et de la catégorie Traduction des Prix littéraires du Gouverneur général. Une analyse des critères d’admissibilité à ces prix et des quelques rares « directives » d’évaluation rédigées par certains membres du jury pour coter les traductions gagnantes est ensuite proposée. Les documents d’archives ainsi examinés témoignent de l’étonnante diversité qui caractérise les critères d’évaluation utilisés, même parmi les experts canadiens, et renseignent les lecteurs, les traducteurs et les critiques sur les présupposés que nous détenons tous sur la traduction littéraire (Vanderschelden 2000).

Cette communication sera l’occasion de présenter les axes de réflexions qui nourrissent mon mémoire de maitrise portant sur l’identité du sujet racé dans l’œuvre de Nadine Gordimer, auteure sud-africaine blanche et lauréate du prix Nobel de littérature de 1991. Il s’agira de rendre compte de la recherche d’un espace interstitiel (Bhabha, 1994), qui rend possible la rencontre entre Noirs et Blancs dans deux romans, La fille de Burger (Gordimer, 1981), Ceux de July (Gordimer, 1979). Les contextes de ségrégation, comme celui de l’apartheid, exacerbent l’importance de la notion de race, qui, dans les faits, relève d’une fiction maintenue en place au moyen de lois coercitives. Nous arguerons que les représentations du lieu physique ne permettent pas de véritables rencontres entre Noirs et Blancs, qu’elles sont tout au plus le théâtre d’un contact impossible ou violent. Écrire dans ces lieux chargés des violences raciales, c’est adopter une position de l’entre-deux ; c'est-à-dire éviter d’être confiné au territoire du maitre en reproduisant sa voix ou en s’y opposant de façon directe. En contexte d’oppression, il s’agit plutôt de trouver un espace autre dans lequel la race perd ce pouvoir discriminatoire ; un chez-soi (home) à l’intérieur de la maison du maitre (Morrison, 1997). Ainsi, c’est l’énonciation qui permet d’investir la frontière et de faire de la marge un lieu discursif où la rencontre de l’autre est possible. 

Il s'agit des actions politiques employées pendant le consulat de Napoléon Bonaparte, liées au processus de colonisation française de Saint-Domingue, aujourd'hui Haïti, qui a débuté dans la première moitié du XVIIe siècle. Et les stratégies développées par les protagonistes Toussaint Louverture et Jean Jacques Dessalines, anciens esclaves qui ont vaincu le système esclavagiste en général et les troupes expéditionnaires françaises en particulier. En France, en 1799, toujours dans le contexte politique tumultueux de la révolution de 1789, l'ère napoléonienne introduite par le consulat a été mise en place. Parallèlement à ces événements, le scénario n'était pas différent dans la plus importante colonie française d'Amérique. Le contexte sociopolitique a fourni de multiples défis et ambitions diverses dans cette partie de l'île, surtout avec la montée en puissance de dirigeants noirs qui sont devenus des agents conscients de leur histoire, actifs et capables de remettre en question l'ordre dominant. Opposés aux politiques coloniales françaises, ils ont utilisé des stratégies politiques et des mécanismes juridiques importants pour affronter à la fois le consulat et le gouvernement impérial français. Dans cette optique, ce travail de thèse propose, à travers d'analyse de documents, d'étudier les actes et les décisions politiques de ces protagonistes et leurs contributions à la scène coloniale, de la fin du XVIIIe siècle au début du XIXe siècle.

L’ISOMORPHISME DES SIGNES DES ESPACES SACRÉS DANS L’IMAGINAIRE COLLECTIF

Le monument à Staline à Prague, le monument Atatürk à Izmir et le parlement hongrois à Budapest de formes et d’architectures variées possèdent tous d’éléments importants de sens communs importants.

L'étude proposée analyse les traits communs des espaces sacrés et cherche à comprendre les causes et les modalités de leur présence. Pour ce faire, il sera fait appel aux études de Gaston Bachelard dans La Poétique de l’espace. Si la méthode de Bachelard est bien connue, nous en proposons des critiques et des compléments, apportés par nous-mêmes et d’autres, et les appliquerons à un corpus inédit. De plus, nous la croiserons avec la théorie de l’analyse sémique de François Rastier. Enfin, nous fonderons notre analyse sur l’hypothèse de Régis Debray, qui trouve l’origine du sacré dans l’interdiction.

La domination, la force, l’inaccessibilité, le vide et la profondeur sont parmi les sèmes que possèdent les espaces sacrés pour « dialoguer » avec leurs destinataires. Debray considère également le sacré comme intouchable. C’est ainsi que la poétique de l’interdiction dans les espaces sacrés définit une limite, dans l’imaginaire commun, qui ne doit pas être franchie.

Nous convoquerons les représentations du sacré dans l’architecture et l’« ambiance » de certains espaces et de certains édifices sacrés disséminés dans plusieurs pays et érigés au cours de l’histoire.

Depuis ces dernières années, on observe un engouement grandissant pour les paysages industriels et leur représentation photographique. Étant au départ l’apanage des artistes, les territoires issus de l'industrialisation obtiennent maintenant de plus en plus d’intérêt de la part des photographes amateurs. On semble ainsi porter un nouveau regard sur des territoires que l’on a longtemps refusé de considérer comme esthétiques. Curiosité nouvelle que l’on pourrait croire un phénomène isolé, la photographie de paysages industriels abonde sur les sites web de partage de photographies (tel Flickr). Cette présentation vise une meilleure compréhension de la façon dont s’est effectué le changement de regard sur le paysage industriel et du rôle que peut avoir eu le partage de photographies en ligne dans la naissance de cette nouvelle sensibilité. Il faudra tout d’abord tenter de voir ce qui, dans le contexte postindustriel présent, permet que l’on perçoive différemment le territoire industriel. Une brève étude d’images en circulation représentant le paysage industriel servira à illustrer ce passage de territoire à paysage. Le phénomène social de partage de photographies sera ensuite analysé afin de voir de quelle façon il a pu participer à l’attribution de nouvelles valeurs et significations aux paysages de l’industrie. L'étude de ce nouveau regard porté sur le paysage industriel permettra de mieux comprendre la qualité des rapports sociaux et culturels se développant envers lui.     

Quelle hypermédialité du cinéma (ou "environnement médiatique global") se dessine dans les documents et le parcours du cinéaste Herménégilde Lavoie ? Les archives de la BaNQ donnent une idée précise des activités du cinéaste (la façon dont il organisait son travail et dont il communiquait avec ses collaborateurs, la nature de ses projets, la date de leur réalisation, le matériel et les techniques utilisés, etc.) et des réseaux de création et de production (Club des habitants, réseaux des Sœurs, etc.) dans lesquels il s’est impliqué de 1940 à 1972. Plus de trente années de carrière ont ainsi amené Herménégilde Lavoie à travailler pour l’ONF, à devenir le directeur d’une revue intitulée La Belle Province et à diriger son entreprise de « Réalisation de films cinématographiques sonores » à la fois industriels, touristiques, religieux ou éducationnels : Les Documentaires Lavoie. Il est frappant de voir comment des projets cinématographiques de nature très différente, en apparence du moins, sont en fait interreliés et répondent à un impératif que le cinéaste aura à cœur toute sa carrière durant : l’ « embellissement » de la province québécoise, la mise en valeur de son patrimoine, du savoir-faire et du savoir-vivre de ses habitants. Les films des Documentaires Lavoie deviennent un des supports de ce message philanthropique et/ou humaniste.

« L'idée d'une "autodéfinition de l'individu" et de son "autonomisation" par rapport à la société relève largement du fantasme. » (Heinich citée par Chenet 2008, p. 36) Prépondérant dans le champ culturel, ce discours teinte l’entrée littéraire de Mikella Nicol, qui signe en 2014 Les filles bleues de l'été, premier roman générant un discours médiatique luxuriant. Inéluctable, le lien entre Nicol et son père, l'écrivain Patrick Nicol, est évoqué systématiquement par les médias, qui transposent dans la sphère privée l’impossible « autodéfinition de l’individu ». Comment ces deux réalités distinctes se conjuguent-elles lorsque l'identité d'un nouvel auteur trahit des liens préexistants avec le domaine littéraire ?

À la lumière de trois entrevues accordées par Mikella Nicol au sujet de son premier roman, je propose de confronter le discours des instances de réception (Plus on est de fous, plus on lit !, La Presse et ARTV) à la posture auctoriale de l’écrivaine. Tandis que Nicol projette une image gouvernée par un principe d'autonomie filiale, les critiques et journalistes accusent un mouvement de va-et-vient incessant entre les mérites de l'auteure et les rapports, autant familiaux que littéraires, qui orientent sa position dans le champ littéraire.

CHENET, Éric. « Question d'identité : une entrevue avec Nathalie Heinich », ETC, [En ligne], n°82, juin 2008, p. 36-38, https://www.erudit.org/fr/revues/etc/2008-n82-etc1134672/34600ac/ (Page consultée le 11 avril 2019).

Les données statistiques compilées par l’OIM (2007), OECD (2009), Banque Mondiale (2006 et 2008) et la CEPAL (2000 et 2010) montrent que la Colombie se classe parmi les cinq principaux pays d’immigration en l’Amérique Latine et les Caraïbes. Le Canada est devenu, depuis le début des années 1980, l’une des principales destinations des émigrants colombiens dans le monde. Le Québec est, au Canada, la deuxième province accueillant le plus grand nombre d’immigrants colombiens au pays. Nous nous sommes penchés sur cet aspect à partir de la perspective historique, dans le but d’identifier et d’analyser les causes qui ont donné origine à ce flux migratoire.

 

Ce travail cherchait à donner des réponses à une série de questions, dont les suivantes : le flux migratoire des Colombiens vers le Québec est-il un événement qui a sa propre dynamique ou est-il une prolongation du flux migratoire des Colombiens vers les États-Unis depuis les années 1960?Quel impact a eu la législation canadienne sur l’immigration et les réfugiés en ce qui concerne la venue des Colombiens au Québec?

 

Pour répondre à ces questions, nous avons mené notre enquête en utilisant des sources primaires et secondaires, notamment  la consultation de la documentation de l’Archive historique nationale de la Colombie, l’analyse des sources journalistiques, statistiques. Nous avons aussi utilisé des sources orales.

La figure du rat est emblématique dans la littérature et l’imaginaire social. Elle est souvent associée à l’idée de bas-fonds, à la souillure, voire à la déshumanisation. La littérature traitant de la Grande Guerre la convoque fréquemment pour illustrer certaines conditions d’existence des poilus ou encore pour déshumaniser le soldat allemand. Une lecture attentive des journaux de tranchées, forme médiatique parodique, qui se joue des codes de la presse quotidienne, permet de déceler l’importance de la figure du rat au sein de ses discours, souvent humoristiques, et d’en déterminer les nombreux usages. Cette communication propose d’étudier ce motif à travers un corpus composé de quatre journaux du front : Le BochofageLe Canard du BoyauL’Écho des Guitounes et Le Tuyau de la Roulante, afin de déterminer dans quelles mesures le poilu s’identifie au rat, et dans quels cas il se détache de sa figure pour la projeter sur l’autre et le déshumaniser. Fréquemment convoqué lorsqu’il s’agit de décrire la précarité de la vie au front, le rat est aussi utilisé pour atténuer l’empathie que pourrait ressentir le soldat face à son vis-à-vis allemand par le procédé de pseudo-spéciation. Ce procédé sera étudié en détail à l’aide de la figure du rat, puisqu'il est un des fondements de la fabrication du consentement à tuer. Le rat, motif récurrent, ambivalent et paradoxal de ce type de littérature militaire, permet de saisir comment les poilus appréhendaient le microcosme de la tranchée.

La soustraction additive en art contemporain

En 1953, Robert Rauschenberg achète un dessin à l’artiste Willem de Kooning, l’efface puis l’expose. Il lui donnera alors le titre évocateur Erased De Kooning Drawing. Aujourd’hui encore, de nombreuses pratiques artistiques se situent dans la lignée de cette action. Paradoxalement, l’effacement ajoute quelque chose à l’image et atteindre véritablement l’ « absence » semble impossible. Quelle serait donc la nature de ce « reste » et comment en produire l’analyse sémiotique ?

Tout d’abord, nous étudierons le travail de trois artistes : Erased De Kooning Drawing (1953) de Robert Rauschenberg, A Void (2009) de Joseph Havel et Au-delà des signes (2015) de Mathieu Grenier. Ces trois artistes ont un mode opératoire commun : s’approprier un objet symbolique et en modifier la nature par une soustraction additive. Par la suite, on analysera la médiation culturelle de ces œuvres et son enjeu. On verra comment leur déplacement sémantique est généré et l’importance de leur aspect discursif. Pour ce faire, on utilisera la trichotomie du signe de C.S. Peirce (1978) et nous approfondirons la catégorie de l’interprétant à l’aide du modèle d’Erving Goffman (1991).

La soustraction additive change profondément la nature de l’œuvre d’art. Premièrement, elle détruit le fantasme de la création ex nihilo, et deuxièmement, elle nous force à analyser l’interdépendance des facteurs sémiotiques et non plus simplement des œuvres isolées.

Dès son invention, le cinéma s’est défini en tant que mode d’expression essentiellement masculin. Or, depuis une vingtaine d’années, les femmes se font de plus en plus présentes à la réalisation et nombreuses sont celles qui placent le corps féminin au centre de leur oeuvre : sexualité crue et désincarnée, réification, mutilation, expérience trouble de la maternité, etc. Considérant que la femme entretient un rapport culturellement et biologiquement singulier vis-à-vis de son corps, je propose une lecture féministe du cinéma féminin contemporain. Prenant comme exemples Anatomie de l’enfer (Catherine Breillat, France, 2004), Sleeping Beauty (Julia Leigh, Australie, 2011) et Klip (Maja Milos, Serbie, 2012), j’analyserai comment ces réalisatrices usent du corps féminin afin de déjouer les mécaniques érotiques traditionnelles. Au point de vue méthodologique, le corpus sera examiné à la lumière des concepts de pudeur (Jodelet, 2007), des pôles activité/passivité (masculin/féminin) et du rapport spectatoriel au cinéma (Mulvey, 1975).Ceux-ci s'inscrivent dans une tendance à la subversion observable dans les pratiques féministes contemporaines (Attwood, 2007). Ainsi, je démontrerai qu’en exacerbant les codes érotiques et pornographiques conventionnels, ces cinéastes soulignent l’incohérence et la désuétude de ces mécaniques et, ce faisant, déconcertent le spectateur, lequel se voit alors privé d’une expérience érotique.

Green Mustang porte sur un conflit qui éclate dans l’intimité d’un foyer. Il est question de la transmission linguistique au sein d’une famille exogame, où deux langues vivent sous un même toit. Le personnage d’Éric Lechasseur, fier Fransaskois et professeur de littérature française à l’Université de Regina, ne tolère pas qu’on parle anglais chez lui. Sa femme, Amanda Stepaniuk, un « produit de l’immersion » bilingue aux racines ukrainiennes, le quitte après s’être sentie ignorée pendant des années. Leur fille, Mona, se qualifie de « petite assimilée » (même si elle parle très bien français) et fait une maîtrise en études anglaises pour se révolter contre son père, qui ne jure que par les poètes français du XIXe siècle. C’est elle qui fait comprendre à Éric qu’il doit remettre sa vision tranchée du monde en question.

À partir de cette toile de fond, j’essayerai, à la lumière de L’imaginaire des langues d’Édouard Glissant, selon qui « le monde se créolise, toutes les cultures se créolisent à l’heure actuelle dans leurs contacts entre elles », et du Monolinguisme de l’autre de Jacques Derrida, qui affirme qu’il n’existe aucune barrière étanche entre les langues, de montrer que Gareau tisse une œuvre complexe où le contact des langues et l’histoire de la Saskatchewan servent de matière à réflexion sociolinguistique. On verra que Mona finit par convaincre Éric que sa vision manichéenne des langues est héritée de son père, contre qui il s’est révolté à son tour.

Dans une récente étude la place des femmes dans le champ littéraire (Boisclair 2019), on découvre que les critiques masculins offrent une plus grande visibilité aux ouvrages de leurs pairs. Cet exemple fait écho à un enjeu féministe de longue date concernant l’exclusion des femmes de la haute culture (voir Gornick 1978). Ce projet explore le rôle des critique littéraires dans la reproduction de l’exclusion des femmes en littérature à travers l'analyse comparative de la réception critiques de deux œuvres féministes iconiques: L’Euguélionne de Louky Bersianik et Handmaid’s Tale de Margaret Atwood. Je propose de conceptualiser les critiques littéraires comme “Boys Club” (Delvaux 2019) et fais la démonstration que ce boys club reproduit l'exclusion des femmes du canon littéraire à travers un processus de dépréciation. Ce processus de dépréciation est légitimé par une conception de la littérature comme pure, de la politique comme un manifeste et des genres littéraires comme statiques. Ce processus de dépréciation procure aux critiques d’art le statut hégémonique d’arbitre du gout et du vrai. Cette analyse contribuera ainsi aux débats contemporains sur les exclusions dans le milieu des arts ainsi qu’aux études sur la masculinité (Anderson 2009, Connell 2005, Maiolini 2015) en mettant en lumière l’expression de la masculinité hégémonique dans les milieux ou les marqueurs traditionnels de masculinité tel que la force physique et le pouvoir économique ne sont pas monnaie courante.