Comment le poétique rencontre-t-il les grandes préoccupations humaines à travers sa propre exploration de l’indicible? Et lorsqu’il s’y adonne, opère-t-il une fonction religieuse? Pour répondre à ces questions, nous chercherons à repérer les aspects du religieux et de l’art qui pointent vers les zones limites de non-savoir et d’indétermination, c’est-à-dire le sacré (Bateson, 1989).
Nous verrons comment le religieux gère l’altérité et en quoi il est concerné par le performatif (Eliade, 1963) et la différence ontologique (Heidegger, 1967). Nous verrons ensuite comment l’art évoque l’altérité et en quoi il est, quant à lui, concerné par l’esthétique (Schaeffer, 2015) et la brèche (Didi-Huberman, 2009). Les aspects ineffable et négatif de l’Autre, à savoir qu’on peut dire de lui que ce qu’il n’est pas, rejoignent à bien des égards les enjeux du mysticisme, à la différence près que, ce dont nous ne pouvons rien dire, il ne faut pas le taire (Wittgenstein, 1986), mais plutôt l’exprimer correctement (Goodman, 2006).
L’indéterminé prend alors forme dans une parole où le sens vibre bien plus qu’il n’explique; où les images, la mélodie, le mouvement et le clair-obscur deviennent la grammaire d’une voie de l’entre-deux; où le Même peut se laisser traverser par l’Autre sans chercher à le refouler, à le rationaliser ou à le craindre. Bref, l’art se fait médiateur entre l’innommable, le sensible et l’intelligible, ouvrant ainsi le monde sur des modes d’existences pluriels (Souriau, 2009).