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...la gestion de la pandémie a entraîné un certain mécontentement envers les actions gouvernementales. Cela pourrait paver la voie à une consolidation de la droite politique autour d’une nouvelle option populiste.

Dans une contribution précédente au dossier « Penser l’après-COVID-19 »1 , nous avions soulevé que les évènements politiques d’exception ont la capacité de transformer la joute politique. Nous énoncions en exemple les attentats du 11 septembre 2001 qui ont rendu plus saillants les enjeux de sécurité et d’immigration, ainsi que le conflit étudiant de 2012 ayant contribué au retour de l’axe gauche-droite en politique québécoise. Cette fois, nous posons que c’est la droite – et plus particulièrement la mouvance populiste de droite – qui doit retenir notre attention.

En effet, la gestion de la pandémie a entraîné un certain mécontentement envers les actions gouvernementales. Cela pourrait paver la voie à une consolidation de la droite politique autour d’une nouvelle option populiste. En présence d’une partie non négligeable de la population qui est réfractaire à la gestion de crise par le gouvernement de la Coalition Avenir Québec (CAQ), un nouveau « marché » électoral semble émerger. Cela est d’autant plus vrai que tous les autres partis ayant fait élire des candidat-e-s aux élections de 2018 ont généralement appuyé dans l’ensemble les actions gouvernementales, ce qui laisse peu de choix politique aux personnes qui doutent de leur bien-fondé. Cela nous amène à nous poser cette question : le Québec serait-il en train de se diriger vers un nouveau moment populiste?

Qu’entendons-nous par populisme?

D’abord, notons que le populisme, bien que documenté de longue date dans la littérature en science politique, demeure un concept complexe et souvent mal compris. Le terme « populiste » est encore utilisé à tort comme mot-valise ou de manière péjorative, sinon comme insulte.

Certains critères classiques, comme ceux établis entre autres par le politologue allemand Jan-Wener Müller (2018), permettent toutefois d’y voir plus clair et d’évaluer le caractère réellement populiste des partis ou des figures politiques. Parmi ceux-ci, notons:

  • l’appel constant au peuple; les populistes se présentant en seul-e-s représentant-e-s valables de la population, laquelle serait lésée par l’establishment traditionnel.
  • la présence d’un caractère antisystème se manifestant par une remise en question du système politique, en proposant un autre modèle de gouvernance dit plus représentatif et mieux adapté au peuple, par opposition à l’élite considérée comme corrompue.
  • la tendance des populistes à rejeter, voire nuire à la crédibilité et à la légitimité des contre-pouvoirs comme le système judiciaire, les figures intellectuelles ou scientifiques et les médias.

À ces critères peuvent s’ajouter ces caractéristiques généralement présentes chez les populistes :

  • L’importance emblématique de la tête d’affiche du parti, caractérisée par une forte personnification et personnalisation de la communication autour de la ou du leader. Autrement dit, l’option politique est incarnée par une seule personne, cette dernière étant la pierre angulaire de toutes les actions de communication politique et électorale.
  • La sursimplification des enjeux et la présentation d’une plateforme ou de revendications volontairement vagues.

Bien que d’autres éléments puissent être ajoutés à cette liste, cette dernière brosse un bref portrait des différents attributs que revêt le populisme.

Comme le rappelle le professeur Marc André Bodet (2019), le populisme n’est pas un phénomène nouveau dans l’histoire canadienne et québécoise. Citant en exemples les créditistes ou encore le Parti populaire de Maxime Bernier, les options populistes sont plus ou moins saillantes selon les périodes, les évènements ou les clivages sociaux. Ajoutons que le populisme n’est pas un phénomène exclusif à la droite. En ce sens, pour certain-e-s chercheur-euse-s, des partis comme Québec solidaire (QS) peuvent y être associés2 .

Une nouvelle niche électorale populiste?

Le Québec vit actuellement une période de réalignement politique entamé en 20123 . Cette dernière se manifeste notamment par le remplacement du clivage entre souverainisme et fédéralisme par l’axe gauche-droite comme élément structurant de la joute politique. La CAQ et QS en ont été jusqu’ici les principaux bénéficiaires, au dépend des « vieux partis » de gouvernance que sont le Parti libéral du Québec (PLQ) et le Parti québécois (PQ). Plus volatil d’une élection à l’autre, l’électorat québécois n’est plus divisé entre les « rouges » et les « bleus ». Il se complexifie et se redéploie en une multitude de segments selon les enjeux. Cela ouvre la porte à de nouveaux joueurs capables d’identifier des « niches » électorales porteuses et de les exploiter au bon moment. C’est justement ce qui pourrait se produire en réaction à la gestion gouvernementale de la pandémie.

La gestion de la situation sanitaire par le gouvernement Legault a soulevé le ralliement d’une part importante de la population et des médias. La cote de popularité du premier ministre demeure élevée et 81% des Québécois-e-s se disent satisfait-e-s de sa gestion de la pandémie (Léger, 2021). Il ne faut toutefois pas y voir un consensus. Une partie significative de la population exprime à divers niveaux des doutes, des critiques, et même de l’hostilité face aux actions gouvernementales, mais aussi face aux positions du PLQ, de QS et du PQ.

À titre d’exemple, selon les sondages commandés par le gouvernement du Québec (2021), près du quart de la population serait réticent à la vaccination contre la COVID-19, et ce à divers degrés. Déçu-e-s ou critiques du gouvernement et de ses actions, parfois alimenté-e-s par la désinformation, plusieurs semblent chercher une alternative politique pour exprimer leur colère. En présence de partis traditionnels peu attractifs, d’un parti de gauche qui ne leur parle pas et d’un gouvernement désigné comme la cause de « l’extrémisme sanitaire », plusieurs Québécois-e-s pourraient chercher à se rallier à un nouveau véhicule politique. Bref, une brèche semble s’ouvrir dans le jeu politique.

Une réponse à une « demande » politique

Les gens qui semblent avoir « décroché » de la joute politique traditionnelle s’identifient généralement aux discours où nous retrouvons les éléments du populisme tel que présenté précédemment. S’il est hasardeux de savoir si ces personnes sont « devenues » des cibles intéressantes pour une option populiste à cause de la pandémie, il est probable qu’elle leur offre l’opportunité de s’exprimer, de se mobiliser et de s’organiser.

Comme ce fût le cas pour la gauche québécoise lors du « Printemps étudiant » de 2012 où la nouvelle génération s’est retrouvée socialisée politiquement autour de l’axe gauche-droite, la pandémie de COVID-19 pourrait avoir un effet mobilisateur pour une partie de la population. Ainsi, cette nouvelle « demande » politique a le potentiel de doter le Québec d’un véhicule populiste de droite.

Comme ce fût le cas pour la gauche québécoise lors du « Printemps étudiant » de 2012 où la nouvelle génération s’est retrouvée socialisée politiquement autour de l’axe gauche-droite, la pandémie de COVID-19 pourrait avoir un effet mobilisateur pour une partie de la population.

Un nouveau moment populiste de droite en 2022?

Actuellement, un seul parti semble sortir du lot et se positionne en porte-à-faux du gouvernement et des partis d’opposition : le Parti conservateur du Québec (PCQ). Au fil de la pandémie, sa croissance remarquable ne s’est pas seulement manifestée dans l’espace public, mais aussi sur le plan organisationnel.

Alors que la CAQ, le PLQ, le PQ et QS ont souffert de la pandémie (Prince, 2020), les conservateurs ont tenu une course à la chefferie lors de laquelle plus de 10 000 membres ont élu Éric Duhaime à la tête du parti. Le parti revendique aujourd’hui plus de 30 000 membres, alors qu’il n’en comptait que 700 à l’automne 20204 . Sur le plan du financement (voir Figure 1), le PCQ est respectivement deuxième et quatrième (presque ex æquo avec le PLQ) sur le plan du nombre de contributions et du total des dons (en date du 14 septembre 2021). Ces données impressionnent alors même que les partis traditionnels doivent composer avec une baisse du militantisme et de leur membership. En juin 2021, le ralliement au PCQ d’une députée démissionnaire de la Coalition avenir Québec a également fait grand bruit, dotant le parti d’un premier siège à l’Assemblée nationale.

Figure 1 Philippe Dubois
Figure 1 – Données comparatives relatives au financement populaire des partis représentés à l’Assemblée nationale pour l’année 2021 (en date du 14 septembre). Source : Données collectées en date du 14 septembre 2021 à l’aide du site Internet d’Élections Québec. Compilation des auteur-e-s.

Ce succès dans le contexte actuel semble s’expliquer, entre autres, par l’arrivée d’un nouveau chef charismatique, une figure médiatique connue, aux positions polémiques. À cela s’ajoute un discours contre les mesures sanitaires du gouvernement qui sort du lot et qui est susceptible de parler à celles et ceux qui forment cette « niche » électorale décrite plus haut. En effet, à plusieurs égards, les discours du parti, de son chef et de ses militant-e-s rejoignent les critères mentionnés en début de texte.

Advenant une percée électorale conservatrice aux prochaines élections de 2022, le Québec pourrait connaître un nouveau moment populiste de droite. Si c’est le cas, la crise sanitaire aura fourni selon toute vraisemblance la bougie d’allumage pour amener le Québec à s’inscrire dans la tendance mondiale favorisant les options populistes.

Cependant, nous sommes encore loin de savoir s’il s’agit là d’une tendance pérenne ou d’un feu de paille. La politique en temps de crise demeure un contexte particulier, loin de la réalité des urnes une fois le retour à la normale. L’histoire politique canadienne et québécoise est remplie d’exemples où les tendances se sont renversées promptement. Nous devrons donc attendre la tenue de plusieurs élections pour voir si une option véritablement populiste de droite saura s’implanter fermement au sein du paysage politique québécois, de sorte à compléter le réalignement politique en cours. Chose certaine, les conséquences politiques de la pandémie demeurent encore à être vécues et à être documentées. À ce titre, cela représente un agenda de recherche prometteur qui mérite notre attention.

Chose certaine, les conséquences politiques de la pandémie demeurent encore à être vécues et à être documentées. À ce titre, cela représente un agenda de recherche prometteur qui mérite notre attention.

Références :

  • 1Dubois et Villeneuve-Siconnelly, 2020
  • 2Montigny, 2019
  • 3Bodet et Villeneuve-Siconnelly, 2020
  • 4Pontbriand, 2021

  • Katryne Villeneuve-Siconnelly
    Université Laval

    Katryne Villeneuve-Siconnelly est candidate au doctorat en science politique à l'Université Laval. Ses travaux sont financés par le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) et ont été récompensés notamment du Prix du livre politique et du Prix Jenson-Pétry en 2020. Elle est chercheuse étudiante à la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires (CRDIP) et au Groupe de recherche en communication politique (GRCP)

  • Philippe R. Dubois

    Université Laval

    Philippe R. Dubois complète un doctorat en science politique à l’Université Laval. Il est chercheur-étudiant au Groupe de recherche en communication politique (GRCP), à la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires (CRDIP) et au Centre pour l'étude de la citoyenneté démocratique (CECD). Retrouvez-le sur Twitter @dubois_p ou à cette adresse : www.philipperdubois.com.

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