Le colloque conjoint Nos recherches changent le monde aura mis cinq ans à se déployer, mais la communauté des sciences humaines et sociales ne perdit rien pour attendre, bien au contraire. Conçu pour souligner le 80e anniversaire du CNRS et le 40e anniversaire du Fonds de recherche du Québec – Société et culture d'alors, le colloque devait initialement se dérouler en mars 2020, mais, à l’autre bout du monde, un pangolin en a décidé autrement. C’est donc cinq ans plus tard, les 4 et 5 juin 2025, que plus de 150 chercheurs de toutes les générations et de tous les horizons des sciences sociales et humaines, des arts et lettres (SSHAL) se retrouvèrent dans le tout nouvel édifice Hélène-Desmarais de HEC Montréal, alors qu’en temps réel, près de 200 scientifiques suivaient leurs échanges de façon virtuelle.

D’entrée de jeu, la vice-présidente recherche du secteur Société et culture du Fonds de recherche du Québec (FRQ), Louise Poissant, rappela à quel point ce report de cinq ans s’était avéré providentiel : en mars 2020, nul n’aurait su prédire jusqu’à quel point l’intégration des technologies d’intelligence artificielle (IA) allait bouleverser les pratiques de recherche en SSHAL. Et, de plus, comme toutes les interventions des collègues français et québécois allaient le laisser voir au cours des deux journées d’échanges, les réserves quant à l’opportunité de l’intersectorialité en recherche qui se seraient sans doute manifestées en 2020 semblaient avoir pratiquement disparu en l’espace court d’un lustre. Pour des disciplines qui revendiquent – à juste titre – de se déployer sur un temps long, braudélien, il est étonnant de constater à quel point les brèves cinq dernières années ont été le théâtre d’une véritable révolution – et non d’une évolution – sur les plans des pratiques et des objets de recherche en SSHAL.

Vous avez dit intersectorialité?
Pour reprendre les mots de Louise Poissant, le programme du colloque a mis en lumière une « diversité éblouissante » de types de recherche, allant de la recherche hors les murs à la recherche-création, en passant par la recherche empêchée et la recherche en réseau. Le fil conducteur de cette diversité qui s’est incarnée dans six panels, trois conférences et une table ronde : l’intersectorialité qui autorise les chercheurs en SSHAL à intervenir dans tous les domaines scientifiques. Pour citer l’expression décomplexée du médiéviste Francis Gingras : « Pas besoin de porter une blouse pour faire de la science ». Bien sûr, comme l’a rappelé la philosophe Céline Spector (Sorbonne Université), « l’interdisciplinarité féconde est bâtie sur un socle disciplinaire construit », mais cette mise en garde rappelée, il n’empêche que l’on retrouve nos collègues des SSHAL sur les chantiers les plus inattendus. Comme celui de Notre-Dame de Paris, où l’architecte Violette Abergel (CNRS) s’est trouvée intégrée à une équipe de 200 chercheurs qui, devant la quantité de données à gérer et l’échéancier serré auquel ils étaient confrontés, a créé des outils mettant en réseau les scientifiques par une opération d’annotation sémantique.
« Pas besoin de porter une blouse pour faire de la science. »
- Francis Gingras, Université de Montréal
Ou, encore, citons l’exemple de Grégoire Borst (Université Paris Cité), co-responsable du Réseau Thématique Éducation au CNRS, qui s’intéresse à l’impact précoce des inégalités sociales sur le développement cérébral afin de modifier en conséquence les pratiques parentales et pédagogiques. Et que dire des travaux du géographe Alexandre Cebeillac (CNRS et Université de Rouen), portant sur la transmission de la dengue, et comportant une analyse de huit millions de données de localisation captées par la plateforme « X » (ex-Twitter) pour interroger le lien entre la présence des moustiques vecteurs de la maladie et les catégories d’aménagements urbains des villes du Sud-Est asiatique.
Mentionnons aussi l’étude de Christopher Dietzel (Université Concordia) qui propose d’analyser, grâce à l’IA, les fonctionnalités des plateformes numériques de rencontre (Grinder et autres Tinder) afin de mesurer l’impact de ces applications sur la violence faite aux personnes LGBTQ+. Et, toujours à l’interface des sciences humaines et des sciences de la santé, le travail de la sociologue Anne Cavalin (CNRS) qui étudie les risques que présente la présence dans l’air de la silice cristalline pour comprendre la « construction » des maladies chroniques complexes. Et que dire des travaux en environnement de la sociologue Soraya Boudia (Université Paris-Cité et CNRS) qui illustrent l’utilité de la production de paradigmes nouveaux par les acteurs des sciences humaines et sociales pour comprendre les phénomènes sans précédent que provoque la saturation de la planète par les déchets et les résidus toxiques.

Du côté québécois, qu’il suffise de convoquer le fichier de population BALSAC qui, depuis 1972, se développe à l’UQAC, comme l’a rappelé le collègue Arnaud Montreuil : tous les projets construits autour de BALSAC, la reconstitution démo-génétique de la population québécoise, sont dorénavant logés au croisement de la démographie et de la science génétique. À telle enseigne que, dans le cadre d’une démarche de « science participative », les citoyens sont invités à déposer volontairement les résultats de leurs tests génétiques dans le portail Généo, une plateforme de recherche intersectorielle créée à cette fin.
Devant une telle abondance, François-Joseph Ruggiu (CNRS) fut amené à conclure qu’en matière de recherche, l’interdisciplinarité était « un combat réussi ». Mais notre collègue historien pointa aussitôt le prochain « combat », qui demandera encore plus d’audace : celui de la formation, un champ qui est encore complètement balisé par les frontières des disciplines traditionnelles.
La recherche là où elle compte
Au cours du panel consacré au bilan et aux perspectives, le collègue Grégoire Borst (Université Paris-Cité) a bien exprimé la hauteur des ambitions des SSHAL en ce premier quart du XXIe siècle : « La recherche qui compte doit se déployer là où elle compte ». L’intersectorialité se déploie non seulement dans les cabinets et les ateliers des chercheurs, mais aussi sur le terrain. Sur tous les terrains. Même les plus redoutables. À preuve, le projet de recherche du géographe Arnaud Banos (CNRS) dont le « terrain » est plus liquide que solide, puisqu’il se penche sur la modélisation des sauvetages en mer, ce qui l’amène à débusquer la sous-évaluation systématique du nombre de victimes migratoires en mer qui est pratiquée par les États. Et, délaissant la posture confortable de l’observateur, Arnaud n’hésite pas à faire le lien entre ses préoccupations de recherche et des activités de sauvetage en mer, agissant même comme officier de réserve de la Marine nationale française. La recherche de sa collègue Garine Papazian-Zohrabian, psychopédagogue de l’Université de Montréal, se situe elle aussi sur le spectre de l’expérience traumatisante des naufragés, puisqu’elle mène une recherche-action en milieu scolaire visant à « réhumaniser » les jeunes survivants de ces migrations traumatisantes. Et, un dernier exemple, particulièrement prégnant pour la science québécoise, le terrain et le respect de ses premiers habitants qui est au cœur de la démarche de Benoit Éthier, professeur à l’École d’études autochtones à l’Université du Québec en Abitibi Témiscamingue (UQAT), dont les études sur les savoirs autochtones repoussent les limites de l’interculturalité et apportent leur solide pierre à l’édification d’une recherche réellement « décolonisée ».

En conclusion à nos échanges, Marie Gaille, la directrice de l’Institut des sciences humaines et sociales du CNRS, a fait valoir que notre trajet collectif vers des recherches « où cela compte » devait impérativement être accompagné du développement d’outils de communication visant les citoyens. Et Marie Gaille d’ajouter que « la science ouverte », bien que fort utile, n’est encore ouverte que « pour nous-mêmes », membres de la communauté scientifique.
« La recherche qui compte doit se déployer là où elle compte. »
- Grégoire Borst (Université Paris-Cité)
La recherche-création : étendre le domaine du sensible
L’intersectorialité est présente dans la désignation même de la recherche-création, une désignation ponctuée par un trait-d’union qui lui confère toute sa puissance. Au même titre qu’en conclusion du colloque, les praticiens des sciences humaines et sociales ont été instamment invités à « s’imposer et à être ambitieux » par Nathalie de Marcellis-Warin (Polytechnique Montréal et CIRANO), les artistes universitaires revendiquent avec vigueur leur place sur l’échiquier de la recherche depuis une bonne cinquantaine d’années.
Au fil des ans, de part et d’autre de l’Atlantique, le concept de recherche-création s’est raffiné pour graduellement se distinguer de la pratique artistique elle-même. Au Québec, c’est au milieu des années 1980 que le concept de recherche-création s’est développé dans la foulée de l’intégration des écoles d’art – conservatoires et écoles des beaux-arts – aux établissements universitaires. Thierry Bardini (Université de Montréal) a souligné avec à-propos que la mise en place de structures nouvelles comme la Société des arts technologiques (SAT), en 1996, et le Réseau Hexagram, en 2001, est venue jalonner la maturation du concept de recherche-création. Les participants au colloque ont même eu droit à une brève vidéo explorant la définition de la recherche-création, produite par intelligence artificielle et présentée par l’uqamien Jean Dubois, membre fondateur d’Hexagram.

En France, comme l’a indiqué Sylvia Girel (Aix-Marseille Université), l’on peut avancer qu’un degré important de la reconnaissance institutionnelle de la recherche-création a été atteint au cours de la décennie 2010, alors qu’une vingtaine d’écoles doctorales en la matière étaient en action. Preuve de la place importante qu’occupe maintenant la recherche-création dans l’espace scientifique français, sa présence au sein du plan d’investissement France 2030. En effet, le volet « transformation des industries culturelles et créatives françaises » du plan s’incarne dans des dispositifs de recherche faisant une large part à la recherche-création (e.g. : la grande fabrique de l’image; musique et spectacle vivant; savoir-faire d’exception (métiers d’art)). La collègue Solveig Serre (CNRS), à qui on doit cette démonstration, est d’ailleurs elle-même co-directrice du Programme et équipements prioritaires de recherche (PEPR) Industries culturelles et créatives : action, recherche, expérimentation (ICCARE), une initiative qui constitue un volet de la stratégie nationale dédiée aux industries culturelles et créatives et dont le modus operandi est de créer des interactions entre chercheurs en SSHAL et professionnels des industries culturelles et créatives.

Au terme de cette « traversée de la recherche-création », pour reprendre le titre du panel 4 de notre colloque, on peut avancer, comme l’a brillamment fait la doyenne Annie Gérin (Université Concordia), que « la recherche-création permet de créer de nouveaux savoirs par le biais du sensible ». Pour être immédiatement relancée par un feu d’artifice allégorique alimenté par Thierry Bardini : « science de l’exception » (un terme emprunté à la pataphysique); « jardinage critique »; « attitude ironique »; « revendication des zones d’opacité »!
« La recherche-création permet de créer de nouveaux savoirs par le biais du sensible. »
- Annie Gérin, Université Concordia
Le monde change nos recherches
Le thème du colloque FRQ-CNRS – Nos recherches changent le monde – n’eut de cesse d’être soumis à des relectures critiques par les participantes et les participants. Normal pour une rencontre de penseurs en SSHAL! « Nos chercheurs changent le monde » (Frédéric Bouchard); « Nos recherches changent les perceptions du monde » (Thierry Bardini) furent entendues, entre autres itérations. Quant à nous, « Le monde change nos recherches » nous convient parfaitement comme cri de ralliement.
En effet, après avoir entendu les récits de nos collègues sur leurs interventions sur le terrain – sur tous les terrains – et avoir été frappés par la présence de « la recherche là où elle compte » (Grégoire Borst), nous nous sommes convaincus de la justesse des propos introductifs de Louise Poissant qui posaient que « la présence dans des milieux diversifiés amène la participation de leurs acteurs à la définition des projets de recherche ». Il faut, en effet, profiter au maximum du fait qu’en SSHAL, contrairement aux autres sciences, les chercheurs partagent le même langage que leurs sujets : pour reprendre les mots de Giovanni Fusco (CNRS) « les protéines ne savent pas ce que nous écrivons sur elles ».
« Contrairement aux autres sciences, les chercheurs de SSHAL partagent le même langage que leurs sujets : les protéines ne savent pas ce que nous écrivons sur elles. »
- Giovanni Fusco, CNRS
Alice Rabisse, a fourni un exemple éclairant de cette participation des acteurs en rendant compte des recherches du Laboratoire d’accélération en économie circulaire de l’École de technologie supérieure de Montréal (ÉTS). Le Laboratoire développe ses projets en mode cocréation dans le cadre de « laboratoires vivants » où est développée une vision partagée des freins systématiques à l’implantation de l’économie circulaire et à la transformation des systèmes de production et de consommation qui la sous-tendent. D’autres collègues ont mentionné le recours à « la science participative » (Arnaud Montreuil, UQAC), à « l’annotation participative » (Claire Gardent, CNRS) et à des projets de recherche « co-écrits » avec des organismes sans but lucratif, afin de développer des plans climat (Stéphane Roche, Université Laval).
La sociologue Marion Carrel (Université de Lille) a théorisé la cocréation des sujets de recherche et la « coproduction des savoirs », faisant valoir l’ajout à notre bagage de connaissances que permettent « les savoirs expérienciels ». Révélant des « angles invisibles » pour les méthodes de recherche traditionnelles, ces « savoirs non reconnus » viennent pallier les lacunes de la « science non-faite ». Le professeur de géomatique Stéphane Roche (Université Laval) a même rappelé la théorie de l’acteur réseau qui prend en compte dans ses analyses tous les acteurs, y compris les « non-humains » et les discours. Et, pour sa part, Frédéric Abécassis (ENS Lyon) qui est à la recherche de bonnes pratiques pour des recherches en terrains contraints a insisté sur l’importance, pour les analyses des SSHAL, d’inclure « le regard de l’enquêteur ».

Devant une telle abondance de procédés, le collègue Serge Brochu (Université de Montréal) a indiqué avec à-propos que de telles actions de cocréation supposaient que les méthodologies de recherche soient susceptibles d’évoluer au fil du déroulement des projets, ce qui nécessitait aussi des ajustements de la part des agences finançant la recherche comme le FRQ et l’Agence nationale de la recherche (ANR). Pour reprendre les mots de Serge : « Faire de la recherche autrement suppose qu’elle soit financée autrement ».
Partageant ce constat, Louise Poissant a rappelé que le FRQ mène un chantier visant à documenter tous les types de recherche, dans le but d’adapter en continu ses critères d’évaluation, conformément à l’esprit de la Déclaration de San Francisco sur l’évaluation de la recherche (DORA) à laquelle adhère le FRQ. À preuve de son ouverture, le FRQ a soutenu, dans le cadre de son programme AUDACE Plus, les travaux de l’un de nos panélistes, Richard Fleet (Université Laval), qui a développé avec le collectif de cirque Les 7 Doigts de la main une performance immersive pour améliorer l’accès aux services d’urgence en milieu rural.
« Faire de la recherche autrement suppose qu’elle soit financée autrement. »
- Serge Brochu, Université de Montréal
Notre main invisible : l’intelligence artificielle
Véritable main invisible, fil rouge de nos deux journées d’échange, l’intelligence artificielle est mise à contribution, à des degrés divers, dans presque toutes les recherches dont on nous a rendu compte. Au hasard des projets déjà mentionnés, rappelons les travaux de l’équipe de scientifiques du chantier de Notre-Dame de Paris qui a réussi à gérer une quantité sans précédent de données grâce à l’annotation sémantique. Et ceux de BALSAC qui, depuis 2019, grâce à des instruments produits par une firme française, réussit la reconnaissance automatique de l’écriture manuscrite.
Au titre des nouvelles initiatives, mentionnons celle de la linguiste Claire Gardent (CNRS) qui témoigne de l’apport considérable des grands modèles de langage (LLM) pour les SSHAL. Capables de reconnaître et de générer du texte, les grand modèles de langage permettent de « passer à l’échelle » et de détecter des tendances plus efficacement. Claire a décelé cinq tâches qui s’avèrent pertinentes pour la génération de textes par les LLM :
le résumé ciblé sur les émotions
l’explication de langage figuré
l’explication de la désinformation implicite
la détection d’inférence des préjugés sociaux
le recadrage positif
Pour sa part, Catherine Beaudry (École Polytechnique de Montréal) utilise les grands modèles de langage pour pallier le problème de la faible fiabilité des données provenant des sondages réalisés par les pouvoirs publics auprès des entreprises. S’appuyant sur la théorie du signal, notre collègue analyse les publications officielles des entreprises grâce aux LLM, afin de répondre à l’objectif de « donner l’heure juste en temps réel » sur les activités d’innovation du secteur industriel. À plusieurs reprises, les panélistes ont fait valoir que « de nouvelles hypothèses de recherche surgissent de l’IA » pour reprendre l’expression juste de Nathalie de Marcellis-Warin.

L’apport des SSHAL au domaine de l’intelligence artificielle est aisément lisible dans les travaux de l’Observatoire international sur les impacts sociétaux de l’IA et du numérique (OBVIA), dirigé par Lyse Langlois (Université Laval). En toute cohérence avec la Déclaration de Montréal pour un développement responsable de l'intelligence artificielle, l’OBVIA a pour objectif de placer le bien commun, l’humain et la biosphère au cœur du développement des nouvelles technologies. Pour y arriver, l’Observatoire explore les principes de « l’éthique by design ».
Cette idée de placer l’humain au cœur du développement de l’IA se retrouvait en filigrane de nos échanges. Dès la conférence inaugurale, le doyen Frédéric Bouchard (Université de Montréal) mettait les participants au défi de « rendre l’humanité incontournable » dans un mode dominé par l’IA. Fort heureusement, aucune des présentations du colloque n’a évoqué la possibilité de SSHAL se déployant sans intervention humaine. Même la génération augmentée par récupération (RAG), une technique d'intelligence artificielle qui améliore la qualité des réponses des modèles de langage génératifs (LLM) en intégrant des connaissances externes évoquée par Catherine Beaudry (Polytechnique Montréal), ne produit pas des taux de corrélation supérieurs à 50%. L’époque Terminator où les robots auront entièrement remplacé les humains n’est donc pas encore arrivée, du moins en SSHAL! Pas question toutefois pour nos sciences de s’asseoir sur leurs lauriers : comme Nathalie de Marcellis-Warin l’a rappelé, l’intelligence artificielle crée « un rythme différent » pour le développement de la recherche et des connaissances, rythme auquel les SSHAL doivent s’adapter pour « réclamer leur place » dans le concert des progrès scientifiques. Coryell Boffy (Axelis) a même invité les experts en SSHAL à revendiquer leur présence au sein du réseau de l’innovation, un système trop réservé aux seules innovations technologiques, sous-estimant la contribution de l’innovation sociale.
« L’intelligence artificielle crée un rythme différent pour le développement de la recherche et des connaissances, rythme auquel les SSHAL doivent s’adapter pour "réclamer leur place" dans le concert des progrès scientifiques. »
- Nathalie de Marcellis-Warin, Polytechnique Montréal et CIRANO
Un contexte venu du Sud
Évidemment, les chercheuses et les chercheurs en SSHAL réunis en cette chaude fin de printemps 2025 ne pouvaient être insensibles aux bouleversements qui se produisaient au même moment à quelques kilomètres au sud de la métropole québécoise. Dès son mot de bienvenue, Rémi Quirion, le scientifique en chef du Québec, fit valoir l’importance renouvelée d’une recherche vigoureuse pour faire face aux attaques dont la science est l’objet aux États-Unis. Et il s’agit bien de toute la science qui est remise en cause et non seulement les SSHAL, comme l’a fait justement remarquer François-Joseph Ruggiu (CNRS, Sorbonne Université) : son financement, ses revues, ses données. Ce dernier constat a d’ailleurs amené Pierre-Nicolas Baudot (Chaire Colibex CNRS) à faire un appel à la sanctuarisation des données, avant qu’elles ne soient supprimées.

L’on aurait tort de voir dans la situation américaine un cas isolé. La montée du populisme et des discours contre « les élites » ont amené un déni des conclusions de la science dans toutes les démocraties (Maryse Potvin, Université du Québec à Montréal). L’autorité de la parole de la science n’est plus donnée d’entrée de jeu (Julie Dirwimmer, FRQ), elle doit, au contraire, être conquise par les chercheurs en se dotant d’une posture d’influence, plutôt que de confrontation (Sophie Montreuil, Acfas).
Heureusement, les communautés de SSHAL française et québécoise sont fortes et dynamiques – comme en témoignent les deux jours intenses du colloque Nos recherches changent le monde. Et, de surcroit, la langue française qu’elles ont en partage n’est pas menacée de disparition dans le monde scientifique, comme l’indiquent les données colligées par Vincent Larivière (Université de Montréal). En effet, les huit millions d’articles scientifiques qui se publient chaque année – un nombre en croissance exponentielle – sont publiées dans des revues dont le nombre d’entre elles qui publient une langue autre que l’anglais est en hausse constante. À telle enseigne que près de 50% des revues en SSHAL sont aujourd’hui multilingues.
Et demain?
Au terme d’un balayage du monde des SSHAL qui nous a menés de l’origine du concept de « science sociale », au XVIIIe siècle (Mirabeau père, Condorcet, Montesquieu), évoqué avec brio par Céline Spector (Sorbonne Université), jusqu’aux utilisations les plus actuelles des grands modèles de langage à la fin du premier quart du XXIe siècle (Catherine Beaudry, Polytechnique ; Claire Gardenet, CNRS), en passant par toute la gamme des possibles de la recherche menée sur le mode de la cocréation et de sa présence « là où elle compte », c’est Louise Poissant qui a su conclure nos échanges par un dernier retour sur le thème du colloque. Nous l’avons évoqué plus haut, le titre « Nos recherches changent le monde » a fait l’objet de plusieurs relectures critiques par les participants à la rencontre. Pour sa part, réfléchissant à la façon dont les SSHAL doivent travailler à accroître l’impact et la diffusion de leurs résultats, Louise eut l’expression heureuse suivante : « Nos recherches devraient nous changer nous-mêmes, changer nos perspectives pour nous changer nous-mêmes ». Quoi de mieux que ce retour à la sagesse delphique, cette injonction à « mieux nous connaître nous-mêmes », pour clôturer un colloque qui avait réaffirmé la place des SSHAL dans notre monde.
« Nos recherches devraient nous changer nous-mêmes, changer nos perspectives pour nous changer nous-mêmes. »
- Louise Poissant, FRQ
- Guy Berthiaume
Bibliothécaire et archiviste du Canada émérite
- Alain Bideau
CNRS
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