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Chantal Pouliot, Université Laval, Audrey Groleau, Université du Québec à Trois-Rivières

« Au moment de mettre ce dossier du Magazine de l'Acfas, nous entamons collectivement une sortie de la pandémie de Covid-19. C’est du moins ce que toutes et tous espèrent, les derniers 15 mois nous ayant mis à l’épreuve de façon inédite. Au Québec, la vaccination va bon train et le meilleur semble à venir. 

Or, à différents égards, l’état du Monde continue à être préoccupant.

Éditorial

 

 

La crise climatique, en particulier, est un exemple éloquent de situation à laquelle il faudra enfin nous attaquer, et ce dans l’urgence puisque nous avons déjà trop tardé. D’une part, des scientifiques appellent à l’action politique; d’autre part, des citoyen-ne-s, dont un grand nombre d’étudiant-e-s, exigent des élu-e-s des actions courageuses orientées vers une transition énergétique et socioéconomique. De plus, des conversations se déploient dans l’espace médiatique relativement à la protection de la liberté universitaire et à la mission des universités. Ces dernières gagneraient par ailleurs à davantage mettre à contribution les résultats de la recherche menée entre leurs murs dans les processus de prise de décisions politiques.

Dans ce dossier, vous retrouverez, chères lectrices, chers lecteurs, huit textes portant sur l’état du Monde, la recherche publique et la politique, celle-ci entendue au sens large.

Manger notre Saint-Laurent : un projet de société alimenté par la science, l’article de Mélanie Lemire et de ses collaborateurs, fait un tour d’horizon des activités menées par les membres du projet Manger notre Saint-Laurent, une initiative promouvant et faisant connaître l’alimentation basée sur des ressources locales issues du fleuve Saint-Laurent. Ces personnes proviennent de divers milieux : recherche, alimentation, journalisme, marketing, etc. Ils ont notamment mené une enquête sur les habitudes alimentaires de certaines communautés de l’est du Québec, publié un ouvrage documentant les liens entre les communautés maritimes québécoises et le secteur des pêches, préparé une campagne d’information et de sensibilisation, et elles s’affairent à développer des outils de mobilisation des connaissances.

Le texte de Patrick Provost et de Thierry Lefèvre, Des Universitaires : une initiative favorisant l’engagement pour la planète, brosse le portrait d’initiatives remarquables de recherche et de contribution à la société s’articulant autour de la crise climatique. Le regroupement Des Universitaires, constitué de quelque 475 chercheur-euse-s, s’est en effet donné le mandat de « de remettre la science au cœur des débats et de l’espace public ». Pour ce faire, ses membres s’expriment hebdomadairement dans un média généraliste qui leur réserve une section. Ils ont aussi publié un ouvrage collectif, et ils se sont engagés dans les discussions autour du projet de pipeline GNL notamment.

La contribution d’Alice Paradis offre l’opportunité de réfléchir à la question vive du racisme systémique envers les femmes autochtones. Sa bédé Disparues, mais pas oubliées va au-delà d’une mise en récit et en image : elle met de l’avant un appareillage théorique pertinent pour penser ce qui se joue et pour agir sur les injustices raciales actuelles. L’autrice nous présente l’histoire tragique de Cleopatra Semaganis Nicotine, ainsi que les parcours de Joyce Echaquan et de Tiffany Morrison.

Le texte L’usage des informations scientifiques par les fonctionnaires québécois de Julie Dirwimmer porte sur les façons dont les fonctionnaires québécois font intervenir les savoirs scientifiques, mais aussi d’autres types de savoirs, dans leur travail. L’autrice recense cinq obstacles principaux relatifs à l’emploi, par les fonctionnaires, des informations scientifiques – leur niveau d’études, leur accès à la documentation scientifique, leurs relations avec des chercheur-euse-s, des particularités structurelles et les manières dont les informations scientifiques sont présentées – et se penche sur les solutions mises en place au Québec pour favoriser l’utilisation de l’information scientifique dans la fonction publique.

C’est dans le cadre d’une conversation avec Louis-Philippe Lampron et Simon Viviers que les questions universitaires de l’heure, en l’occurrence les conditions de travail des professeur-e-s et la liberté universitaire, sont abordés. Dans À la défense des valeurs universitaires : service public, liberté académique et gestion collégiale, Lampron et Viviers discutent notamment de l’idéologie managériale de l’université – qui s’oppose à une vision collégiale de celle-ci –, selon laquelle les professeur-e-s doivent se plier, dans l’ensemble de leurs tâches, aux grandes orientations de l’établissement qui les emploie, limitant ainsi dangereusement leur liberté universitaire. Ce qui les inquiète particulièrement, c’est que les nouveaux professeur-e-s, baignant dans cette idéologie, en viennent à l’internaliser, à la considérer comme acceptable et normale.

Et puis, il y a le cinéma documentaire qui entretient, comme la recherche scientifique, un rapport d'objectivité avec le réel. Dans les cinq témoignages autour de divers projets documentaires, les autrices et auteurs discutent, entre autres, de ce qu'ils entendent par objectivité. Pour Julie Lambert, le documentaire est un acte d’engagement où elle tend l’oreille à des histoires pour les rendre avec le plus de justesse possible. Olivier D. Asselin s'intéresse à l'entre-deux de l'objectivité et de la subjectivité, il croit que la vie est un perpétuel entre-deux que l'épistémologie moderne s'obstine à regarder selon ses extrémités. Pour Mélanie Carrier et Olivier Higgins, le cinéma documentaire n’est jamais tout à fait objectif, et ils assument un regard qui leur est propre, en fonction de leur bagage de vie. Jean-Laurence et Jonathan Seaborn expliquent que, même s'ils sont guidés par des sentiments et par une compréhension émotive des sujets, les faits demeurent les faits. Finalement, Frédéric Lacroix-Loiselle et Louis-François Richard, par leurs projets d'animation et autres, subliment le réel pour s'approprier autrement les divers lieux et les diverses manières d'habiter la ville.

Johanne Lebel, pour sa part, présente une chronologie commentée de Louis Berlinguet (1926-2018), dont la carrière est un parcours au cœur même des relations entre recherche et politique. Il en ressort, entre autres, une perspective historique qui permet de relever certaines constances dans les relations entre les deux éléments : tensions entre politiques scientifiques et liberté académique; recherche publique et recherche privée; temps long du scientifique et temps fébrile du politique; inconstance de l’organisation ministérielle et nécessité de projets au long cours pour la recherche.

Enfin, Un modèle pour aider à penser nos rapports aux expert-e-s scientifiques, notre texte, fait état d’une modélisation du rapport aux expert-e-s scientifique qui intéressera les personnes soucieuses d’examiner les discours des uns et des autres relativement à la gestion des questions technoscientifiques d’actualité. Le modèle, que nous avons développé au cours de la dernière décennie, s’articule autour de trois axes : l’attribution des rôles de réfléchir, d’agir et de décider; l’interaction entre les divers groupes d’actrices et d’acteurs sociaux; et un axe identitaire.

Nous souhaitons que les textes du présent dossier soient perçus comme des contributions aux conversations en cours. À ce titre, nous vous invitons à les faire circuler au-delà des cercles restreints universitaires. Notre posture épistémologique et politique emporte avec elle la conviction que tous et toutes ont la capacité de comprendre les enjeux scientifiques, politiques et éthique liés à l’état contemporain du monde. Abordé dans sa globalité, le dossier trace un portrait de conversations, d’objets de recherche et d’engagements sociopolitiques à la fois critiques et inspirants.

C’est donc pour nous un grand plaisir, à titre de chercheures, de professeures d’université et de citoyennes, de soumettre à votre attention cet ensemble de textes qui témoignent de la volonté des autrices et des auteurs de contribuer à l’élaboration d’un monde meilleur.

Bonne lecture,
Chantal Pouliot
Audrey Groleau


  • Chantal Pouliot
    Université Laval

    Professeure titulaire au Département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage de la Faculté des sciences de l’éducation Université Laval, Chantal Pouliot est détentrice d’un baccalauréat en biologie, d’une maîtrise en littérature, d’un certificat en enseignement et d’un doctorat en didactique des sciences. Chercheuse au Centre de recherche et d’intervention sur la réussite scolaire (CRIRES), elle a enseigné la biologie au collégial pendant six ans (2000-2006). Ses travaux de recherche portent sur l’enseignement des questions socialement vives, environnementales et sanitaires; et aussi sur les capacités citoyennes et les enjeux de la participation des chercheurs et chercheuses aux conversations sociopolitiques. Elle a écrit dans des revues liées à l’enseignement des sciences (Science Education, International Journal of Environmental and Science Education, Research in Science Education, etc.) ainsi que dans EMBO reports et BioScience. Auteure de nombreux chapitres dans des ouvrages de référence, elle a signé plusieurs textes dans les médias généralistes, tantôt sur la liberté universitaire, tantôt sur les mobilisations citoyennes. Mme Pouliot est éditrice émérite francophone de la Revue canadienne de l’enseignement des sciences, des mathématiques et de la technologie et lead editor de la revue internationale Cultural Studies of Science Education.

  • Audrey Groleau
    Université du Québec à Trois-Rivières

    Audrey Groleau est professeure de didactique des sciences et de la technologie à l’Université du Québec à Trois-Rivières depuis 2014. Elle contribue à la formation d’enseignants et d’enseignantes du primaire, du secondaire et en adaptation scolaire, d’une part, et à la formation de chercheurs et de chercheuses en éducation, d’autre part. Ses recherches portent sur les rapports à l’expertise scientifique de futures et futurs enseignants, ingénieurs et scientifiques dans le contexte de controverses sociotechniques actuelles. Elle est vice-présidente et secrétaire de l'Association de la francophonie à propos des femmes en sciences, technologies, ingénierie et mathématiques (AFFESTIM) et l’une des éditrices de la Revue canadienne de l'enseignement des sciences, des mathématiques et de la technologie / Canadian Journal of Science, Mathematics and Technology Education. Elle a remporté le Prix de la relève en enseignement de l’UQTR en 2021.

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