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Catherine Viens, Université du Québec à Montréal

Les changements climatiques et cette pandémie mondiale remettent en cause les frontières étatiques et exigent des politiques solidaires et coordonnées. Ces deux crises ont des ressorts sociaux, politiques et économiques, à toutes les échelles internationales, nationales, régionales et locales. Néanmoins, elles touchent de façon disproportionnée les populations selon leur degré de vulnérabilité. Or, elles posent les mêmes risques pour tous et toutes : perte massive de vies humaines, misère économique et dégradation de la santé et de la qualité de vie des communautés. 

Les causes structurelles : l’exploitation de la nature 

Les changements climatiques et la pandémie de COVID-19 partagent les mêmes causes structurelles. La destruction des écosystèmes à la base des changements climatiques est directement liée à l’augmentation des risques pandémiques. Le réchauffement de la planète et la perte d’habitat qui découlent de la déforestation impliquent notamment que les animaux se déplacent et entrent en contact avec d’autres espèces qu’ils n’auraient jamais rencontrées en temps normal, permettant ainsi aux agents pathogènes de s’accrocher à de nouveaux hôtes. Les pratiques de la mondialisation – augmentation des déplacements de populations, de biens et d’espèces – participe à l’accroissement de ces interactions. 

Même si pendant la dernière année des recherches ont démontré cette interrelation entre changements climatiques et risques de pandémies, on a tout de même été témoin d’une recrudescence des projets d’exploitation des ressources naturelles et des activités de déforestation à plusieurs endroits sur la planète. Au Brésil, par exemple, durant le mois d’avril 2020 seulement, la déforestation a augmenté de 64 %. Une tendance similaire a pu être observée en Inde en lien avec un nombre impressionnant de nouveaux projets extractifs.

Les changements climatiques et la pandémie de COVID-19 partagent les mêmes causes structurelles. La destruction des écosystèmes à la base des changements climatiques est directement liée à l’augmentation des risques pandémiques. 

Même au Québec, on pouvait lire dans le rapport gouvernemental Vision internationale du Québec qu’il existe encore un potentiel de développement des ressources naturelles dans la province. Bien que les contextes soient bien différents, il n’en demeure pas moins que cette idée d’exploiter encore davantage la nature est centrale dans les décisions gouvernementales.

L’annonce récente du gouvernement du Québec de refuser officiellement le projet de GNL Québec visant à construire une usine de liquéfaction de gaz naturel au Saguenay est toutefois un bel exemple des changements de trajectoire potentiels. Cela témoigne d’une plus grande considération des risques environnementaux, en plus de refléter une décision complexe qui tient compte à la fois les aspects économiques et sociaux des projets de ce type. 

Une crise sociale 

Plus que jamais, il est impératif de concevoir les changements climatiques et les pandémies comme relevant d’une seule et même crise sociale. De plus, les deux représentent un enjeu majeur de santé publique. Bien avant la pandémie, la pollution atmosphérique affectait déjà les diverses populations de bien des manières. En Inde, durant l’année 2017 seulement, 1,2 million de personnes en sont décédées. 

Ces deux crises s’imbriquent également dans un ensemble d’inégalités raciales, de genre, économiques, sociales et politiques qui amplifient mutuellement. Des recherches ont par ailleurs démontré que la désertification, la dégradation des sols et les phénomènes météorologiques extrêmes ont accru de 25% les inégalités globales au cours des 50 dernières années. Un récent rapport d’OXFAM soutient aussi qu’il faudra plus de dix ans pour que le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté dans le monde retrouve son niveau pré-pandémique. 

Quelles actions entreprendre? 

La période post-pandémie actuelle est cruciale, car elle offre un espace tangible de réflexion à l’égard des décisions économiques, politiques et sociales qu’il nous incombe de prendre afin de faire face aux risques climatiques et pandémiques;  il faut prévenir en agissant dès maintenant.

Pour des actions holistiques, féministes et décoloniales

La pandémie  a illustré la nécessité d’une vision globale, holistique et axée sur le bien-être, ce qui passe notamment par l’accroissement de nos solidarités envers l’Autre, et qui dépassent les frontières étatiques. Ceci étant, qui dit réponse holistique n’entend pas nécessairement « solutions homogènes » : l’approche doit être différenciée selon les contextes, les besoins et les réalités singulières des communautés. Elle prend aussi en considération la complexité des défis. Par exemple, les mesures de confinement peuvent être extrêmement désastreuse pour plusieurs personnes et communautés. Si même en Occident, et même directement au Québec, plusieurs individus en situation d’itinérance se sont retrouvées dans l’impossibilité de se confiner, cela s’est avéré encore plus problématique dans les pays du Sud Global, là où une grande partie de la population ne possède pas de maisons fermées et travaillent dans les secteurs informels de l’économie. 

C’est pourquoi les recherches liant écologie, féminisme et approche décoloniale sont cruciales : elles permettent de lever le voile sur l’imbrication entre le genre, la race, l’ethnicité, la caste, l’âge, l’handicap et les processus colonisateurs qui placent certains groupes en position d’infériorité. Cela permet aussi de mieux discerner les lieux où les désastres naturels ainsi que les changements climatiques ont le plus d’impact sur la vie quotidienne des gens. Concrètement, elles permettent de considérer les différents facteurs de vulnérabilités des populations pour mieux comprendre les mécanismes qui les positionnent comme tels.

Adaptation, prise en compte des risques climatiques et décolonisation des savoirs 

Les risques climatiques doivent impérativement être intégrés dans les décisions politiques et socioéconomiques. De même, les mesures d’adaptation aux changements climatiques, soit les stratégies et initiatives visant à réduire la vulnérabilité des systèmes naturels et humains, doivent faire l’objet de plus de financement et d’attention. Un récent rapport montre l’importance de ces politiques dans l’espace canadien permettant d’agir en amont, alors que le coût des catastrophes naturelles a bondi de 1250 % (!) au pays dans les 50 dernières années. 

Afin de relever ces défis en tenant compte des facteurs de vulnérabilités, les mesures d’adaptation doivent être accompagnées de réflexions sur les enjeux sociaux. La conservation des espaces naturels en tant que stratégie d’adaptation naturelle ne doit pas, à titre d’exemple, avoir pour effet d’accroître les inégalités sociales auprès des communautés déjà vulnérabilisées. Les peuples autochtones au Canada et ailleurs, les femmes et les classes socioécononiques défavorisées, sont effectivement souvent les personnes qui sont touchées le plus fortement par les mesures de conservation qui favorisent la préservation de l’écosystème au détriment de leur capacité à répondre à leurs besoins primaires, en plus de briser les liens qu’ils et elles ont développé avec la terre et l’environnement naturel.  

Les risques climatiques doivent impérativement être intégrés dans les décisions politiques et socioéconomiques. De même, les mesures d’adaptation aux changements climatiques, soit les stratégies et initiatives visant à réduire la vulnérabilité des systèmes naturels et humains, doivent faire l’objet de plus de financement et d’attention

C’est à ce moment que la décolonisation des savoirs devient essentielle. Les savoirs locaux sont souvent considérés comme étant en contradiction avec les mesures de conservation ou bien avec les projets de développement proposés par les gouvernements. Or, à titre d’illustration, plusieurs peuples autochtones ont développé des pratiques de gestion des espaces naturels d’une manière qui participe à leur régénération. Leurs corps sont imbriqués dans des territoires naturels et leurs modes de vie en sont l’extension : de ces pratiques regorgent des trajectoires alternatives et des savoirs situés géographiquement qui méritent d’être entendus, compris et valorisés. 

Pour cela, il est impératif que l’on commence à voir les mouvements de résistance contre l’exploitation des ressources naturelles et les critiques à la conservation comme étant positifs et riches en connaissance des milieux naturels. Il est essentiel que l’on ouvre les espaces de contestation et de négociation à toutes les échelles de la gouvernance, et que l’on considère davantage les vécus des personnes directement atteintes par les politiques mises en œuvre. 

Responsabiliser les États industrialisés et faire émerger des solidarités  

Dans ce contexte, la responsabilisation des pays industrialisés est centrale. Ils doivent à la fois s’occuper de réduire de manière draconienne leurs propres émissions de gaz à effet de serre, et d’accroître leur solidarité internationale et leur empathie à l’endroit des pays et des populations les plus vulnérables. Le Canada et le Québec pourraient à cet égard en faire beaucoup plus pour aider les réfugiés climatiques dont le nombre est en constante augmentation. 

Cette solidarité peut également se traduire par le développement de réseaux qui considèrent sérieusement les pesanteurs des rapports coloniaux. C’est-à-dire que l’espace doit s’ouvrir pour une réelle considération de perspectives économiques, de façons alternatives et différentes de penser et d’interagir avec la Terre. 

Dans ce contexte, la responsabilisation des pays industrialisés est centrale. Ils doivent à la fois s’occuper de réduire de manière draconienne leurs propres émissions de gaz à effet de serre, et d’accroître leur solidarité internationale et leur empathie à l’endroit des pays et des populations les plus vulnérables

Plus encore, les impacts localisés de nos actions dans les décisions politiques doivent absolument être considérés. Il est nécessaire, par exemple, que l’investissement dans le développement des technologies vertes et des énergies renouvelables soit accompagné d’un financement pour mesurer les impacts néfastes potentiels sur les communautés vulnérabilisées, tant au Québec qu’à l’international. Ces solutions sont souvent vues comme une panacée, alors que des études soulèvent déjà les risques de reproduire la même logique coloniale et destructrice. On peut ici penser aux déplacements forcés des communautés, de violation des droits humains et de pollution causée par l’extraction des minéraux nécessaires aux nouvelles technologies. 

Il est impératif de repenser notre rapport à la nature : pendant des années, nous avons entretenu le mythe que nous avions le plein contrôle sur elle. Toutefois, les risques climatiques et pandémiques qui nous guettent nous montrent le contraire. La sur-exploitation des ressources naturelles et la destruction des écosystèmes servent plutôt à un système basé sur la croissance infinie, et la captation de l’essentiel des richesses par une minorité, alimentant ainsi l’accroissement des inégalités qui à leur tour exacerbe la crise gobale. Ce sont donc les causes structurelles qui doivent être remises en question si l’on veut réellement bénéficier de ce momentum post-pandémique. 

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Références :

 


  • Catherine Viens
    Université du Québec à Montréal

    Catherine Viens est doctorante en science politique à l’Université du Québec à Montréal, coordonnatrice à la recherche du Centre d’études et de recherche sur l’Inde, l’Asie du Sud et sa diaspora, membre du Centre de recherches interdisciplinaires sur la diversité et la démocratie et chercheure à l’Observatoire canadien sur les crises humanitaires et l’action humanitaire. Elle est également responsable des projets spéciaux à l’Institut d’études internationales de Montréal et directrice générale pour le Québec de la Fundación Lüvo. Elle est spécialiste de l’Inde et dans les champs des études féministes du fédéralisme et des études critiques du développement et des changements climatiques. 

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