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Luc Godbout, Université de Sherbrooke

Il est rare qu’un chercheur revienne sur un texte publié un an plus tôt pour voir si ses réflexions ont évolué. Le 88e Congrès de l’Acfas m’a offert cette opportunité, soit celle de revoir un texte publié en avril 2020 sur la gestion des finances publiques québécoises de l’après-COVID, soit au début de la pandémie. 

Certes, les données économiques et budgétaires ont changé, mais avec le recul, je constate que le texte a plutôt bien vieilli. Retour sur les propos d’il y a un an.

Des déficits records inévitables

Incontestablement, le choc pandémique a eu d’importants effets négatifs sur l’économie, effets qui perdureront un certain temps encore (pertes d’emploi, secteurs au ralenti dont l’hébergement et la restauration, fermeture permanente de certaines entreprises, etc.)

D’entrée de jeu, je soulignais que des déficits records apparaissaient inévitables et ce fut le cas, particulièrement du côté du gouvernement fédéral. En s’appuyant sur les travaux du Directeur parlementaire du budget, les chiffres évoqués à l’époque pour l’année budgétaire 2020-2021 anticipaient un déficit fédéral à 184,2 milliards $. Au final, le budget présenté par la ministre des Finances, Chrystia Freeland, en avril 2021 indique un déficit prévu de 354 milliards $. Mesuré en proportion de la taille de l’économie (PIB), ce déficit équivaut à 16,1 % du PIB, un niveau jamais observé depuis la Seconde Guerre mondiale. Malgré tout, le gouvernement fédéral prévoit un retour, en 2025, à un niveau de déficit en % du PIB similaire à ce qui était prévu avant la pandémie. 

Du côté du Québec, dès le début de la pandémie en avril 2020, le ministre des Finances, Eric Girard, indiquait que le déficit se situerait entre 12 et 15 milliards $. Un an plus tard, lors du dépôt de son budget, le chiffre indiqué était de 15 milliards $. En juin dernier, le déficit attendu a été réévalué à 10 milliards $. Même si la situation semble moins défavorable pour le gouvernement du Québec, il faut souligner que pour retrouver l’équilibre budgétaire en 2027, comme indiqué dans le budget, le gouvernement devra combler un important écart à résorber de 1,3 G$ qui s’ajoute chaque année à partir de 2023-2024, et qui atteindrait 6,5 G$ en 2027-2028. À noter que les moyens pour y parvenir ne sont pas indiqués, mais cela suppose que des arbitrages devront être faits. 

Les finances publiques d’avant crise

Mes propos initiaux mettaient de l’avant que deux lois québécoises avaient contribué à l’assainissement des finances publiques, à savoir la Loi sur l’équilibre budgétaire (loi-ÉB) et la Loi sur le remboursement de la dette et instituant le Fonds des générations (Loi-FdG). Manifestement, les efforts réalisés au cours de 25 dernières années pour diminuer l’endettement se sont révélés salutaires pour affronter la pandémie. Évidemment, un an après la pandémie, il est possible de constater que la situation des finances publiques s’est détériorée, ne serait-ce que dû à la répercussion des déficits projetés sur le niveau d’endettement.

Manifestement, les efforts réalisés au cours de 25 dernières années pour diminuer l’endettement se sont révélés salutaires pour affronter la pandémie. Évidemment, un an après la pandémie, il est possible de constater que la situation des finances publiques s’est détériorée, ne serait-ce que dû à la répercussion des déficits projetés sur le niveau d’endettement.

Des lois bénéfiques qui ne doivent pas devenir des carcans

Je notais que les déficits anticipés pour les prochaines années, à cause de la crise de la COVID-19, ne feraient pas bon ménage avec l’application de la loi-ÉB qui apporte une difficile obligation d’équilibrer le budget. En ce qui concerne la loi-FdG, j’avançais que les cibles d’endettement seraient possiblement hors de portée. Devant ce constat, il était indiqué que si utiles soient-elles, ces lois pour discipliner le gouvernement ne doivent pas devenir un carcan trop contraignant pour les prochaines années.

À cet égard, il était déjà proposé, pour la loi-FdG, de simplement revoir les cibles de dette, tout en laissant le versement des sommes dédiées se poursuivre. En effet, la pandémie rend très peu probable l’atteinte des ratios de dette fixés par la loi. Lors du budget 2021, le ministre des Finances a confirmé le maintien des versements des sommes dédiées, mais également que la pandémie rendra nécessaire l’établissement de nouvelles cibles de réduction de la dette. Même si pour certains, maintenir les versements au Fonds des générations en période de déficit peut paraitre bizarre, la politique de remboursement de la dette reste un gage de préoccupation de la santé financière et de douci d’équité intergénérationnelle qui doit se poursuivre.

[...] la pandémie rend très peu probable l’atteinte des ratios de dette fixés par la loi. Lors du budget 2021, le ministre des Finances a confirmé le maintien des versements des sommes dédiées, mais également que la pandémie rendra nécessaire l’établissement de nouvelles cibles de réduction de la dette.

Pour la loi-ÉB, je marquais ma préférence pour permettre une résorption des déficits plus souple lorsque le PIB réel diminue sur une base annuelle, un critère se justifiant par sa rareté. Je proposais d’adapter la loi en ce sens, ce qui laisserait alors au ministre des Finances la capacité d’agir pour relever l’économie du Québec. Or, pour l’instant, la loi-ÉB n’a pas été modifiée; le gouvernement a plutôt choisi, lors du budget 2021, de la suspendre temporairement. Rappelons qu’elle avait aussi été suspendue lors de la récession de 2009. Ici, un an plus tard, je maintiens ma préférence à l’adaptation de la loi-ÉB plutôt qu’opter pour sa suspension lors de récessions.

D’autres défis toujours bien présents

En plus des nouveaux défis découlant de la crise de la COVID, le texte d’avril 2020 soulignait deux principaux enjeux du Québec existant avant la crise et qui demeurent également bien présents, à savoir : la soutenabilité budgétaire de long terme dans le contexte de la transition démographique (ou vieillissement de la population) ainsi que le financement de la nécessaire lutte aux changements climatiques.

Au moment d’écrire ces lignes, le défi de la transition démographique apparait plus réel que jamais, et ce, même si l’économie n’a pas encore récupéré tout le terrain perdu pendant la pandémie. La pénurie de main-d’œuvre dans plusieurs secteurs n’a jamais fait autant partie du discours ambiant. Même si ce phénomène ne constitue pas une véritable surprise pour qui s’intéresse aux effets de la transition démographique, il reste que l’une des données les plus frappantes du budget se trouve dans le tableau des perspectives économiques qui montre le taux de création d’emplois. La projection n’a jamais été aussi faible dans la dernière décennie. Après la récupération des emplois perdus à cause de la pandémie en 2021 et 2022, la création d’emplois projetée n’est que de 28 400 en 2023, de 17 200 en 2024 et de 16 800 en 2025. Pendant ce temps, l’Ontario prévoit créer 292 000 emplois au total en 2023 et 2024, soit près de 4 % du niveau d’emploi de 2019. Au Québec, pour ces mêmes années, ce taux dépassera à peine 1 %. Ainsi, l’évolution démographique, un des vecteurs de la croissance économique, affecte déjà le Québec. Qui plus est, la pandémie a aussi eu un effet important sur le nombre d’immigrant-e-s, risquant d’exacerber ce phénomène. L’Institut de la statistique du Québec souligne que le nombre d’immigrant-e-s internationaux a été de 25 000 en 2020 comparativement à une moyenne de près de 50 000 de 2010 à 2019. Les nouvelles projections démographiques de l’ISQ indiquent qu’au cours des 10 prochaines années (2021 à 2031), le bassin des travailleurs potentiels âgés de 15 à 64 ans ne croîtra que de 0,6 % au Québec alors que pour l’Ontario, la projection de Statistique Canada montre une croissance de 5 %. Évidemment, tout cela se traduira par une croissance économique plus modeste au Québec, rendant du même coup plus difficile le retour à l’équilibre budgétaire et son maintien dans les prochaines années.

Au moment d’écrire ces lignes, le défi de la transition démographique apparait plus réel que jamais, et ce, même si l’économie n’a pas encore récupéré tout le terrain perdu pendant la pandémie. La pénurie de main-d’œuvre dans plusieurs secteurs n’a jamais fait autant partie du discours ambiant.

Du côté de la lutte aux changements climatiques, plus les actions vertes seront nombreuses pour la relance, plus les effets seront favorables, mais inutile de dire que les efforts devront encore être accrus pour l’atteinte des cibles prévues.

Pour conclure, la situation actuelle des finances publiques est conforme au diagnostic initial posé au début de la pandémie. Manifestement, le chemin du retour à l’équilibre budgétaire sera parsemé d’embûches, que l’on pense aux écarts à résorber indiqués dans le budget 2021 et aux autres défis évoqués plus haut. Dans ce contexte, adapter nos lois à la faveur de la saine gestion des finances publiques reste à la voie à suivre.


  • Luc Godbout
    Université de Sherbrooke

    Luc Godbout est titulaire de la Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques de l'Université de Sherbrooke.

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