Les temps d’attente pour accéder à des services de physiothérapie au sein du système de santé public font couler beaucoup d’encre, tant dans les rapports officiels qu’à travers les témoignages dans les journaux, à la fois au Québec1, au Canada2 et dans le monde3. Au-delà des désagréments d’une attente prolongée, un long délai dans l’accès aux soins peut avoir des répercussions négatives sur la santé4. De plus, les temps d’attente ne sont pas répartis équitablement dans la population et pourraient creuser encore davantage les inégalités socioéconomiques5. Plusieurs solutions ont été proposées pour faire face à cette situation. Parmi celles-ci, les interventions en groupe présentent un potentiel des plus intéressants, et cela bien au-delà de la gestion des listes d’attente…
Intervenir en groupe dans le traitement des fuites urinaires
Dans le cadre de mes études doctorales, je suis devenue membre de l’équipe de la professeure Chantale Dumoulin au Centre de recherche de l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal.
La Pre Dumoulin, en réponse aux priorités établies par les femmes âgées elles-mêmes, a procédé à l’évaluation d’une intervention de physiothérapie de groupe pour l’incontinence urinaire. Cette approche est peu habituelle pour cet enjeu de santé encore tabou.
Sur le plan clinique, autant l’intervention en groupe que l’intervention individuelle plus classique ont mené à de très bons résultats, avec respectivement 74 % et 70 % de réduction des fuites urinaires maintenue après un an6. Intervenir en groupe sur cette question auprès des femmes âgées du Québec serait donc particulièrement pertinent dans le contexte où, malgré les recommandations de l’Institut national d'excellence en santé et en services sociaux (INESSS) en faveur de la physiothérapie du plancher pelvien7, des enjeux d’accessibilité persistent8.
Durant la pandémie, j’ai pour ma part adapté « en ligne » cette même intervention, dans le cadre d’un projet pilote. Les groupes de femmes se sont connectés par visioconférence 12 fois en autant de semaines pour recevoir de l’information sur la santé de leur plancher pelvien et réaliser ensemble des exercices sous la supervision d’une physiothérapeute. Sur le plan clinique, les résultats étaient aussi bons, avec une réduction des fuites de 71 % après les 12 séances – et le maintien de cette réduction de 73 % après six mois.
De plus, cette expérience m’a donné l’occasion d’observer la richesse des dynamiques interpersonnelles liées au format de groupe, ce qui m’a poussée à creuser la question des retombées de cette approche hors des mesures cliniques.
Les bénéfices psychosociaux du format de groupe
Au sein de mon projet doctoral, j’ai observé que les relations entre les participantes semblaient dépasser les aspects cliniques en se poursuivant hors du cadre « officiel ». En effet, j’ai constaté lors des séances hebdomadaires que leurs relations prenaient la forme d’échange de vœux en fin de séance, notamment pour un départ à la retraite, et plus encore, j’ai vu que des suivis mutuels de projets d’activités, tels que des voyages, émergeaient.
Globalement, ces femmes démontraient une attitude d’ouverture à l’autre et semblaient trouver un réconfort dans le fait de se savoir entourées. Les entrevues réalisées avec elles ont d’ailleurs confirmé ces observations. Autant les participantes que la physiothérapeute animant les séances ont souligné les bénéfices psychosociaux du format de groupe9. Le soutien mutuel, la valeur des interactions sociales et le fait de se sentir moins seules avec leurs symptômes étaient fréquemment rapportés10.
Par ailleurs, les effets cliniques prometteurs des interventions de physiothérapie en groupe ne se limitent pas aux cas de fuites urinaires. Dans le cours de mon doctorat, j’ai exploré plus largement le sujet afin de contextualiser mes résultats et de situer ma contribution au sein de la recherche existante. J’ai alors constaté que le format de groupe en physiothérapie avait fait l’objet de plusieurs travaux :
- Des études rapportant des résultats cliniques positifs pour diverses conditions, notamment musculosquelettiques11,14, neurologiques15,16 ou cardiorespiratoires17,18.
- Des études démontrant des bénéfices psychosociaux, notamment en réadaptation cardiovasculaire, oncologique, neurologique ou orthopédique19,22.
- Des études illustrant que l’approche de groupe :
- engendre un soutien et une validation qui augmentent la motivation19, 21;
- peut s’inscrire dans une démarche de création de liens sociaux et de déstigmatisation, tout en contribuant à cultiver l’espoir en observant les progrès et la résilience d’autres personnes faisant face aux mêmes défis20, 22;
- peut créer un espace d’échanges d’idées non seulement autour d’expériences, mais aussi de conseils de personnes partageant une réalité commune22.
En physiothérapie, l’adhésion aux exercices constitue la clé du succès. À ce titre, le format de groupe contribuerait à l’atteinte des objectifs cliniques en favorisant un meilleur engagement et la réalisation assidue des exercices.
Le format de groupe en soutien aux objectifs cliniques
En physiothérapie, l’adhésion aux exercices constitue la clé du succès23-25. À ce titre, le format de groupe contribuerait à l’atteinte des objectifs cliniques en favorisant un meilleur engagement et la réalisation assidue des exercices.
Plusieurs théories du changement comportemental identifient le groupe comme un des moteurs à sa base, à travers des concepts tels les « facteurs socio-structurels » ou les « normes subjectives », par exemple l’influence des pairs26, 27. Le groupe renforcerait aussi la motivation et le sentiment de compétence de diverses manières26, 27 :
- par l’observation de personnes aux profils similaires exécutant leurs exercices;
- par la persuasion verbale à travers les encouragements mutuels;
- par l’amélioration de l’état émotionnel émergeant des liens sociaux et du sentiment d’appartenance.
Les conditions de l’adoption du format de groupe
Malgré ces résultats cliniques prometteurs et des avantages psychosociaux indéniables, le format de groupe en physiothérapie demeure peu utilisé8, 28. Pour comprendre ce décalage, j’ai poursuivi mes travaux dans ce domaine au postdoctorat. En novembre 2024, j’ai ainsi intégré l’équipe de la professeure Maude Laberge à la Faculté de médecine de l’Université Laval, qui s’intéresse particulièrement à l’organisation des soins et à l’économie de la santé.
Dans mon nouveau projet, je cherche à déterminer les raisons qui influenceraient l’adoption du format de groupe chez les physiothérapeutes et les personnes qui les consultent. Je veux aussi estimer le poids de chacune de ces raisons. Mon objectif est d’établir ainsi des conditions prioritaires créant un contexte où le format de groupe serait adéquat pour les personnes qui offrent et celles qui reçoivent des services de physiothérapie.
Dans mon nouveau projet, je cherche à déterminer les raisons qui influenceraient l’adoption du format de groupe chez les physiothérapeutes et les personnes qui les consultent. Je veux aussi estimer le poids de chacune de ces raisons.
Références :
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- Institut national d'excellence en santé et en services sociaux (INESSS). La rééducation périnéale et pelvienne pour la prévention et le traitement des dysfonctions du plancher pelvien - Volet 1 : Incontinence urinaire Bibliothèque et Archives nationales du Québec: Gouvernement du Québec; 2022 [Available from: https://www.inesss.qc.ca/fileadmin/doc/INESSS/Rapports/OrganisationsSoins/INESSS_REPP_IU_volet_1_avis.pdf.
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- Le Berre M, Filiatrault J, Reichetzer B, Kairy D, Lachance C, Dumoulin C. 212 - Acceptability of Group-Based Telerehabilitation Pelvic Floor Muscle Training Program in Older Women with Urinary Incontinence: A Qualitative Study. Continence. 2024;12:101554.
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- Mélanie Le Berre
Université Laval
Mélanie Le Berre est stagiaire postdoctorale à l’Université Laval et au Centre de recherche en santé durable VITAM. Elle a remporté le Prix de la meilleure thèse des Études supérieures et postdoctorales (ÉSP) 2024-2025 de l’Université de Montréal dans le secteur Sciences de la santé; ses travaux portaient sur un programme de télé-réadaptation du plancher pelvien en groupe pour le traitement de l’incontinence urinaire auprès des femmes âgées. Elle s’intéresse à l’accessibilité de la physiothérapie et cherche à déterminer les conditions dans lesquelles le format de groupe serait un outil pertinent pour soutenir l’accès aux soins.
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