Mon constat le plus important a été de réaliser qu’au Canada, et ce propos est potentiellement généralisable aux pays produisant des énergies fossiles en grande quantité, les technologies de géo-ingénierie sont vues comme un « technofix » permettant de réduire la pollution issue d’une activité fondamentalement non durable.
En tant que chercheur, je suis le produit de ce qui m’intéresse
La manière dont on envisage les journées à venir en dit peu sur les probabilités que ces évènements se passent réellement. Cependant, cela en dit long sur ce que nous tenons pour acquis dans le monde.
Le même raisonnement s’applique selon moi vis-à-vis les espoirs que nous portons vers le futur. Si nous avons comme rêve de développer des solutions technologiques qui réglereront le problème du réchauffement climatique à notre place, qu’est-ce que cela dit-il de nous et de notre relation au monde?
Quand j’étais enfant, j’adorais écouter Comment c’est fait? et je lisais religieusement Les Débrouillards. Parmi mes premiers souvenirs, je retrouve les forêts de la baie James.
Sociologiquement, on peut parler de contexte de découverte ou de recherche lorsqu’on s’intéresse aux raisons pour lesquelles des activités scientifiques sont entreprises. Ici, je fais remonter le contexte de recherche à ma jeunesse. Ma famille m’a inculqué des valeurs environnementales. J’étais très curieux, et la science m’offrait chaque fois de plus grands horizons d’où émergeaient de nouvelles questions sur le monde qui m’entoure.
Tout ça pour dire : j’ai su, bien avant la définition de mon objet de recherche, que mon mémoire porterait sur des questions technologiques et environnementales.
« Ça serait pratique » : le souhait qu’une technologie solutionne le problème du réchauffement climatique
Les technologies de géo-ingénierie font grandement polémique, que ce soit dans le monde scientifique ou dans les débats publics. Elles sont parfois considérées comme la nouvelle panacée. Parfois encore, on les dépeint comme une autre excuse pour repousser à plus tard notre nécessaire séparation des énergies fossiles.
On reconnaît généralement deux principes à ces technologies : 1) soit on parle d’innovations visant à capter et à disposer des gaz à effet de serre causant le réchauffement climatique, 2) soit il s’agit de développer des techniques qui permettront d’artificiellement refroidir le climat de la planète.
On retrouve dans les technologies climatiques toutes les questions qui m’intéressent. C’est ainsi que mon sujet s’est fixé. Cependant, il m’apparaît important de mentionner que même lorsque le sujet de l’étude est déterminé, définir la bonne question peut prendre beaucoup de temps. Dans mon cas, cela m’a pris près d’un an et demi avant d’en arriver à sa forme finale :
Dans le contexte où les signataires de l’Accord de Paris ont établi l’objectif de limiter à 1,5°C l’augmentation de la température mondiale, et alors que les technologies de géo-ingénierie tendent à devenir une option privilégiée dans le bouquet des solutions pour lutter contre la crise climatique, comment s’articulent les discours institutionnels et médiatiques au sujet de ces technologies?
En posant cette question, l'idée était de documenter les différentes visions du rôle que devait jouer l’innovation technologique en regard de la lutte climatique. Je voulais retracer et rapporter les espoirs et les inquiétudes que divers acteurs faisaient porter à ces technologies climatiques. Je me disais que le rôle attribué aux technologies dans la résolution de certains problèmes de société pouvait vouloir dire beaucoup sur le monde auquel nous aspirons. C’était le début de l’année 2024.
Une recherche, c’est un bazar solitaire
Suite à cette étape, sur une quinzaine de mois, j’ai entrepris de comprendre quelles étaient les similitudes et les divergences dans les attentes et les promesses qu’attribuaient aux technologies de géo-ingénierie les organisations scientifiques internationales et les médias canadiens.
Je me suis appuyé conceptuellement sur la littérature scientifique traitant spécifiquement des attentes et des promesses pour réaliser cette analyse. Mettre l’accent sur la mise en forme d’attentes et l’énonciation de promesses m’a permis de mieux comprendre les effets et la portée des discours à l’étude.
Ces littératures expliquent que les visions que nous avons du futur exercent un effet sur le présent. Elles permettent ainsi d’étudier les discours qui portent sur des potentialités et de comprendre les effets qu’ils peuvent avoir sur le développement technologique. Car un discours qui est attrayant, qui présente une technologie comme ayant des bénéfices importants dont nous pourrions profiter si nous y investissons suffisamment, peut avoir comme effet d’engager nos collectivités dans le développement de ces technologies.
En ce sens, les espoirs et les doutes qui sont attribués à des projets technologiques à travers différents discours vont avoir un effet sur les technologies qui seront développées. Il est aussi important de rappeler que nos sociétés sont en partie façonnées par les technologies qui « habitent » avec elles. On comprend par ces relations que les discours technologiques ont des effets très concrets sur le développement de nos sociétés.
M’engager dans un travail de recherche de longue haleine, cela a été d’accepter qu’il faille momentanément tolérer la confusion. Cela m’a aussi demandé de faire la paix avec le fait que plusieurs fois j’allais avoir le sentiment de ne rien comprendre et de ne rien savoir. Parfois ces sentiments disparaissent rapidement, parfois ils durent des jours et des semaines. Je veux ici faire comprendre que lorsqu’on présente des résultats, on présente une version accomplie et stabilisée d’un processus qui s’est construit à travers plusieurs moments de mécompréhension. Le processus n’est pas linéaire. Par moments, on pense moins bien comprendre que la veille.
J’ai relevé et documenté le fait que les organisations scientifiques internationales tendaient à être ni très optimistes ni parfaitement sceptiques au sujet des technologies de géo-ingénierie. D’une part, elles considèrent que le potentiel de ces technologies est plutôt faible. D’autre part, ces organisations sont d’avis que nous devrions développer ces technologies malgré tout, car elles représentent des gains climatiques potentiels. Pour ces organisations, nous aurions l’obligation morale d’amoindrir les conséquences du réchauffement climatique, qui touchent particulièrement les populations déjà vulnérables. Toutefois, les scientifiques s’entendent pour dire que la première étape est de se séparer des énergies fossiles.
Du côté canadien, j’ai montré qu’une coalition d’acteurs s’était formée autour de la promotion des technologies de géo-ingénierie servant à capter et à disposer des gaz à effet de serre. Plus spécifiquement, la situation canadienne s’est démarquée par la prédominance des arguments économiques qui entouraient ces technologies. C’est qu’ici, il était mis d’avant que de telles technologies pourraient permettre de continuer d’exploiter les sables bitumineux tout en réduisant notre empreinte carbone. Les technologies de géo-ingénierie représentaient finalement une manière de continuer à exploiter des énergies fossiles tout en polluant potentiellement moins. On présentait aussi ces projets comme s’inscrivant dans une démarche de réconciliation économique avec les communautés autochtones des territoires concernés. Ces technologies étaient donc principalement justifiées par le fait qu’elles permettraient de préserver la structure économique du pays.
Les prophéties peuvent être fausses, cependant elles disent quelque chose sur les prophètes
Je suis parti du postulat qu’il est intéressant de réfléchir aux espoirs et aux doutes que nous projetons vers l’avenir, comme une manière de mieux comprendre notre rapport au monde et les aspirations que nous avons pour notre société. En m’appuyant sur des travaux scientifiques démontrant les effets qu’ont les discours sur le développement technologique et de ce fait, sur le développement de nos collectivités, j’ai voulu étudier l’idée selon laquelle des développements technologiques à venir nous permettraient de renverser le réchauffement climatique.
Mon constat le plus important a été de réaliser qu’au Canada, et ce propos est potentiellement généralisable aux pays produisant des énergies fossiles en grande quantité, les technologies de géo-ingénierie sont vues comme un « technofix » permettant de réduire la pollution issue d’une activité fondamentalement non durable. Ce constat ne rend pas plus facile la description de notre relation collective à l’environnement et au développement technologique; cependant, il permet de comprendre que les discours dominants sont d’avis que nous règlerons le problème du réchauffement climatique à travers le développement technologique. Il apparaît alors important de rappeler que le réchauffement climatique est un enjeu social et politique; il n’est pas un manque technique.
- Jérémy Lapointe
Polytechnique Montréal
Jérémy Lapointe est né au Lac-Saint-Jean, mais a grandi au Saguenay. Il est titulaire d'un baccalauréat ainsi que d'une maîtrise en communication, spécialisé en science, technologie et société (STS) de l'Université du Québec à Montréal. Il aime travailler sur des projets de recherche s'intéressant aux dimensions sociales et politiques de l'innovation technologique. Dans le cadre de son mémoire, il a étudié de manière comparative les attentes et promesses que portaient différentes technologies climatiques dans le contexte international et canadien. Il est aujourd'hui chargé de cours à Polytechnique Montréal, où il enseigne la sociologie de la technologie. Pour son doctorat, il compte étudier les justifications morales sous-tendant le développement de certaines technologies.
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