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Louis-Vincent Grand’Maison, Université Laval

Nous vivons à l'ère de la crise écologique, où la biodiversité des forêts du monde entier s'effrite un peu plus chaque jour. Pour la protéger, nous devons la comprendre et l'observer. Devant l’urgence, une question s’impose : comment percer les mystères de nos immenses forêts québécoises, ces écosystèmes complexes où la vie foisonne dans chaque recoin?

La réponse réside dans une alliance inattendue entre l’écologie et l’intelligence artificielle. Imaginez un drone, élégant et silencieux, survolant la canopée. À son bord, un compagnon technologique fascinant : une caméra hyperspectrale, qui documentera chaque passage au-dessus des arbres. Grâce à cet outil spécialisé, chaque vol s’apparente à une véritable expédition scientifique, une plongée dans l’invisible.

Voir l’invisible

« Qu’est-ce qu’une caméra hyperspectrale? », je vous entends marmonner tout bas. C’est un véritable bijou d’ingéniosité. Alors que nos yeux ne sont sensibles qu’à trois régions du spectre visible (rouge, vert et bleu), cette caméra décompose le spectre électromagnétique en environ 350 tranches très fines, un peu comme si elle passait la lumière du soleil au peigne fin. Mieux encore, elle nous permet littéralement de voir l’invisible, puisqu’elle couvre non seulement la portion visible du spectre électromagnétique, mais aussi la portion infrarouge, que nous ne sommes pas en mesure de percevoir. 

Exemples de signatures spectrales d'arbres indigènes au Québec. En guise de référence, la lumière visible ne représente que les longueurs d'onde entre 400 et 700 nm, le reste nous est complètement invisible à l’œil nu! / Crédits : Louis-Vincent Grand’Maison, Université Laval

Pourquoi est-ce ingénieux? Parce que chaque espèce d’arbre reflète la lumière solaire d’une façon qui lui est propre, un peu comme une empreinte digitale. Cette empreinte digitale lumineuse, on l’appelle la « signature spectrale » d’un arbre. Celle-ci nous permettra à la fois d’identifier l’espèce de chaque arbre, mais aussi de tirer des conclusions sur son état de santé. On pourrait par exemple savoir s’il manque d’eau ou de nutriments, ou encore constater s’il est atteint d’une maladie. Cela étant dit, bien que ces images hyperspectrales soient fascinantes, elles suscitent un léger embarras :  la quantité d’informations générée est si importante qu’il serait simplement impossible pour un humain de l’analyser à l’œil nu. En revanche, pour un ordinateur, c’est une autre histoire. Grâce à des algorithmes avancés, il devient possible de traiter toutes les données capturées par le drone pour en tirer des conclusions précises, notamment pour l’identification d’espèces d’arbres. C’est ici que l’intelligence artificielle entre en jeu, à travers un processus que l’on appelle « la classification par apprentissage supervisé ».

Former un botaniste virtuel

Louis-Vincent Grand’Maison échantillonnant des points de contrôle. Ces derniers serviront de référence terrain pour valider le positionnement spatial des images capturées par le drone / Crédits : Christian Larouche, Université Laval

Le principe de cette opération est somme toute assez simple : on apprend à un algorithme à reconnaître les différentes espèces d’arbres en lui fournissant des données provenant de spécimens préalablement identifiés. Par exemple, on pourrait lui fournir les signatures spectrales de 50 bouleaux blancs et de 50 sapins baumiers, chacune accompagnée d’une « étiquette » qui identifie l’arbre en question. L’algorithme va alors analyser ces données, repérer des motifs récurrents dans les signatures spectrales, et apprendre à distinguer les espèces. Une fois cet apprentissage réalisé, l’algorithme est prêt pour le véritable défi : identifier un arbre inconnu. En lui fournissant la signature spectrale d’un nouvel individu, il compare cette dernière avec les motifs qu’il connait. Puis, en se basant sur ces patrons, le modèle peut prédire quelle serait l’espèce la plus probable entre le bouleau ou le sapin. C’est comme si l’ordinateur devenait un botaniste virtuel, capable de faire des diagnostics rapides et précis, et ce, à l’échelle d’une forêt entière.

Et là, on commence à comprendre la véritable ampleur de ce que ces technologies peuvent accomplir pour soutenir le travail des chercheur·euses. Sur le terrain, identifier les arbres, évaluer la biodiversité, c’est un travail titanesque qui demande des heures, des jours, et parfois même des semaines de travail acharné. Il faut aussi se rappeler que les professionnel·les que l’on envoie en forêt pour réaliser des inventaires écologiques sont exposés à de nombreux dangers; il leur faut traverser des rivières, escalader des montagnes et surmonter des coups de chaleur, tout cela en regardant au-dessus de leur épaule de temps en temps, question de s’assurer qu’il n’y ait pas un ours à leurs trousses! Puis, si ces personnes rencontrent un problème, elles sont à des dizaines de kilomètres des services d’urgence. En contraste, avec les drones, on peut récolter des données sur plusieurs hectares de forêt en l’espace d’une demi-heure. En prime, ce sont des données si détaillées qu’elles surpassent de loin ce que l’œil humain pourrait remarquer. Puis, au passage, on épargne aux professionnel·les d’être confrontés aux risques présents en forêt.

Cartographier la biodiversité : un pas vers la préservation

Si l'imagerie hyperspectrale en foresterie n'en est encore qu'à ses débuts au Québec, plusieurs projets de recherche démontrent déjà son potentiel transformateur. Elle permet de détecter avec précision les stress environnementaux, les carences nutritionnelles et les signes précurseurs de maladies avant qu'ils ne deviennent visibles à l'œil nu. Pourtant, ce que nous observons aujourd'hui ne représente qu'une fraction de ce qui est possible. Comme un stéthoscope géant capable d'ausculter le pouls d'une forêt entière, cette technologie nous révèle l’état de santé de tout un écosystème. Elle dévoile les secrets enfouis sous la canopée, ces signaux vitaux que nous n'avions jamais su décrypter auparavant. 

Face à l’urgence climatique et à l’érosion rapide de la biodiversité, la technologie offre bien plus qu'une innovation technique, elle transforme notre relation à la forêt. Chaque vol de drone, chaque arbre échantillonné, enrichit notre compréhension collective du patrimoine forestier, comme une carte vivante révélant les trésors cachés et les failles à réparer. En décryptant les murmures de la forêt, nous écrivons une nouvelle page de son histoire, où science et préservation s'unissent pour léguer un riche héritage écologique aux générations futures.


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La 32e édition du Concours de vulgarisation de la recherche de l'Acfas est rendue possible grâce à la participation financière du gouvernement du Québec.


  • Louis-Vincent Grand’Maison
    Université Laval

    Louis-Vincent Grand’Maison est un passionné d’écologie et des milieux naturels. Au fil de son baccalauréat en environnement à l’Université Laval, il s’est familiarisé avec les grands enjeux contemporains liés à la crise climatique et à l’érosion de la biodiversité. C’est également lors de ses études de premier cycle qu’il prit conscience du manque de données précises sur les forêts Québécoises à une échelle fine, une lacune qui freine considérablement les efforts de conservation des milieux sensibles. Depuis 2024, Louis-Vincent entreprend une maîtrise axée sur l’identification automatisée des espèces d’arbres à l’échelle individuelle, en mobilisant des technologies émergentes telles que les drones et l’apprentissage machine. À travers sa recherche, il vise à exploiter les outils numériques les plus récents afin de contribuer à la transformation numérique de la gestion forestière et environnementale.

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