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Rodolphe Alquier, Université de Sherbrooke

Que diriez-vous de plonger au cœur de la matière, dans le royaume de la mécanique quantique, là où les habitant·es sont des ondes et des particules et où les lois n’ont rien à voir avec celles de la physique à l’échelle humaine? Dans ce qui va suivre, nous allons nous rendre à un bal afin d’observer la danse de petits êtres quantiques : les spins. Belle tenue exigée!

C’est quoi le spin?

Image 1 - Illustration du spin. Le spin est représenté par une flèche dont l’orientation indique la direction de l’aimant et dont la taille indique la puissance de l’aimant / Crédit : Rodolphe Alquier

Imaginez-vous une pomme puis coupez-la en deux. Prenez l’une des deux moitiés puis coupez-la en deux de nouveau. Recommencez avec le quart de pomme, puis le huitième, etc. Si vous répétez ce processus suffisamment de fois, vous obtiendrez un objet que vous ne serez plus capable de couper en deux : c’est l’atome. Maintenant, faites la même chose avec l’un des aimants collés sur votre frigo. En coupant votre aimant en deux, vous obtiendrez un nouvel aimant, plus petit que le premier. Si vous répétez cette découpe suffisamment de fois, vous obtiendrez un aimant que vous ne pourrez plus couper en deux : c’est le spin, le plus petit aimant de l’univers. Le spin est une propriété fondamentale de la physique, c’est-à-dire que chaque particule qui constitue la matière en possède un. Pour le représenter, on peut penser à une flèche magnétique dont la taille correspond à la force de l’aimant et dont l’orientation représente la direction de l’aimant (voir Image 1).

Entrons maintenant au cœur de la matière : je vous invite au bal des spins. Imaginez un solide constitué d’atomes, chacun possédant un spin. À haute température, les atomes ont chaud, ils ont beaucoup d’énergie, alors les spins tournent dans tous les sens. On peut s’imaginer qu’ils dansent mais de manière complètement désordonnée. Maintenant, si on baisse la température, les atomes vont avoir froid et les spins vont se « geler ». Cependant, ils ne vont pas figer n’importe comment. En effet, les spins vont soit se mettre d’accord pour tous être alignés dans la même direction – par exemple ils pointent tous vers le haut - ou bien  de pointer dans la direction opposée à celle de leurs voisins – par exemple un spin pointe vers le haut et l’autre vers le bas. C’est d’ailleurs ce mécanisme qui permet aux aimants de coller à votre frigo! En effet, si l’on pouvait zoomer au cœur de votre aimant, on pourrait voir pleins de spins qui pointent tous dans la même direction. Alors, si pleins de spins pointent dans la même direction, c’est comme si on avait un seul gros spin (donc une seule grosse flèche magnétique) qui pointe dans une seule direction, ou de manière équivalente un « gros aimant ».

Les liquides de spin quantiques : des aimants frustrés

Image 2 - Sur un triangle, trois spins cherchant à s’aligner dans des directions opposées ne pourront jamais se mettre d’accord : ils sont frustrés.

Maintenant, jouons à un petit jeu. Imaginez trois atomes sur un triangle, chacun possédant un spin qui ne peut pointer que vers le haut ou vers le bas (voir Image 2). Le but du jeu : faire en sorte que chaque spin soit dans une direction opposée à celle de ses deux voisins. On pourrait décider que le spin de l’atome en haut pointe vers le haut, puis que celui en bas à gauche pointe vers le bas. Mais maintenant, que fait-on pour celui en bas à droite? Si le spin pointe vers le haut, il est opposé à celui en bas à gauche mais pas à celui en haut. Et s’il pointe vers le bas c’est l’inverse. Les trois spins ne sont pas capables de se mettre d’accord sur la manière de geler : on dit qu’ils sont frustrés

Alors, plutôt que de se figer, chaque spin va continuellement alterner sa direction, en pointant vers le haut puis vers le bas. Les spins forment alors ce qu’on appelle un « liquide de spin quantique », qui est, contrairement à ce que le nom laisse penser, un solide. Un liquide de spin quantique est un état de la matière dans lequel les spins ne gèlent jamais, même à la plus basse température de l’univers. Moi j’aime bien dire qu’ils dansent et qu’un liquide de spin quantique n’est qu’un grand bal d’aimants. 

Mais alors pourquoi les liquides de spin quantiques intéressent-ils tant les scientifiques? L’une des raisons est que l’on pense que ceux-ci permettraient de mieux comprendre la « supraconductivité », un phénomène physique qui permet de transporter un courant électrique sans aucune perte. Grâce à ce phénomène, on pourrait stocker de l’électricité dans un système pour l’éternité. Cela pourrait avoir un impact écologique important, puisqu’on pourrait facilement stocker les énergies renouvelables, par exemple!

À la recherche des liquides de spin quantiques

Système d’IRM / Source : Adobe Stock

Afin de chercher les liquides de spin quantiques, plusieurs expériences existent. Pour ma part, j’utilise la résonance magnétique nucléaire (RMN). Rassurez-vous, le mot « nucléaire » n’est pas synonyme de danger. Cela signifie seulement que la RMN s’intéresse aux noyaux (« nucleus » en latin) des atomes! En effet, cette technique permet de sonder le spin des noyaux des atomes dans la matière. Celle-ci est d’ailleurs à la base du système d’imagerie par résonance magnétique (IRM) utilisé dans les hôpitaux – vous savez, ce gros tube dans lequel une personne entre afin que l’on puisse observer son cerveau, par exemple.

Quand vous entrez dans cette machine, un gros aimant aligne tous les spins des noyaux atomiques de votre corps. Ensuite, un autre champ magnétique s’occupe de tourner les spins d’une certaine partie de votre corps. Ces derniers vont alors chercher à se réaligner avec tous les autres. En se réalignant, ils émettent de la lumière que l’on peut détecter afin de reconstruire une image de votre corps. De mon côté, plutôt que de mettre un être humain dans le tube, je mets le matériau que je veux étudier. Grâce à cette technique, je suis capable d’observer et de comprendre comment se comporte le spin des électrons autour des noyaux : je peux alors savoir s’ils dansent ou s’ils sont figés! 

Alors on danse!

Mes recherches se sont intéressées jusqu’ici à un nouveau matériau à base d’atomes de titane qui serait potentiellement un liquide de spin quantique. Je l’ai donc exposé à des températures très froides : -272°C, soit 1°C au-dessus du zéro absolu! À cette température, j’ai observé que les spins continuaient de danser. Cependant, ce matériau dévie légèrement des conditions des modèles théoriques du liquide de spin quantique : il a des impuretés. Le but de mon projet est de comprendre l’impact de ces impuretés, savoir si elles empêchent l’existence d’un liquide de spin quantique ou non. 

Le fait que j’observe les spins danser à -272°C est un bon indicateur que ce matériau pourrait être un liquide de spin quantique, mais ce n’est pas suffisant. Il me reste à observer des particules très singulières, qui n’existent que dans les liquides de spin quantiques, qu’on appelle « spinons ». J’exposerai ensuite le matériau étudié à des températures encore plus froides, soit 0,01°C au-dessus du zéro absolu afin de voir si les spins continuent de bouger. Finalement, grâce à la RMN, je m’invite au bal des spins et je les regarde danser!


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La 32e édition du Concours de vulgarisation de la recherche de l'Acfas est rendue possible grâce à la participation financière du gouvernement du Québec.


  • Rodolphe Alquier
    Université de Sherbrooke

    Depuis son enfance, Rodolphe Alquier a toujours montré une certaine curiosité pour le fonctionnement du monde qui l’entoure, les lois qui régissent notre univers. Bien qu’il ait toujours eu un intérêt pour la physique, la découverte du film Interstellar de Christopher Nolan fut un déclic :  il voulait désormais s’engager pleinement dans l’étude de la physique. Il a ainsi entamé des études en physique à l’Université Paris-Saclay, afin d’y étudier l’astrophysique. Cependant, au cours de sa quatrième année, une rencontre avec un professeur - passionné et passionnant - de physique de la matière condensée l’a conduit à réorienter ses intérêts scientifiques. Séduit par la richesse théorique et expérimentale de ce champ, il a poursuivi dans cette voie. Il a donc complété un master en matière condensée à l’École Normale Supérieure d’Ulm, avant de rejoindre le laboratoire du professeur Quilliam à l’Université de Sherbrooke, où il effectue actuellement un doctorat consacré à l’étude des liquides de spin quantiques par Résonance magnétique nucléaire.

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