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Simone Caron, journaliste scientifique

« Chez les Noons, le mot musique n’existe même pas! Il est arrivé avec la colonisation. Mais on se rend vite compte que la musique – ou plutôt le rythme – fait partie de toutes les sphères sociales de cette communauté », raconte Anthony Grégoire, lauréat Québec des prix de thèse en cotutelle France-Québec 2023, parrainé par le ministère des Relations internationales et de la Francophonie du Québec. « Chaque famille, chaque maison développe une façon de rythmer son quotidien, ce qui crée une sorte de transmission familiale à travers la mère. On peut donc retracer l'histoire des groupes en étudiant leurs pratiques musicales. »

Noons
Illustration : Anna Binta Diallo

C’est au cégep, lors d’un voyage humanitaire au Sénégal, qu’Anthony Grégoire rencontre les Noons pour la première fois. À l’époque, il veut devenir guitariste jazz. Mais une curiosité naît au contact de la culture de ce peuple, ce qui le mène plutôt à un long parcours de recherche sur la musique et l’identité noon. Il étudie d’abord le chant choral des Noons pour sa maîtrise en ethnomusicologie, qu’il obtient en 2016. Puis, il poursuit son doctorat en cotutelle en anthropologie à l’Université de Montréal et en ethnomusicologie à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) à Paris. Sa thèse vise à comprendre l’évolution identitaire de ce peuple pendant la colonisation française, plus précisément aux 19e et 20e siècles, en se penchant sur ses pratiques musicales.

Les Noons (prononcé « none ») sont une communauté autochtone du Sénégal qui vit dans la région de Thiès, à environ 70 km de Dakar. Ils ont été le dernier groupe du Sénégal à résister à la colonisation française, qui a commencé au pays dès le 17e siècle, mais n’a atteint le territoire noon qu’en 1864. « Il y a eu des changements avec la colonisation, explique Anthony. Et puisqu’il a résisté longtemps, le peuple s’est fait stigmatiser au tournant du 20ᵉ siècle. »

Les Noons (prononcé « none ») sont une communauté autochtone du Sénégal qui vit dans la région de Thiès, à environ 70 km de Dakar. Ils ont été le dernier groupe du Sénégal à résister à la colonisation française, qui a commencé au pays dès le 17e siècle, mais n’a atteint le territoire noon qu’en 1864.

En tant que groupe ethnique minoritaire, les Noons avaient traditionnellement peu de liens linguistiques et culturels avec les autres communautés du pays. Toutefois, la stigmatisation les a poussés à se rapprocher d’un autre groupe plus populeux au Sénégal : les Sérères. « À cause de ce "portrait de la honte", une génération entière a voulu cesser de léguer la culture de son peuple, souligne Anthony. On a assisté à une rupture de transmission entre les deux grandes guerres mondiales. C'est dans ce contexte que s'inscrivaient mes recherches à la base. »

Anthony Grégoire précise qu’il n’a pas réalisé ses travaux dans une optique de patrimonialisation, car il croit fondamentalement que la culture évolue. « Je voulais voir comment ils avaient modulé leurs pratiques musicales, et comment elles reflétaient leur identité dans le temps. Je me suis aussi penché sur les effets du processus d’évangélisation, soit le passage de l'animisme au catholicisme dans la musique. »

Pour y arriver, Anthony s’est plongé dans un travail d’archives colossal. Il a vécu plus d’un an au Sénégal et s’est intégré aux Noons pour mener une démarche de bi-musicalité, une sorte d’immersion musicale où le chercheur devient aussi musicien et apprend à jouer de la musique avec la communauté. À travers cette aventure, Anthony a travaillé avec les Noons pour produire un film et un album de musique. « Je pense que plus on leur laisse un espace de parole et plus on les implique dans des projets concrets, plus ils acquièrent une sorte de pouvoir », explique l’ethnomusicologue. Enfin, il a codirigé un livre qui aborde cette dichotomie entre les chercheurs et la communauté dans un ouvrage collectif intitulé Artiste-chercheur.se sur le terrain, qui sera publié au printemps 2024.

« Je voulais voir comment ils avaient modulé leurs pratiques musicales, et comment elles reflétaient leur identité dans le temps. Je me suis aussi penché sur les effets du processus d’évangélisation, soit le passage de l'animisme au catholicisme dans la musique. »


  • Simone Caron
    journaliste scientifique

    Simone Caron a étudié à l’Université de Montréal, où elle a obtenu une maîtrise et un baccalauréat en géographie environnementale ainsi qu’un certificat en biologie. En 2022, elle a remporté la bourse Fernand-Seguin, ce qui l’a propulsée dans le monde du journalisme scientifique. Son objectif: faire le pont entre la science et la société.

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