Depuis 10 ans, près de 2000 étudiantes et étudiants à la maîtrise, au doctorat ou au postdoctorat sont passés par les Journées de la relève en recherche de l'Acfas. Que sont devenus ces participants et participantes des premières années? Nous avons posé la question à deux d'entre elles, qui seront aussi panélistes à la table ronde d'ouverture des Journées 2022, intitulée « L’avenir après les études supérieures – Parcours inspirants ».
Rencontre avec Lena A. Hübner, postdoctorante en histoire de l’art à l'Université McGill.
Racontez-nous votre parcours aux études supérieures et votre transition vers l’après-carrière universitaire. Votre situation actuelle est-elle un « accident de parcours » ou bien le résultat d'une décision planifiée, organisée?
Ma situation n’est pas un accident de parcours, bien qu’elle ne soit pas non plus le résultat d’une décision entièrement planifiée et organisée depuis la maîtrise. Originaire d’Allemagne, j’ai commencé une maîtrise en communication à l’UQAM en automne 2012. Après un baccalauréat en études francophones, l’équivalent des French Studies dans les universités canadiennes anglophones, j’avais entamé une courte carrière en relations publiques. Or, je me suis vite rendu compte que je ne voulais pas poursuivre dans cette voie. Ce qui me déplaisait le plus dans mon emploi d’attachée de presse était le manque d’autonomie et de créativité intellectuelle. J’ai donc décidé de faire une maîtrise en communication pour accéder à de meilleurs postes, des postes avec davantage de responsabilités. Pour ne pas perdre l’aspect francophone de mon baccalauréat, j’ai alors choisi de m’inscrire à l’UQAM, une université que j’avais découverte lors d’un stage à Montréal deux ans plus tôt.
C’est pendant cette maîtrise que j’ai développé une véritable passion pour la recherche universitaire, un secteur que je ne connaissais pas du tout avant; dans mon entourage familial, je suis la deuxième personne à finir une maîtrise, la première à obtenir un doctorat. J’ai donc abandonné l’idée d’une carrière en relations publiques en Allemagne pour me concentrer sur une carrière académique ici au Québec. Dès lors, j’ai commencé à faire des contrats de recherche, de correction, d’organisation d’activités scientifiques; je me suis impliquée au sein de comités et dans l’association étudiante. Ces engagements m’ont permis d’obtenir plusieurs bourses, dont celle du FRQNT pour étudiants étrangers1, qui ont grandement facilité l’entrée au doctorat.
J’ai continué à m’impliquer au cours du doctorat, mais de façon plus ciblée, en choisissant des postes ou emplois qui me permettaient non seulement d’être financées, mais aussi d’élargir mon réseau de contacts ou d’acquérir davantage de compétences en recherche. Je pense par exemple à des comités d’évaluation de programme ou à des comités éditoriaux de revues scientifiques par et pour la relève. Dans la même veine, j’ai commencé à enseigner au baccalauréat, j’ai donnée des conférences à l’international, j’ai écrit des articles et des chapitres de livres, et j’ai participé à des projets de recherche. Parmi ces opportunités, certaines étaient planifiées, d’autres m’ont été proposées de façon inattendue comme mon poste de coordonnatrice des activités scientifiques au Centre de recherche interuniversitaire sur la communication, l’information et la société (CRICIS), un emploi qui a finalement assuré le financement de mon doctorat après la fin de ma bourse du FRQ. Je ne l’appellerais toutefois pas un « accident de parcours ». Cette opportunité est le résultat de mes efforts de réseautage et de mes diverses implications qui ont fait de moi une candidate intéressante. De ce fait, j’ai deux premiers conseils pour le début du doctorat, voire de la maîtrise : 1) faire du réseautage et 2) s’impliquer auprès de sa communauté.
À la lumière de ce qui précède, il parait évident que mes engagements étaient tous destinés à acquérir des expériences qui me qualifieront pour des postes de professeure-chercheure. Ainsi, j’ai privilégié les opportunités qui impliquaient une publication, l’organisation de rencontres scientifiques ou des interventions en tant que panéliste. Pour ce faire, j’ai certes surveillé les offres de postes de mon département et les listes de diffusion reliées à mon champ, mais j’ai aussi osé demander à mon entourage, notamment à mon directeur de thèse et à d’autres professeur·e·s membres de mon centre de recherche.
Cela dit, les opportunités qui conviennent ne se présentent pas toujours. À titre d’exemple, mon sujet de thèse – les pratiques informationnelles en milieu populaire blanc au Québec – ne comptait pas parmi les priorités de recherche au sein de mon réseau ce qui compliquait mes efforts pour devenir assistante de recherche.
Un jour en 2016, j’ai fait part de cette frustration à une collègue lorsqu’on participait toutes les deux à une manifestation contre les violences sexuelles organisée par le mouvement #StopCultureDuViol. Ce mouvement, qui s’était largement déployé en ligne, nous intriguait. De retour à la maison, nous avons constaté qu’à l’époque, aucune recherche n’avait investi les mobilisations féministes en ligne au Québec d’un point de vue communicationnel. Par conséquent, nous avons pris une décision : on a lancé notre propre projet de recherche de façon autonome et en parallèle de nos thèses, de la demande du certificat éthique à la publication de deux articles dans des revues à renommée internationale.
Si je raconte cette histoire, c’est pour rappeler qu’il faut parfois être créatif et – dans la mesure du possible – créer ses propres opportunités. Ce projet mené auprès d’activistes féministes a façonné le postdoctorat que je mène actuellement à McGill. Il constitue une pierre angulaire de ma transition vers la vie après le doctorat. Je ne sais pas ce que cet avenir me réserve, si je vais rester dans l’univers académique ou pas. Mais, une chose est certaine : je ne regretterai pas mon parcours doctoral, ni ma décision de faire un postdoctorat. Au contraire, j’ai rigoureusement planifié ce postdoctorat depuis 2020, soit un an et demi avant de déposer ma thèse. D’abord, il m’a motivé à surmonter mes problèmes de concentration pour finir la thèse malgré une pandémie mondiale, car la bourse implique une date limite pour le premier dépôt. Et maintenant, il me donne un certain luxe que je n’avais pas auparavant : deux ans pour réfléchir à ma carrière sans pression financière.
Quels obstacles avez-vous rencontrés au sein de votre parcours? Quels conseils pourriez-vous donner à des chercheur-se-s de la relève qui traversent ces mêmes épreuves?
Sommes toute, j’étais assez chanceuse. J’ai toujours réussi à obtenir un financement ou un contrat assez stable pour ne pas me retrouver dans une situation financière préoccupante, même pendant la pandémie. Cependant, je suis devenue maman pendant mon doctorat. Cela dit, je tiens à souligner toute de suite que je trouve dangereux de parler de la parentalité aux cycles supérieurs comme un obstacle. Considérer le fait d’avoir des enfants comme un frein à la carrière académique peut, à mon avis, perpétuer une mentalité antiféministe que l’on souhaite pourtant éliminer et qui contribue à reproduire la division sexuelle des rôles assignant la prééminence aux femmes pour l’encadrement des tâches familiales et aux hommes pour la carrière professionnelle. À mon avis, il vaut mieux envisager la parentalité étudiante comme une source de richesse, d’excellence et d’innovation pour les institutions d’enseignement.
Néanmoins, il faut avouer que les établissements d’études supérieures peinent bien souvent à instaurer une réelle reconnaissance du travail de soins accomplis par les parents-étudiants ainsi que des droits de cette population. De ce fait, il n’est pas surprenant que la conciliation études-recherche-famille est souvent écartée dans les débats sur la planification de carrières en recherche camouflant ainsi différents types d’inégalités qui traversent le domaine académique.
La pandémie a exacerbé ces inégalités. À titre d’illustration, un rapport du Groupe de recherche d’intervention régionale de l’UQAC sur l’expérience vécue de la COVID-19 par la population étudiante montre que les mères comptent parmi les groupes qui ressentent le plus de mécontentement par rapports au respect des accommodements universitaires pour faire face à la pandémie. « L’accueil des différentes instances devant leurs questionnements et l’expression de leurs besoins n’a pas toujours été satisfaisant », constate le rapport (GRIR, 2020, p. 153). D’autres recherches internationales consacrées à l’égalité entre hommes et femmes universitaires pendant la pandémie confirment que les mères universitaires ont porté de façon disproportionnée la charge qui vient avec les responsabilités supplémentaires en matière de soins ou d’enseignement à domicile (Myers et al., 2020). En 2020, elles signalaient une forte diminution des heures travaillées, alors qu’on observait une tendance à la soumission de manuscrits à la hausse chez leurs homologues masculins (Cardel, Dean et Montoya-Williams, 2020). Bien que ces inégalités soient bien documentées, y compris leur exacerbation depuis le début de la crise, très peu de choses ont changé. Le Régime québécois d'assurance parentale par exemple n’est toujours pas adapté à la réalité étudiante, car il ne considère pas les bourses comme un revenu. Par conséquent, les étudiantes se retrouvent souvent avec le montant minimum – alors qu’elles avaient auparavant un bon revenu combinant bourses et salaires – et sont forcées à reprendre le travail plus tôt. Dans mon cas, les montants était tellement minimes que mon conjoint – qui n’est pas étudiant – a pris le plus de semaines de congés possibles et moi le strict minimum. Or, ce n’est pas tout le monde qui peut s’arranger ainsi.
En tant que mère ayant effectué un terrain de recherche en plein confinement, je souhaite alors témoigner de ces inégalités en revenant brièvement sur ma propre expérience tout en partageant quelques stratégies pour finir son mémoire ou sa thèse sans pour autant s’épuiser ou négliger ses responsabilités parentales.
Sans entrer dans les détails de ma recherche, j’ai été en 2020 confrontée à plusieurs défis pour finir mon doctorat. Premièrement, j’ai dû changer de méthodologie, car l’accès à mon terrain était soudainement devenu impossible. Deuxièmement, j’étais forcée à travailler à temps partiel après la fermeture des garderies afin de pouvoir prendre soin de mon fils qui avait 13 mois à l’époque. Troisièmement, je peinais à gérer le stress causé par cette maladie et le fait d’être loin de mes parents installés en Allemagne et qui font partie d’un groupe à risque. Alors que surmonter le premier défi est étroitement relié à mon domaine de recherche, les deux autres sont des enjeux transdisciplinaires qui ne se restreignent pas forcément à des périodes de confinement. C’est pourquoi je reviendrai maintenant sur des stratégies qui m’ont aidées dans ces deux cas :
La première stratégie consiste en une bonne communication avec son entourage. Il faut clarifier ses besoins et partager les tâches familiales de façon équitable dans la mesure du possible. Dans mon cas, la situation financière de ma famille a permis d’instaurer un horaire clair pour la garde des enfants duquel j’ai insisté qu’il soit strictement respecté. Cela parait simple, mais ce ne l’est pas toujours : il faut essayer que chaque partenaire puisse s’épanouir professionnellement, passer du temps avec les enfants et avoir des moments pour soi (sport, cercle amical, etc.) et ce, sans perdre trop de ses ressources économiques. C’est un casse-tête pour les familles avec deux parents – alors imaginez les familles monoparentales –, mais la communication claire évite au moins que des frustrations s’accumulent.
La deuxième stratégie vise à s’informer sur les ressources d’aide offerts aux parents-étudiants. À l’UQAM, il existe un comité qui regroupe des centaines d’étudiant·e·s qui mènent un projet universitaire tout en assumant des responsabilités parentales. Ils offrent différents services, dont une friperie, un service de halte-garderie, des bourses et des aides alimentaires, et du soutien pour les conflits avec le corps professoral. Si cela n’existe pas dans votre université, faites connaître votre réalité pour que cela change.
La troisième stratégie relève de l’aide psychologique. Un mauvais état de santé mentale n’aide ni aux études, ni à la vie familiale. Plusieurs universités offrent des services gratuits ou à moindre coût qui sont en outre plus rapidement accessibles que ceux du système public. Encore une fois, si cela n’existe pas dans votre université, parlez-en à votre association et exigez-le.
La quatrième stratégie a pour but d’éviter l’isolement. Participez à des rencontres scientifiques, même en ligne. Allez sur le campus s’il est accessible. Parlez de votre thèse à tout le monde. On a souvent l’impression qu’on n’est pas encore assez avancé, mais à vrai dire, vous en savez probablement plus sur votre sujet de recherche que trois quarts des personnes que vous allez rencontrer au courant de votre carrière. Et si le contraire s’avère être le cas, tant mieux! Vous avez trouvé une personne qui peut vous aider.
La cinquième stratégie consiste en l’évaluation réaliste des objectifs que l’on s’impose « soi-même ». On est souvent porté à être trop optimiste. Évitez les listes de taches à l’infini. Ça ne motive pas. Dressez une liste et coupez-là de moitié. Si vous n’y arrivez toujours pas dans la journée, coupez encore une fois. De cette façon, on peut évaluer ses capacités de travail pour une journée, une semaine, un mois, voire un an. Si on planifie bien, on se réjouie de ses accomplissements et on évite de se sentir coupable, et ce, même si la seule chose que l’on a fait de sa journée est d’écrire une page et demie de sa thèse. On a avancé, c’est ce qui compte.
Pour finir je tiens à souligner que les institutions valorisent souvent les solutions individuelles aux défis d’un parcours aux cycles supérieurs. Cela peut être encourageant dans certains cas, car il existe des solutions facilement applicables comme de réduire l’anxiété de performance en faisant plus de sport. Toutefois, cela peut aussi être décourageant dans la mesure où cette approche nous rend entièrement responsable de notre propre sort et écarte une réflexion sur le contexte social plus large qui détermine aussi nos activités. De ce fait, mon dernier conseil, est de pratiquer le doute systémique, questionner les services qui vous sont offerts ou imposés et pensez aux biais qu’ils induisent. Il s’agit là d’une compétence clé de notre métier qui vous outille en même temps pour changer le statu quo.
Qu’est-ce que « réussir » sa carrière en recherche, pour vous? Que ce soit au doctorat, au postdoctorat, au sein ou hors du milieu académique?
Le mot-clé pour répondre à cette question est « sa ». Il faut bien réussir « sa carrière » et non celle de quelqu’un d’autre. Selon moi, il est crucial qu’une carrière corresponde aux valeurs, intérêts, passions et forces professionnelles tout comme aux ambitions familiales et privées de la personne qui l’entreprend. Chaque parcours est unique. Tout le monde ne poursuit pas le même objectif en s’inscrivant dans un programme de 2ème ou 3ème cycle. Reconnaître cette diversité dès le début de son parcours en recherche aide à réduire le stress et l’anxiété causées par les comparaisons – souvent décontextualisés – entre les pairs (e.g. le nombre de publications, de cours dispensés, de bourses, etc.).
À partir de là, il faut prendre au sérieux la réflexion sur ces valeurs, intérêts, passions, forces et ambitions familiales en évitant toutefois de se donner trop de pression, notamment au début. Les motivations qui poussent une personne à s’inscrire au doctorat ou à la maîtrise ne correspondent pas forcément à la carrière que l’on choisit finalement à poursuivre. Un doctorat par exemple, ce sont quatre à cinq ans de formation intensive permettant d’acquérir des compétences variées : la recherche, certes, mais aussi l’enseignement, la coordination, la communication, la rédaction, la planification d’événements, la recherche de financement, etc. Ce sont des compétences transversales dont l’application professionnelle ne se restreigne pas à l’univers académique. Or, il faut se donner le temps de les acquérir avant de trancher sur ses préférences. En ce sens, il est tout à fait souhaitable de réévaluer ses objectifs de carrière en cours de route.
Si cela reste une réflexion vague au début du doctorat ou de la maîtrise, cela doit se concrétiser en cours de route. À titre d’exemple, on peut s’inscrire au doctorat dans l’objectif de devenir professeur·e d’université. On poursuit ses études, on excelle, mais lorsqu’on se fait attribuer ses premières tâches d’enseignement, on réalise que ce n’est pas une avenue que l’on souhaite poursuivre. À ce moment-là, il faut revoir si devenir professeur·e d’université correspond encore pleinement à ses intérêts ou si d’autres options de carrière ne conviendraient pas mieux. Si cela est le cas, on doit réévaluer les moyens pour y arriver. Le C.V. d’une personne qui poursuit une carrière académique n’est pas celui d’une personne qui veut travailler dans la fonction publique ou encore dans l’industrie!
Force est de constater, que de telles réflexions peuvent causer de l’anxiété dans une société comme la nôtre qui valorise la productivité. L’université n’en fait pas exception, au contraire. De plus, la recherche d’emplois en dehors de ses murs est encore souvent associée à l’échec, un mythe qui commence à se dissiper – grâce entre autres au travail de l’équipe de l’Acfas. Cela dit, personne n’a besoin de décider du jour au lendemain. Il existe de multiples possibilités de financement de stages pour découvrir différents secteurs d’avenir en recherche. Je pense, par exemple, à la bourse de stage en milieu professionnel du FRQSC, aux bourses MITACS pour travailler au sein d’une entreprise ou encore à celle de la Fondation Jean-Charles-Bonenfant pour découvrir la fonction publique. Ce sont des bourses de stage qui démarquent le C.V. au-delà des publications et qui permettent de se faire connaître dans le milieu envisagé.
Enfin, « réussir sa carrière » signifie pour moi aussi « réussir sa santé mentale ». Plusieurs études le démontrent : la dépression clinique, l’angoisse et autres problèmes de santé mentale sont de plus en plus fréquents aux cycles supérieurs (FAECUM, 2016; Lessard, 2016; Satinsky et al., 2021). L’Union étudiante du Québec a publié en 2019 son premier bilan du bien-être psychologique de la population étudiante constatant qu’environ 58 % parmi l’ensemble de ses membres présente des symptômes de détresse psychologique et 7,7 % évoque avoir déjà eu des pensées suicidaires. La pandémie a empiré la situation. Solitude, stress, manque de sommeil, précarité financière et manque de soutien de la part des universités y ont contribué.
Il y a certes des choses qu’on peut faire au niveau individuel. Par exemple, clarifier ses limites avec la direction de thèse, mais aussi au sein des projets de recherche, dans les collaborations étudiantes et dans l’enseignement. Tout le monde a le droit à la déconnexion, à une vie privée, amoureuse et familiale. On peut apprendre à mieux s’organiser comme le montre Geneviève Belleville dans son livre Assieds-toi et écris ta thèse (2014) que je recommande fortement. Il est également possible de veiller sur sa santé physique, pratiquer du sport, bien manger, se récompenser pour le temps assis devant un ordinateur. Le bien-être physique et mental demande du travail qui n’est pas à négliger.
Cela dit, un bon équilibre travail-sport-famille ne ressoudera pas tout! À moyen terme, on ne peut pas éviter la pression académique. Tout le monde fait face à des moments où le climat de compétitivité finit par nuire aux bonnes intentions. Après tout, ce sont souvent le nombre des publications, des communications ou des implications sociales qui décident de l’obtention (ou non) d’un poste ou d’un financement. « Nous devons réintroduire une réflexion sur la finalité de notre travail pour lutter contre la colonisation capitaliste de notre mode de raisonnement, aujourd’hui centré sur l’efficacité et la quantité », écrit la professeure de l’UQAC Sophie Del Fa (2021, paragraphe 19) dans un article sur la santé mentale de la communauté de la recherche universitaire. Pour véritablement prendre soin les uns des autres, avance-t-elle, il faut s’organiser collectivement et repenser nos conditions de travail de demain. J’ajouterais que la voix de la relève ne doit pas être écartée sur cette question. On ne peut plus passer sous silence les problèmes systémiques qui se cachent derrière les symptômes que sont la dépression ou l’anxiété. Et heureusement, les efforts ne sont pas toujours en vain! Le travail de l’Union étudiante du Québec par exemple a mené au lancement, en 2021, d’un plan d'action gouvernemental sur la santé mentale étudiante en enseignement supérieur. Plusieurs universités ont alors augmenté leurs offres de services, qui, je l’avoue, ne sont pas toujours évidents à dénicher. D’autres ne sont pas disponibles pour tous ou n’adressent pas des enjeux vécus par certains sous-groupes de l’ensemble de la communauté étudiante, une communauté qui n’est évidemment pas un groupe homogène. Je pense notamment aux étudiant·e·s étranger·ère·s sans accès à la RAMQ ou aux parents-étudiants qui jonglent avec le trio horaires de cours, horaires de garderie et horaires de travail rémunéré. Il reste encore du travail à faire.
En ce sens, « réussir sa carrière en recherche » est pour moi autant synonyme de persévérance et d’objectifs individuels planifiés, poursuivis et accomplis que de résistances inachevées et de luttes contre des inégalités sociales persistantes dans notre domaine.
Références
- Belleville, G. (2014). Assieds-toi et écris ta thèse ! : trucs pratiques et motivationnels. St-Foy : Presses de l’Université Laval.
- Cardel, M.I., Dean, N. et Montoya-Williams, D. (2020). Preventing a Secondary Epidemic of Lost Early Career Scientists. Effects of COVID-19 Pandemic on Women with Children. Annals of the American Thoracic Society, 17(11), 1366-1370. DOI : 10.1513/AnnalsATS.202006-589IP
- Del Fa, S. (2021, 20 décembre). Je suis prof et… sous antidépresseurs. Correspondance, le journal des profs de l’UQAC. Récupéré de https://correspondance.info/?p=856
- Fédération des associations étudiantes du campus de l’Université de Montréal (FAECUM).(2016). Enquête sur la santé psychologique étudiante. Rapport adopté par le Conseil central.
- Flynn, C., Brault, M.-C., Pouliot, É., Godin, J., Bernet, M., Carrier, É., Dubois, P., Turcotte, S., Dion, J., Paquette, L. et Parent, A. M. (2020). Pas tous dans le même bateau face à la pandémie – Lorsque la distanciation physique rend visibles les inégalités entre les étudiant.es de l’UQAC. Dans Cherblanc, J., Dorais, F.-O., Tremblay, C. et Tremblay, S. (dir.), La COVID-19 : un fait social total. Perspectives historiques, politiques, sociales et humaines (p. 144-154). Chicoutimi : Groupe de recherche d’intervention régionale de l’UQAC.
- Lessard, F.-E. (2016). Enquête sur la santé psychologique étudiante : quand la parole rejoint la théorie. Dossier Santé psychologique des étudiants chercheurs. Découvrir magazine de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS). Repéré à http://www.acfas.ca/publications/decouvrir/2016/12/enquete-sante-psycho…
- Myers, K.R., Tham, W.Y., Yin, Y., Cohodes, N., Thursby, J.G., Thursby, M.C., Schiffer, P.E., Walsh, J.T., Lakhani, K.R., Wang, D. (2020). Quantifying the Immediate Effects of the COVID-19 Pandemic on Scientists. arXiv.org. Récupéré de https://arxiv.org/ftp/arxiv/papers/2005/2005.11358.pdf
- Satinsky, E.N., Kimura, T., Kiang, M.V. et al. Systematic review and meta-analysis of depression, anxiety, and suicidal ideation among Ph.D. students. Sci Rep 11, 14370 (2021). https://doi.org/10.1038/s41598-021-93687-7
- Union étudiante du Québec (2019). Rapport – Santé psychologique – Enquête « Sous ta façade ». Repéré à https://unionetudiante.ca/download/rapport-sante-psychologique-enquete-…;
- 1À l’époque, les concours de bourses de doctorat du CRSH et du FRQSC n’étaient pas ouverts aux étudiant·e·s étranger·ère·s. Seule une bourse du FRQNT s’offrait à ce groupe cible toutes disciplines confondues.
- Lena A. Hübner
Université McGill
Après un doctorat en communication à l’Université du Québec à Montréal, Lena A. Hübner est maintenant boursière postdoctorale (FRQSC 2022-2024) au Département d’histoire de l’art et des études en communication de l’Université McGill. Sous la supervision de la professeure Carrie Rentschler, elle étudie le rôle que joue la cyberviolence dans les pratiques informationnelles numériques au prisme de la classe, de la race et du genre dans le contexte québécois. Lena A. Hübner s’intéresse également à la pauvreté, l’activisme féministe contre les violences sexuelles et au rôle que joue la blanchité dans la recherche universitaire. Elle a notamment co-écrit l’article Mobilisations féministes sur Facebook et Twitter: Le cas du mouvement #StopCultureDuViol au Québec (2020) publié dans la revue Terminal.
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