L’examen des réalités propres aux universités en région appelle une analyse différenciée de leurs populations étudiantes. Dans le cadre du présent dossier, l’Union étudiante du Québec (UEQ) souhaite donc brosser un portrait national de la précarité financière étudiante, tout en apportant un éclairage sur la réalité des personnes étudiantes en région.
Ce portrait s’appuie sur le Rapport sur le financement et l’endettement des étudiant·es universitaires du Québec, publié en 2023 par l’UEQ, en collaboration avec le Groupe de recherche en économie publique appliquée (GRÉPA). Au total, 12 216 personnes étudiantes réparties dans 13 universités1 ont répondu au questionnaire concernant leur condition financière. Ce rapport est le premier document évaluant en détail ces conditions, ainsi que les effets d’une réforme déclinée en plusieurs scénarios hypothétiques du programme de l’Aide financière aux études (AFE).
Ce portrait inclut aussi une enquête réalisée par la firme de sondage Léger sur l’insécurité alimentaire auprès de la population étudiante en milieu d’enseignement supérieur, réalisée en 2024.
Conditions financières et endettement étudiant
Pour mesurer les conditions financières et l’endettement étudiant, nous avons sélectionné diverses variables, dont les prêts contractés et les dépenses des personnes étudiantes.
Une personne étudiante dépense en moyenne 31 566 $ par an. Les frais de logement constituent la plus grande source de dépense pour la population étudiante globale, suivis des frais de scolarité, de l’alimentation et du transport. Pour les personnes bénéficiaires de l’AFE, les plus gros postes de dépenses sont (dans l’ordre) le logement, l’alimentation et les frais de scolarité.
En s’attardant sur les données selon la variable régionale, il en ressort que les personnes étudiantes y correspondant ont les dépenses annuelles les plus élevées en moyenne, devant celles vivant à Montréal, à Québec, et dans les autres grands centres :
- Régions : 28 978,18 $
- Montréal et Québec : 28 397,70 $
- Autres grands centres : 27 947,14 $.
Plus précisément, les dépenses en transport et en alimentation des personnes résidant en région sont plus élevées que celles résidant à Montréal ou Québec. Pour sa part, la communauté étudiante résidant dans la région de Montréal ou Québec consacre légèrement plus de leur budget à son logement, devant les personnes résidant dans les autres grands centres, ou les régions.
Figure 1 : Répartition du montant total des dépenses par source
Tableau 1 : Dépenses mensuelles selon le lieu de résidence et la composition du ménage
L’UEQ craint que de telles dépenses, sans aide financière adéquate de la part du gouvernement, représentent un frein à l’accès à l’enseignement supérieur, particulièrement dans les régions.
La communauté étudiante contracte, en moyenne, une dette de 11 735 $ par personne. Quelques 83,5 % de ces prêts proviennent, soit des programmes de prêts et bourses de l’AFE, soit de prêts bancaires. La part des prêts contractés auprès du programme de l’AFE provincial est, quant à elle, de 44,2 %. Les prêts bancaires représentent 41,1 % des prêts totaux. Concernant les personnes étudiantes admissibles à l’AFE, les prêts bancaires représentent tout de même 38,8 % de leurs prêts totaux. La proximité des parts des prêts bancaires et des prêts de l’AFE peut s’expliquer du fait que les montants des prêts bancaires sont quatre fois supérieurs à ceux des prêts octroyés dans le cadre de l’AFE. En effet, en moyenne, les prêts octroyés par l’AFE sont de 5 854 $. Les montants des prêts bancaires sont de 22 892 $ en moyenne.
Le rapport permet donc de pointer une volonté des personnes étudiantes, y compris celles qui sont admissibles au programme de l’AFE, de se tourner vers les institutions bancaires pour assumer leurs dépenses quotidiennes. Ce constat repose sur deux aspects selon l’UEQ.
D’une part, la forte part de l’endettement étudiant auprès des banques soulève un enjeu de publicisation et de simplification des démarches du programme. En effet, la complexité et la lourdeur administrative entourant le processus de dépôt de demandes au programme de l’AFE peuvent décourager. Les personnes étudiantes peuvent conclure, par exemple, qu’elles ne sont pas admissibles en raison d’une mauvaise compréhension des règles. De même, à l’instar de l’UEQ, le Comité consultatif sur l’accessibilité financière aux études (CCAFE) souligne une faible diffusion du programme, ce qui expliquerait la baisse de participation entre 2015-2016 et 2019-2020.
Pour tenter de remédier à ces lacunes, le gouvernement met à la disposition de la communauté étudiante des guides sur le calcul des aides octroyées. Il a même entrepris, pour l’année d’attribution 2024-2025, une campagne de publicité qui semble avoir eu un impact sur le nombre de dépôts. Malgré cela, l’UEQ milite pour que le gouvernement simplifie le processus, et mette continuellement de l’avant les programmes de l’AFE tout en facilitant l’accès et en contrant l’endettement auprès des banques privées.
D’autre part, les montants des aides octroyées par l’AFE aux personnes bénéficiaires ne répondent pas aux besoins et poussent à s’endetter auprès des banques. L’UEQ préconise une refonte des critères utilisés pour le calcul des dépenses admises octroyées afin de correspondre aux réalités étudiantes. Une mise à niveau des calculs correspondant aux postes de dépenses du logement ou de l’alimentation est une des avenues à explorer. Le revenu protégé accordé aux personnes étudiantes doit aussi être ajusté. Ce revenu correspond à la protection maximale dont peut bénéficier une personne étudiante. Souvent, mais non pas limitativement, ce revenu protégé permet de ne pas prendre en considération les revenus d’emploi d’une personne étudiante qui travaille pendant la saison estivale dans les calculs de la contribution étudiante nécessaire pour établir l’aide touchée par la personne au programme de l’AFE.
Insécurité alimentaire dans le milieu de l’enseignement supérieur
Les dépenses pour se nourrir adéquatement ont pour conséquence de plonger la population étudiante dans l’insécurité alimentaire.
Selon l’enquête de l’UEQ de 2024, 33 % des personnes répondantes ont connu une forme d’insuffisance alimentaire au cours des douze mois précédant la diffusion du sondage. De même, 40 % des personnes étudiantes ont déclaré avoir vécu au moins une fois une situation d’insécurité alimentaire. Ces personnes ont, par exemple, craint de manquer de nourriture, eu faim sans pouvoir manger, ou ont passé une journée entière sans manger. Les bénéficiaires de l’AFE, qui touchent pourtant de l’aide pour l’alimentation, ne sont pas épargnés. En effet, cette enquête met en lumière que 46 % des personnes sondées ont vécu une forme d’insécurité alimentaire. Pour faire un parallèle avec les situations mentionnées dans la figure 2, 31 % des personnes répondantes bénéficiaires de l’AFE craignaient de manquer de nourriture. Elles sont également 23 % à avoir eu faim sans pouvoir manger, et 16 % à avoir passé une journée entière sans manger par manque d’argent.
Figure 2 : Situations d’insécurité alimentaire vécues par la population étudiante générale en milieu d’enseignement supérieur en raison d’un manque d’argent
Pour pallier l’insécurité alimentaire, les personnes étudiantes n’ont d’autres choix que de se tourner vers les aides alimentaires. Pour ne prendre que cet exemple, les personnes étudiantes bénéficiaires de l’AFE sont significativement plus nombreuses à avoir recours à l’aide alimentaire. Au total, 68 % des personnes sondées ayant eu recours à de l’aide alimentaire bénéficient de l’AFE, alors même que l’alimentation est un aspect pris en considération dans le calcul des dépenses admises octroyées par le programme de l‘AFE.
Les conséquences de l’insécurité alimentaire sont multiples. En effet, les personnes étudiantes déclarent qu’elle a un impact sur leur santé physique (26 %), mais également leur santé mentale (25 %) et sur leur réussite académique (23 %). À nouveau, les personnes étudiantes bénéficiaires de l’AFE sont significativement plus nombreuses à souligner que l’insécurité alimentaire a des impacts sur ces différents points. Elles sont 30 % à avoir souligné un impact de l’insécurité alimentaire sur leur santé physique, 29 % sur leur santé mentale, et 27 % sur leur réussite académique.
En conclusion
Les différentes études réalisées par l’UEQ soulèvent plusieurs constats en lien avec la précarité étudiante. D’abord, le nombre significatif de personnes étudiantes bénéficiaires de l’AFE subissant de l’insécurité alimentaire, mais aussi la hausse de l’endettement privé, démontrent l’importance de calculer adéquatement les dépenses admises par le programme, notamment celles concernant l’alimentation et le logement. Ce constat est également visible en région, où les dépenses moyennes de la population étudiante sont légèrement plus élevées. L’UEQ estime qu’il est important de procéder à une augmentation des dépenses admises du programme de l’AFE, mais aussi à une révision dans le calcul utilisé pour fixer le revenu protégé des personnes ayant un revenu d’emploi.
[De quelques constats] en lien avec la précarité étudiante : d’abord, le nombre significatif de personnes étudiantes bénéficiaires de l’AFE subissant de l’insécurité alimentaire, mais aussi la hausse de l’endettement privé, démontrent l’importance de calculer adéquatement les dépenses admises par le programme, notamment celles concernant l’alimentation et le logement.
- 1
Les universités participantes sont les suivantes : Université de Montréal ; HEC Montréal ; Polytechnique Montréal ; École nationale d’administration publique ; Université de Sherbrooke ; Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue ; Université du Québec à Chicoutimi ; Université du Québec à Trois-Rivières ; École de technologie supérieure ; Université TÉLUQ ; Université Laval ; Université du Québec à Rimouski ; Université du Québec à Montréal (École des sciences de la gestion).
- Chloé Henry
Union étudiante du Québec (UEQ)
Chloé Henry est diplômée en droit international et politique internationale appliqués de l’Université de Sherbrooke. Elle occupe le poste de recherchiste permanente à l’Union étudiante du Québec (UEQ). Dans ce rôle, elle conçoit notamment des avis ou des notes portant sur la condition étudiante et l’enseignement supérieur au Québec et au Canada. Ses travaux contribuent directement aux actions de représentation et aux interventions politiques de l’UEQ.
- Flora Dommanget
Union étudiante du Québec (UEQ)
Flora Dommanget est diplômée en génie mécanique à Polytechnique. Elle s'engage dans les associations étudiantes, d’abord en tant que coordonnatrice aux affaires externes à l’Association étudiante de Polytechnique (AEP) en 2023-2024, puis en tant que coordonnatrice à l’enseignement supérieur à l’Union étudiante du Québec (UEQ) en 2024-2025. Élue à la présidence de l’UEQ pour le mandat 2025-2026, cette année, elle vient contribuer à défendre les droits étudiants.
- Étienne Paré
Centrale des syndicats du Québec
Étienne Paré est présentement conseiller à l’organisation syndicale à la Centrale des syndicats du Québec. Il s’est impliqué dans le mouvement étudiant plusieurs années, occupant le poste de président de l’Union étudiante du Québec lors du mandat 2024-2025. Titulaire d’un baccalauréat en enseignement de l’univers social au secondaire et d’un certificat en science politique de l’Université de Montréal, il a milité longtemps pour améliorer la condition étudiante, notamment en revendiquant la rémunération des stages et la bonification des bourses de recherche aux cycles supérieurs. Il siège également au conseil d’administration de Citoyenneté Jeunesse.
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