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Olivier Bégin-Caouette, Université de Montréal

Historiquement fondées sur un idéal d’universalité, les universités ont toujours été des institutions transnationales. Toutefois, la mondialisation contemporaine a transformé cet universalisme en un champ de concurrence à l’échelle de la planète. Les systèmes nationaux d’enseignement supérieur sont désormais intégrés dans un espace où les concurrences économique et symbolique redéfinissent les critères de légitimité et de performance. Ces dynamiques affectent particulièrement les universités situées en région, qui doivent composer avec des désavantages structurels et symboliques

Pour saisir ce large mouvement, ce texte s’appuie sur le cadre théorique des « variétés du capitalisme universitaire », aux fins d'analyse des effets de ces dynamiques sur les universités en région.

1. Les deux formes de capitalisme universitaire

Le capitalisme universitaire économique, tel que défini par Slaughter et Leslie (1997), repose sur la rentabilité comme critère de succès. Dans ce modèle, les universités sont incitées à adopter des logiques de marché afin de prouver leur pertinence sociale. Les stratégies associées comprennent les brevets, les partenariats industriels, la commercialisation de la recherche, de même que le recrutement d’étudiants internationaux qui paient des droits de scolarité plus élevés. Les États soutiennent ces stratégies par des politiques incitatives, telles que des lois sur la propriété intellectuelle, des subventions à la recherche appliquée, le financement basé sur la performance et la dérégulation des droits de scolarité1.

Parallèlement à cette première dynamique, une seconde, le capitalisme universitaire symbolique, s’est également imposée à partir du début des années 2000. Cette dynamique est structurée par les classements internationaux, la hiérarchisation des revues savantes à partir des facteurs d’impact et la constitution de réseaux d’acteurs d’élite. Selon cette dynamique, la visibilité et le prestige des chercheurs, des établissements et des États deviennent les principaux indicateurs de leur succès2. Les politiques publiques favorisent cette logique par le financement de recherche dit « d’excellence », ce qui crée un effet de consécration, et incite à la fusion d’établissements produisant ainsi un effet de taille3. Les universités adoptent, de leur côté, diverses stratégies telles que des collaborations stratégiques, le recrutement d’étudiants aux cycles supérieurs et de chercheurs internationaux réputés, de même qu’une évaluation intense de la performance en recherche de toute personne composant leurs équipes.

2. Les effets différenciés sur les universités en région

Sur le plan structurel, du fait de leur taille, les universités en région éloignée des grands centres portent un handicap dans la course à la rentabilité. Elles attirent, en effet, moins de dons philanthropiques (par exemple, l’ensemble des constituantes de l’Université du Québec (UQ) ne récolte que 12 % des dons philanthropiques au Québec, selon Carrier, 2022), disposent de moins de ressources pour investir dans des disciplines coûteuses (génie, médecine), et bénéficient peu des retombées de la propriété intellectuelle. En effet, 83 % des brevets québécois sont attribués à des établissements de Montréal et de la Montérégie4. La dérégulation des droits de scolarité accentue ces inégalités : entre 2019 et 2022, les trois universités anglophones du Québec (dont une en région, Bishop’s) ont perçu plus du deux tiers des droits de scolarité, contre moins d’un tiers pour toutes les universités francophones (Bourdin, 2023). Notons que l’UQ n’a perçu que 12 % des droits payés par les étudiants internationaux5). Les classements internationaux favorisent les grandes institutions, souvent plus anciennes, avec une forte proportion de personnes étudiantes aux cycles supérieurs.

Les classements internationaux favorisent les grandes institutions, souvent plus anciennes, avec une forte proportion de personnes étudiantes aux cycles supérieurs.

Sur le plan symbolique, les universités régionales souffrent d’un déficit de visibilité. Les classements internationaux favorisent les grandes institutions, souvent plus anciennes, avec une forte proportion de personnes étudiantes aux cycles supérieurs. L’effet cumulatif du capital symbolique se manifeste aussi dans la concentration des ressources : en 2024, les universités du groupe U15 recevaient 80 % du financement fédéral en recherche, 84 % des fonds FCI, et 69 % des chaires de recherche du Canada6. Les taux de succès aux demandes de subvention sont également plus élevés dans ces grandes universités7. Enfin, la proéminence de l’anglais dans les publications scientifiques marginalise les productions en français, accentuant la « périphérisation » linguistique de plusieurs universités francophones8.

3. Stratégies de médiation et de résistance

Les chercheurs, les établissements et les États peuvent toutefois mobiliser plusieurs stratégies afin de s’adapter ou de résister aux dynamiques de concurrence internationale. Ils peuvent, dans un premier temps, réaffirmer la contribution de l’enseignement supérieur au bien commun et ainsi s’opposer à certains discours relatifs à la marchandisation. Les universités régionales peuvent, par exemple, expliquer le rôle qu’elles jouent dans la massification de l’accès à l’enseignement supérieur, notamment pour les étudiants de première génération et les communautés autochtones. Il est aussi possible de reconnaître davantage la spécificité de chaque établissement et ainsi promouvoir la diversité institutionnelle plutôt que l’isomorphisme. En plus des critères de rentabilité et de visibilité, un critère fondé sur l’impact des activités universitaires sur les communautés, entreprises et médias locaux pourrait contribuer à ce changement de perspective. Finalement, pour surmonter les effets de taille, les universités en région peuvent s’associer en réseau et mutualiser leurs ressources, notamment en ce qui a trait aux services relatifs aux cycles supérieurs, à l’internationalisation, au soutien à la recherche et aux infrastructures documentaires. Une stratégie collective de visibilité9, notamment en français, pourrait également renforcer leur position.

Conclusion

En somme, les dynamiques internationales de concurrence transforment profondément le paysage de l’enseignement supérieur. Si elles stimulent l’innovation et la performance, elles accentuent aussi les inégalités entre établissements, au détriment des universités en région. En mobilisant les concepts de capitalisme universitaire, économique et symbolique, ce court texte a mis en lumière les mécanismes de cette marginalisation. Toutefois, des stratégies existent pour résister à ces dynamiques et réaffirmer la mission sociale des universités régionales. Il s’agit désormais de les mettre en œuvre collectivement, avec détermination et créativité.

...des stratégies existent pour résister à ces dynamiques et réaffirmer la mission sociale des universités régionales. Il s’agit désormais de les mettre en œuvre collectivement, avec détermination et créativité.

Références
  • 1

     Bégin-Caouette, Zambo Assembe et Nakano Koga, 2024.

  • 2

    Münch, 2014.

  • 3

     Bégin-Caouette, Maltais et Nakano Koga, 2023.

  • 4

     Renaud, 2018.

  • 5

     Bourdon, 2023.

  • 6

     Comité permanent de la science et de la recherche, 2024; U15, 2025.

  • 7

     Naylor, 2017.

  • 8

     Bégin-Caouette, Papi et Benhassine, 2024; Vera-Baceta et coll., 2019.

  • 9

    Quatre universités canadiennes anglophones et de petite taille se sont par exemple associées et ont formé la Maple League of Universities afin de promouvoir les avantages d’un enseignement supérieur de proximité. Voir : https://www.mapleleague.ca/ 


  • Olivier Bégin-Caouette
    Université de Montréal

    Olivier Bégin-Caouette est professeur agrégé en enseignement supérieur comparé au Département d’administration et fondements de l’éducation de l’Université de Montréal. Il est également membre cofondateur et directeur du Laboratoire interdisciplinaire de recherche sur l'enseignement supérieur (LIRES), de même que membre associé du Centre interuniversitaire de recherche sur la science et la technologie (CIRST). Ses recherches portent sur les interactions entre les structures politico-économiques et les systèmes d'enseignement supérieur.

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