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Jean Goulet, Université de Sherbrooke

De l’enseignement

Ce titre est mon dicton depuis maintenant 50 ans, depuis que j’enseigne l’informatique. Chaque expérience d’enseignement est différente de la précédente, car la population dans la classe n’est jamais la même. On doit prendre les étudiantes et étudiants là où ils sont et les amener ailleurs, souvent à un endroit dont ils ignorent l’existence. Pour y arriver, il faut d’abord créer un lien de confiance entre nous.

Confiance disciplinaire d’abord : savent-ils vraiment qu’ils apprendront du neuf, et que le prof peut leur en montrer? Cela paraît évident, mais il faut se méfier de nos premières impressions. L'informatique est un domaine particulier où les étudiants qui programment déjà depuis plusieurs années, ou qui ont une large pratique du numérique, croient qu'ils n'ont à peu près plus rien à apprendre. Une attitude sans doute assez répandue en sciences humaines, moins présente en physique ou en biologie! Plus on pense que notre expérience personnelle a du poids, moins on croit qu'on peut nous en apprendre. On vient alors surtout pour le diplôme. Il est important de modifier cette impression avant que des étapes-clés de l'apprentissage ne soient passées.

Confiance de bienveillance ensuite : sommes-nous là pour les juger, les évaluer, ou pour les faire progresser. Bien sûr, le prof devra témoigner de l'atteinte d'objectifs, mais il faut que les étudiantes et étudiants sachent que ce n'est pas du tout sa priorité. Ils doivent comprendre que notre finalité comme enseignant, c’est leur avancement.

Confiance réciproque enfin : avons-nous comme a priori qu'ils viennent pour apprendre, qu'ils veulent progresser dans leurs connaissances disciplinaires? Présumons-nous qu'ils y sont pour la note de passage et pour leur diplôme? Si nous projetons l'idée qu'ils n'y sont pas pour les « bonnes raisons », nous allons polluer la relation.

Pour nous assurer que ces trois niveaux de confiance soient présents, il faut prendre en compte le double sens du chemin à parcourir vers la connaissance. Nous transmettons, et les étudiantes et étudiants s’approprient. Mais, on ne peut pas leur laisser toute cette responsabilité d'appropriation. Il faut oeuvrer à ce qu'il y ait une véritable appropriation, sinon ils risquent fort de passer à côté d'éléments majeurs qu'ils ne pourront que difficilement découvrir par eux-mêmes.

On doit prendre les étudiantes et étudiants là où ils sont et les amener ailleurs, souvent à un endroit dont ils ignorent l’existence. Pour y arriver, il faut d’abord créer un lien de confiance entre nous.

De la vulgarisation

Est-ce que ces réflexions tirées d’une pratique d’enseignement se transposent au geste de vulgarisation scientifique? La perspective est certes différente. Outre qu'il est difficile de connaître en profondeur les divers publics auxquels s’adresse la vulgarisation, il existe entre eux une grande disparité dans le niveau de leurs connaissances antérieures. Il est donc difficile d'adapter notre discours en conséquence.

Mais le plus difficile, c'est de s'assurer que nous ne sommes pas seuls à faire un bout de chemin! La plupart des gens s'attendent à ce qu'un discours de vulgarisation soit la seule responsabilité du vulgarisateur, qu'ils n'ont rien à faire pour s'approprier personnellement cette connaissance. C'est un piège : ils auront l'illusion d'apprendre, mais l’apprentissage sera de courte durée.  Il faut donc parvenir à les impliquer dans le processus.

Comment y arriver? Il faut, je pense, qu'ils repartent avec encore plus de questions qu'ils n'ont obtenu de réponses, des questions qui leur permettront de progresser, d'en apprendre plus, de consolider les connaissances transmises.

Aucune séance de vulgarisation, même pour un public disparate, ne devrait se terminer sans une liste de problèmes à résoudre, avec une invitation à discuter ces problèmes dans les diverses occasions qui se présenteront à eux. Une liste graduée en termes de difficulté : quelques problèmes simples qui donneront confiance, puis d'autres plus complexes qui feront progresser, le tout pour amener notre public à se dépasser.

Si on en reste à un discours unidirectionnel, on manque complètement le bateau : l'apprentissage sera minime, la volonté d'en apprendre plus, sous-stimulée.

Tout un programme pour nos vulgarisateurs!

Aucune séance de vulgarisation, même pour un public disparate, ne devrait se terminer sans une liste de problèmes à résoudre, avec une invitation à tous à discuter ces problèmes dans les diverses occasions qui se présenteront à eux.


  • Jean Goulet
    Université de Sherbrooke

    Jean Goulet a débuté l’enseignement de l’informatique en 1972. Professeur au Département d’informatique depuis 1982, il a été directeur de son département, vide-doyen et doyen de la Faculté des sciences, et vice-recteur aux ressources humaines et aux relations internationales. Il s’est impliqué dans divers mouvements de valorisation de la culture scientifique : Conseil du loisir scientifique, Musée de la nature et des sciences, Acfas (président du congrès de 2001). Il a aussi œuvré dans le syndicalisme collégial (coresponsable de la création du système d’allocation des enseignants dans les collèges en 1976) et universitaire, ayant fait partie du groupe de travail qui a mené à la création de la FQPPU, dont il a présidé le congrès de fondation. Il a été directeur du Bureau de l’innovation au ministère des services gouvernementaux dans les années 2000. Il est professeur retraité de l’Université de Sherbrooke depuis 2021. Récipiendaire de plusieurs prix d’excellence en enseignement, il continue d’enseigner à titre de chargé de cours.

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