Traditionnellement considérées comme des personnes facilitatrices pour l’accès aux ressources documentaires, les bibliothécaires jouent désormais un rôle central dans la production de la recherche, notamment dans la réalisation des synthèses de la connaissance.
Une synthèse de la connaissance se définit comme un ensemble de méthodologies qui permettent de repérer, d’analyser et de synthétiser l’ensemble des données disponibles sur un sujet1. Ces méthodologies se caractérisent par leur rigueur, leur transparence et leur reproductibilité. La revue systématique en est l’exemple phare, aux côtés d’autres approches telles que l’étude de la portée.
Ce type de revue de littérature croît de façon exponentielle depuis la fondation, en 1993, de la Cochrane Collaboration, un réseau international de chercheurs qui produisent des revues systématiques visant à soutenir la prise de décisions éclairées en matière de santé2.
Dans ce contexte, l’évolution du rôle des personnes bibliothécaires apparaît comme une conséquence logique, le repérage des études étant au centre de toute synthèse de la connaissance.
De la consultation à la collaboration
Face à cette évolution des pratiques et à une hausse de la demande de la part des chercheurs et chercheuses, la Bibliothèque de l’Université Laval a mis en place, en 2019, une offre de soutien spécifique aux synthèses de la connaissance. Cette offre est structurée en deux volets d’accompagnement : la consultation et la collaboration.
Consultation : Dans le premier volet, la personne bibliothécaire soutient l’équipe de recherche, tant au niveau méthodologique qu’au niveau du développement des requêtes pour la recherche dans les bases de données. Il est ici question de soutien, et non d’un rôle actif dans le projet de recherche. Elle peut cependant conseiller l’équipe de recherche dès l’élaboration de la question de recherche. En effet, sa maîtrise des différentes méthodologies ainsi que sa connaissance générale du contenu des bases de données bibliographiques disciplinaires lui permettent d’aider les chercheurs et chercheuses à élaborer la question de recherche la plus appropriée à leurs objectifs. De plus, elle fournit les guides méthodologiques ainsi que les guides de documentation adéquats, et elle accompagne les équipes dans l’élaboration des requêtes dans les bases de données.
Collaboration : Dans le second volet d’accompagnement, la personne bibliothécaire fait partie de l’équipe de recherche et devient une collaboratrice à part entière. Elle ne se contente plus de conseiller l’équipe de recherche, comme dans le premier volet, mais elle prend part activement à plusieurs étapes de la synthèse de la connaissance. Idéalement, elle sera impliquée dès le début et collaborera à la planification du projet en participant au choix de la méthodologie de synthèse et à la rédaction de la question de recherche et du protocole. C’est la personne bibliothécaire qui va alors élaborer les stratégies de recherche dans les bases de données et fournir les notices. bibliographiques aux autres chercheurs et chercheuses, en s’appuyant sur le protocole, les critères d’éligibilité et un échantillon d’articles pertinents fourni par l’équipe de recherche.
Pour les personnes bibliothécaires de l’Université Laval, comme pour celles d’autres institutions, l’élaboration des stratégies de recherche pour une synthèse de la connaissance, ainsi que l’implication dans les autres étapes, prend en moyenne une vingtaine d’heures par projet3, mais ce temps peut doubler pour des synthèses abordant des problématiques complexes, notamment en sciences sociales.
Les personnes bibliothécaires qui collaborent à des projets de synthèse de la connaissance sont reconnues en tant que co-chercheuses et co-autrices de la publication et, à ce titre, révisent ou rédigent la section « méthodologie » de la publication et participent à la révision critique du contenu de la publication avant sa diffusion.
Une implication croissante et multidisciplinaire
Si les sciences de la santé ont historiquement dominé le champ des synthèses de la connaissance, cette méthodologie connaît une adoption croissante dans d’autres disciplines. Depuis 2019, le tiers des 873 synthèses publiées par des chercheurs et chercheuses de l’Université Laval et repérables dans Web of Science, une base de données bibliographique multidisciplinaire, provient de facultés autres que celles des sciences de la santé. Plus précisément, la proportion des publications de synthèse de la connaissance en dehors des sciences de la santé (psychologie, nutrition, administration, éducation, sciences environnementales, etc.) était de 32 % en 2019 et a augmenté progressivement pour représenter 42 % en 2023, avant de connaître une baisse à 30 % en 2024 (Figure 1). Au premier trimestre de 2025, le taux de publications de synthèse hors sciences de la santé à l’Université Laval était de 56 %. Il est intéressant de noter aussi qu’à l’Université Laval, 10 % des publications de synthèse sont multidisciplinaires et cosignées par des chercheurs et chercheuses provenant de différentes facultés.
Les principales organisations qui produisent des guides méthodologiques sur les synthèses de la connaissance, comme Cochrane Collaboration ou JBI4, recommandent explicitement l’implication de bibliothécaires dans les projets de recherche5. De plus, les revues systématiques dans lesquelles les personnes bibliothécaires sont co-autrices sont associées à une meilleure documentation des stratégies de recherche ainsi qu’à un plus faible risque de biais6.
À l’Université Laval, le taux de reconnaissance de la participation des personnes bibliothécaires aux publications de synthèse de la connaissance, que ce soit à titre de co-autrices, citées dans les remerciements ou mentionnées dans le texte, est passé de 41 % en 2019 à 65 % en 2024, signe que les efforts de mise en valeur des bibliothécaires disciplinaires produisent un effet positif. (Figure 2) Cette reconnaissance est encore plus marquée dans le cas des études de la portée (scoping reviews), où la contribution des bibliothécaires est reconnue dans 73% des publications depuis 2019.
Ces données témoignent d’une évolution significative des pratiques de collaboration entre bibliothécaires et équipes de recherche à l’Université Laval et soulignent l’apport méthodologique essentiel des bibliothécaires dans l’élaboration de revues de la littérature fondées sur des principes de rigueur, de transparence et de reproductibilité.
Conclusion
L’évolution du rôle des bibliothécaires dans les synthèses de la connaissance reflète une transformation plus large des pratiques de recherche en général. Leur expertise ne se limite plus à l’accès aux ressources documentaires, mais s’étend à la maîtrise de certaines méthodologies de recherche et au repérage approfondi des sources de données. Cette reconnaissance institutionnelle, par la création d’une offre de soutien officielle, et académique, illustrée par l’augmentation de la participation formelle des bibliothécaires aux publications, démontre une prise de conscience accrue de la valeur ajoutée des bibliothécaires au sein des équipes de recherche.
Dans un contexte où l’interdisciplinarité et l’exigence de reproductibilité des études prennent une importance croissante, il apparaît essentiel de renforcer ces collaborations et de poursuivre l’intégration systématique des bibliothécaires dans les processus de synthèse de la connaissance.

Références
- Aamodt, M., Huurdeman, H., & Strømme, H. (2019). Librarian Co-Authored Systematic Reviews are Associated with Lower Risk of Bias Compared to Systematic Reviews with Acknowledgement of Librarians or No Participation by Librarians. Evidence based library and information practice, 14(4), 103-127. doi:https://doi.org/10.18438/eblip29601
- Bastian, H., Glasziou, P., & Chalmers, I. (2010). Seventy-Five Trials and Eleven Systematic Reviews a Day: How Will We Ever Keep Up? PLOS Medicine, 7(9), e1000326. doi:https://doi.org/10.1371/journal.pmed.1000326
- Bibliothèque de l'Université Laval. (2025). Récupéré sur Synthèses de la connaissance: https://www.bibl.ulaval.ca/services/soutien-a-ledition-savante-et-a-la-…
- Bullers, K., Howard, A. M., Hanson, A., Kearns, W. D., Orriola, J. J., Polo, R. L., & Sakmar, K. A. (2018). It takes longer than you think: librarian time spent on systematic review tasks. Journal of the Medical Library Association, 106(2), 198-207. doi:https://doi.org/10.5195/jmla.2018.323
- Higgins, J., Thomas, J., Chandler, J., Cumpston, M., Li, T., Page, M., & Welch, V. (2024). Cochrane Handbook for Systematic Reviews of Interventions version 6.5. Cochrane. Récupéré sur https://training.cochrane.org/handbook/current
- Peters, M. D., Godfrey, C., McInerney, P., Munn, Z., Tricco, A. C., & Khalil, H. (2024). 10. Scoping reviews. Dans E. Aromataris, C. Lockwood, K. Porritt, B. Pilla, & Z. Jordan (Éds.), JBI Manual for Evidence Synthesis. JBI. doi:https://doi.org/10.46658/JBIMES-24-09
- Rethlefsen, M. L., Farrell, A. M., Leah, O. C., & Brigham, T. J. (2015). Librarian co-authors correlated with higher quality reported search strategies in general internal medicine systematic reviews. Journal of Clinical Epidemiology, 68(6), 617-626. doi:https://doi.org/10.1016/j.jclinepi.2014.11.025
- 1
Bibliothèque de l'Université Laval, 2025
- 2
Bastian, Glasziou, et Chalmers, 2010.
- 3
Bullers et coll., 2018
- 4
« Le JBI, anciennement connu sous le nom de Joanna Briggs Institute, est un organisme de recherche international qui développe et diffuse des informations, des logiciels, des formations et des apprentissages fondés sur des données probantes, destinés à améliorer les pratiques de santé et les résultats cliniques. » Traduction de la notice Wikipedia : https://en.wikipedia.org/wiki/The_Joanna_Briggs_Institute.
- 5
Higgins et coll., 2024; Peters et coll., 2024.
- 6
Rethlefsen, Farrell, Leah et Brigham, 2015; Aamodt, Huurdeman et Strømme, 2019
- Emmanuelle Raynard
Université Laval
Emmanuelle Raynard a développé son expertise dans la méthodologie des synthèses de la connaissance à partir de 2016, alors qu'elle occupait le poste de bibliothécaire de liaison pour la faculté de médecine. Elle obtient le poste de bibliothécaire spécialisée en synthèses de la connaissance en 2018 et, depuis, soutien quotidiennement ses collègues bibliothécaires afin qu'ils puissent fournir le meilleur service possible auprès des chercheurs. Elle participe elle-même fréquemment à des projets de synthèses et a cosigné plusieurs revues systématiques, études de la portée et d'autres types de synthèses dans des domaines variés comme la médecine et l'éducation. Depuis 2025, elle coordonne l'édition francophone de l'Institut de synthèse de la connaissance.
ORCID : 0000-0002-3191-7618
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