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Éric Forgues, Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques (ICRML), Sylvain St-Onge ,

Objectifs

Les établissements d’enseignements postsecondaires de langue française à l’extérieur du Québec représentent des rouages importants sur le plan économique, culturel et social pour les communautés francophones en situation minoritaire au Canada. La situation de crise, ou même d’urgence, à l’Université Laurentienne et les compressions qui touchent durement la Faculté Saint-Jean de l’Université de l’Alberta témoignent de la fragilité des infrastructures et de la recherche en français en contexte minoritaire. Les témoignages faisant état de défis particuliers pour les chercheur-e-s voulant faire de la recherche en français dans ce contexte ont mené, afin d’éclairer significativement la situation, au sondage réalisé dans le cadre de l’étude de l’Acfas « Portrait et défis de la recherche en français en contexte minoritaire au Canada. »

Dans cet article, nous présentons un résumé des résultats du sondage auquel 515 chercheur-se-s d’expression française au Canada ont accepté de répondre. Dans le présent article, les résultats présentés portent sur les activités de diffusion, les activités de recherche, l’enseignement et l’engagement dans la communauté francophone. Les répondant-e-s ont été regroupé-e-s selon leurs domaines d’expertise, leurs régions, la langue de l’université et la taille de l’université.

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Graphisme : Jennifer St-Georges, Acfas.

Les résultats

  • Les activités de diffusion

Les premiers constats de notre étude nous permettent d’observer que seul le quart (25 %) des participant-e-s de notre étude précise que la plupart (80 % à 100 %) de leurs activités scientifiques se déroulent en français (30 % sc. humaines et 11 % sc. naturelles1). Des répondant-e-s ont souligné avoir rencontré certains défis dans la préparation d’événements scientifiques en français. D’abord, il est plus difficile pour les répondant-e-s œuvrant au sein d’une université anglophone de mobiliser des collègues qui parlent ou comprennent le français, et ce même dans les universités bilingues. Ensuite, le besoin de traduire des documents visuels ou des communications est une difficulté rencontrée surtout chez les répondant-e-s des campus francophones ou des universités bilingues.

  • Publications en français

Concernant les habitudes de publications des répondant-e-s, nous observons que la publication de livres en français demeure populaire, entre autres en sciences humaines. Effectivement, près des deux tiers (63 %) des répondant-e-s en sciences humaines affirment avoir publié au moins un livre en français contre plus du tiers (37 %) de ceux en sciences naturelles. Concernant la publication d’articles scientifiques, la majorité (93 %) des répondant-e-s a publié au moins un article entre le 1er avril 2018 et le 1er avril 2020, mais près de la moitié (44 %) d’entre eux n’ont publié aucun article en français (71 % sc. naturelles, 35 % sc. humaines).

Les résultats montrent que peu importe le type de revue (internationale, nationale ou régionale), les participant-e-s en sciences naturelles tendent à privilégier davantage que les participant-e-s en sciences humaines les revues en anglais, notamment les revues internationales. Les participant-e-s en sciences humaines sont plus nombreux à privilégier les revues en français comparativement aux participant-e-s en sciences naturelles.

De façon générale, les participant-e-s de notre étude jugent qu’il est plus important de publier en anglais (62 %) qu’en français (49 %); c’est surtout l’opinion de la majorité (85 %) des répondant-e-s des sciences naturelles, dont seulement 20 % d’entre eux considèrent qu’il est important de publier en français. Nous pouvons comprendre cette opinion ou perception à partir des motivations qui incitent les participant-e-s à publier en anglais, surtout chez les répondant-e-s des sciences naturelles. Certains disent le faire dans le but de rejoindre un auditoire plus vaste (89 %), de faire en sorte que leurs ouvrages soient davantage cités (80 %), d’accéder à la notoriété dans leur domaine d’expertise sur la scène internationale (72 %), ou même pour faire avancer leur carrière (64 %). En somme, 42 % des répondant-e-s croient que peu d’importance est accordée aux publications en français pour l’avancement de leur carrière; c’est davantage le cas en sciences naturelles (72 %), dans les universités anglophones (53 %) et les grandes universités (49 %), mais aussi dans les campus francophones (40 %) et les universités bilingues (39 %). Plus de la moitié des répondant-e-s (58 %) disent publier en anglais en raison de la visibilité offerte à leur université, pour viser le plus haut standard possible (57 %), pour avoir de meilleures chances d’obtenir des subventions (57 %), ou pour s’inscrire dans une communauté de recherche internationale (54 %).

  • Collaborations de recherche

En raison de l’isolement géographique des établissements d’enseignement postsecondaire à l’extérieur du Québec, ainsi que de l’isolement de plusieurs professeur-e-s francophones au sein de leur propre établissement, la collaboration en recherche en français représente un défi.

Nous observons que les collaborations sont plus nombreuses avec les chercheurs d’universités anglophones et d’universités francophones du Québec. Environ la moitié (48 %) des répondant-e-s disent avoir rarement d’opportunité de collaboration en français avec des collègues de leur université. Bien entendu, ces taux sont plus élevés dans les universités anglophones (environ la moitié des répondant-e-s), mais nous observons des proportions non négligeables dans les campus francophones (20 %) et les universités francophones (22 %) ou bilingues (29 %). De plus, le soutien à la recherche est quasi absent dans certains établissements; environ le tiers des répondant-e-s (34 %) sont fortement en accord pour dire qu’ils ont peu de soutien pour préparer des demandes de subvention ou mener leur projet de recherche. C’est souvent la réalité vécue par les répondant-e-s des petites universités.

Par ailleurs, s’il s’avère difficile d’obtenir du soutien à la recherche, nous constatons que l’accès à un-e assistant-e de recherche francophone peut être encore plus difficile, particulièrement aux cycles supérieurs, dans les petites universités, dans les régions de l’Ouest, dans les universités anglophones et les campus francophones. Le même défi se pose dans les universités francophones en raison du faible nombre de programmes qui sont offerts aux cycles supérieurs.

Chiffres assistanat de recherche
Graphisme : Jennifer St-Georges, Acfas.
  • L’engagement dans la communauté francophone

Concernant le temps consacré à la recherche, nous observons que les répondant-e-s des sciences humaines accordent moins de temps à la recherche que ceux des sciences naturelles, mais qu’ils ont aussi des charges d’enseignement plus lourdes. La recherche occupe une place importante dans le travail effectué par les répondant-e-s de notre étude. La majorité (61 %) y consacre entre 11 et 30 heures par semaine, et 29 % des répondant-e-s en sciences naturelles y consacrent plus de 30 heures semaine, comparativement à 7 % en sciences humaines.

Dans l’ensemble, près du quart des répondant-e-s s’engagent au moins quatre heures par semaine au sein de sa communauté francophone et environ la moitié des répondant-e-s (52 %) considèrent très important de le faire. Une faible proportion (9%) d’entre eux affirment que cet engagement dans la communauté freine leurs activités de recherche.

  • L’enseignement
    Charge d'enseignement
    Graphisme : Jennifer St-Georges, Acfas.

Nos résultats montrent que la charge des professeur-e-s dans les petites universités et en sciences humaines tend à être plus lourde.

Plus précisément, il y a environ deux fois plus de répondant-e-s (47  %) qui offrent plus de cinq cours dans les petites universités que dans les grandes universités (24 %). La même tendance s’observe chez les répondant-e-s des sciences humaines (36 %), et les sciences naturelles (18 %). Plus du tiers (36 %) des répondant-e-s sont en accord pour dire que la charge d’enseignement est un obstacle à la réalisation de projets de recherche. Cette proportion est particulièrement élevée dans les campus francophones (55 %).

Bien que l’accès à des auxiliaires d’enseignement peut contribuer à alléger la charge, moins de la moitié (43 %) des répondant-e-s disent avoir accès à des auxiliaires d’enseignement. Cette proportion diminue à 35 % chez les répondant-e-s des sciences humaines et à 31% dans les universités francophones.

Conclusion

L’espace de la recherche en français en contexte francophone minoritaire fait face à plusieurs défis. Si nous voulons contribuer à son épanouissement, il est important de se rappeler qu’il s’inscrit dans un espace international façonné par des tendances lourdes, sur lesquelles les acteur-trice-s locaux ont une influence limitée. Par exemple, il peut être vain d’espérer renverser la tendance de la publication en anglais, notamment dans les sciences naturelles. Cependant, nous pouvons envisager des actions qui encouragent les chercheur-se-s d’expression française à publier ou à communiquer davantage leurs recherches en français, notamment en offrant un soutien à la publication. Par ailleurs, il importe de noter que le développement de la recherche dépend des conditions offertes par le cadre institutionnel. Il semble donc important, voire crucial, de renforcer et de développer les établissements d’enseignement universitaire et les organes de diffusion des savoirs en français. Afin d’assurer la pérennité des établissements postsecondaires francophone et de permettre aux communautés francophones en situation minoritaire (CFSM) de contribuer à l’avancement des sciences aux échelles locale, nationale et internationale, et de recevoir des données de recherche dans leur langue, il est primordial que des actions conséquentes soient menées par les gouvernements canadien et provinciaux, par les agences subventionnaires et par les universités elles-mêmes, qu’elles soient anglophones, bilingues ou francophones. 

 

Pour consulter :

Le rapport long - https://www.acfas.ca/sites/default/files/documents_utiles/rapport_francophonie_final_1.pdf
Le rapport sommaire - https://www.acfas.ca/sites/default/files/documents_utiles/rapport_francophonie_sommaire_final_1.pdf
Le rapport en anglais - https://www.acfas.ca/sites/default/files/documents_utiles/rapport_francophonie_sommaire_en_final_0.pdf

Pour consulter les autres articles du dossier Francophonie canadienne, cliquez ici.

  • 1Pour les fins de l’analyse, nous avons regroupé les disciplines en deux grandes familles disciplinaires.

  • Éric Forgues
    Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques (ICRML)

    Éric Forgues est sociologue de formation, et dirige depuis 2012 l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques. Ses travaux portent notamment sur le développement des communautés en contexte minoritaire, la gouvernance, la prise en compte de la langue dans l’organisation des services publics, l’engagement linguistique, et, depuis peu, sur les événements culturels, la mémoire, et l'identité en contexte minoritaire.

  • Sylvain St-Onge

    Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques (ICRML)

    Sylvain St-Onge détient un doctorat en éducation de l'Université de Moncton. Il a été récipiendaire d'une bourse de la Fondation Baxter et Alma Ricard pour ses études doctorales. Depuis 2010, il travaille comme assistant de recherche et chercheur à l'Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques (ICRML).

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