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Michel Lacasse, Université Laval, Jean Bernatchez, UQAR

Au printemps 2021, Johanne Lebel, rédactrice en chef du Magazine de l’Acfas, invite un chercheur de la relève et doctorant en administration et politiques de l’éducation de l’Université Laval, Michel Lacasse, et un professeur titulaire en administration et politiques scolaires de l’Université du Québec à Rimouski (UQAR) avec qui il collabore, Jean Bernatchez, à participer à la coordination du dossier Relève du numéro d’automne 2021, dont le thème est « Réseaux et réseautage ». Voici, en guise d’amorce à ce dossier, une mise en abyme sous forme de dialogue scénarisé.

conversationMichel Lacasse : Bonjour, Jean! Je suis content que l’on se retrouve pour collaborer à ce dossier du Magazine de l’Acfas. Tu es actuellement membre de mon comité de thèse de doctorat. Tu m’as aussi accompagné à la maîtrise en éducation à l’UQAR, pour la rédaction de mon essai sur la dématérialisation des processus de gestion selon la perspective de la citoyenneté à l’ère du numérique.

Jean Bernatchez  : Oui, mais notre première rencontre, c’était dans le cadre du cours de deuxième cycle Pratiques de recherche en éducation, que j’offrais à Rimouski à raison de six fins de semaine intensives. J’étais impressionné que tu te déplaces depuis Gaspé (à 300 km!) pour y participer. Tu terminais ton DESS en administration scolaire à l’UQAR en même temps que ta maîtrise en technologie éducative à l’Université Laval. Ensuite, tu as complété une autre maîtrise en éducation, concentration administration scolaire, à l’UQAR. Tout cela en occupant un emploi à temps complet en milieu scolaire. Pourquoi tous ces parcours universitaires en simultané?

Michel Lacasse : Sans oublier que je dormais dans ma voiture lorsque je me déplaçais à Rimouski, pour diminuer les frais de participation à ton cours… Que de souvenirs! Pourquoi? Par soif de connaître et d’apprendre, mais aussi pour m’ouvrir à l’apprentissage expérientiel, qui amène à modifier des comportements à la suite de l’expérience et de la réflexion. Dans mon cas, mon parcours professionnel et mes études doctorales en administration scolaire m’ont fait réaliser que je devais solidifier certaines assises théoriques et pratiques qu’une maîtrise additionnelle allait me permettre d’acquérir. Mais c’était en effet beaucoup à la fois, j’avoue!

Ma nouvelle condition de père m’impose aujourd’hui de rythmer mon temps autrement, dans la mesure du possible (pour reprendre des termes du solfège). Concrètement, je travaille maintenant davantage le matin plutôt qu’en soirée, et sur des périodes plus courtes, mais plus fréquentes. Le centre de mon univers a 1 an et s’appelle Florence. Or, la soif d’apprendre m’anime toujours autant, sinon plus. Mais n’est-ce pas toi qui disais te lever à 2 h  tous les vendredis matins pour effectuer cinq heures de travail sur ta thèse avant de te rendre au boulot, cela pour atteindre ton objectif de 15 h de travail par semaine sur ton projet doctoral?

Jean Bernatchez  : En effet! Homme dans la quarantaine avec quatre jeunes enfants et un emploi exigeant, je devais, pour atteindre mes objectifs doctoraux, faire ce genre de sacrifice. Mais j’y prenais plaisir et, contre toute attente, je suis devenu professeur d’université à 49 ans! J’ai 63 ans maintenant, et je ne suis plus capable de passer mes nuits à travailler. Cependant, je continue de pratiquer la convergence et le réseautage…

Michel Lacasse : Oui, tu faisais référence aux phénomènes de convergence et de réseautage dans tes cours, une idée que je n’ai jamais oubliée : faire en sorte que les projets réalisés dans le contexte de nos recherches correspondent aussi à des champs d’intérêt scientifiques, professionnels, voire personnels. Et inscrire ces projets dans un contexte plus large que celui de la seule œuvre savante personnelle. Je me souviens aussi que tu te reportais à la visée éthique du philosophe Paul Ricœur (1913-2005), qui inspire ton action : « Une vie bonne, avec et pour les autres, dans des institutions justes. » Au bout du compte, n’est-ce pas là ce qui conditionne cette agitation constante qui nous caractérise? Être utile à autrui et contribuer à recentrer nos institutions sur le bien commun?

"Une vie bonne, avec et pour les autres, dans des institutions justes", Paul Ricoeur

Jean Bernatchez  : Je le crois. Vieillir nous rend plus conscients de ce genre de choses, mais on ne doit pas devenir amers ou cyniques. « Si le temps est une remontrance, il peut devenir aussi une récompense quand il nous offre l’illusion, absurde, mais nécessaire, de redémarrer chaque matin une existence nouvelle », écrit Pascal Bruckner. Et le groupe québécois Avec pas d’casque ne soutient-il pas que La journée qui s’en vient est flambant neuve! En vieillissant, ce que l’on perd quelque part, on le gagne ailleurs.

Michel Lacasse : J’en prends note! Et j’applique moi aussi les principes de convergence et de réseautage. Cela dit, quelle pourrait être notre contribution commune pour ce dossier sur le thème « Réseaux et réseautage »? Peut-être est-ce anachronique, mais j’ai lu récemment l’ouvrage du scientifique anarchiste Pierre Kropotkine (1842-1921) sur l’entraide comme facteur de l’évolution, et cela m’a inspiré. Il est possible d’établir un lien entre le concept d’entraide et le phénomène de réseautage.

Jean Bernatchez  : Oui. J’ai lu ce livre quand il est paru en version québécoise en 2001. C’est d’ailleurs le premier ouvrage de la collection Retrouvailles chez Écosociété, qui redonne vie à des classiques. Mais puisqu’il est question ici d’un dossier Relève, il serait pertinent de mettre en perspective la thèse de Kropotkine avec celle d’un-e chercheur-se de la relève. Le Néerlandais Rudger Bregman (né en 1988) a réussi l’exploit avant 30 ans de réaliser un livre qui se révélera un succès mondial, portant sur les utopies réalistes, publié dans 23 pays et traduit en 16 langues. Il serait intéressant que nous commettions à quatre mains un texte commentaire sur l’utopie réaliste de la collaboration au service de la recherche scientifique en mobilisant les thèses de Kropotkine et de Bregman.

"Si le temps est une remontrance, il peut devenir aussi une récompense quand il nous offre l’illusion, absurde, mais nécessaire, de redémarrer chaque matin une existence nouvelle", écrit Pascal Bruckner.

Michel Lacasse : J’accepte le défi! Pour les autres contributions, ce ne sont pas les exemples qui manquent dans mon environnement. Comme chercheur de la relève et homme de réseau, côtoyer de nouvelles personnes me permet d’explorer continuellement de nouvelles perspectives. Le temps d’un café, des discussions en tête à tête ouvrent souvent sur des voies inattendues. Ces échanges individuels ont toute la richesse d’un arbre, mais qu’en est-il quand on accède à la forêt? Joindre un réseau de personnes qui souhaitent confronter leurs idées et définir des propositions d’actions, augmente les possibilités.

Jean Bernatchez  : Pourquoi ne pas cartographier les nombreux réseaux auxquels il est possible de s’intégrer? En multipliant les occasions de réseautage, tu constaterais l’ampleur de son expansion « rhizomatique ». Certaines opportunités te semblent peut-être plus intéressantes que d’autres. Y trouves-tu ta place et, jusqu’à maintenant, comment navigues-tu à travers les occasions qui se présentent à toi?

Michel Lacasse : Je constate moi aussi une certaine prolifération des réseaux. À ce sujet et relativement au défi d’y trouver sa place, le philosophe et historien Michel Serres (1930-2019) mentionne que «  si solitude il existe bien, c’est simplement qu’à l’heure de la naissance de nouvelles communautés, certains n’y trouvent pas encore leur place », dans l’ouvrage collectif Pour une véritable communauté humaine. Ainsi, même si plusieurs réseaux m’attirent, je dois faire des choix. Pour ce faire, je garde à l’esprit le nécessaire équilibre entre les obligations d’un réseau auquel je m’intéresse et mon cheminement personnel. Cette recherche d’équilibre m’aide à forger mon identité de chercheur de la relève. Être à l’écoute de mes besoins et de ceux des réseaux m’indique si je peux adhérer aux thèses et aux méthodes de leurs membres tout en étant capable d’afficher les miennes. Cela dit, les réseaux auxquels j’appartiens m’apparaissent inclusifs.

Jean Bernatchez  : Prendre des décisions devant l’univers de possibilités qui s’offrent à toi est une dynamique qui, avec le temps, se déroule de plus en plus naturellement. Alors que tu pourrais souhaiter te laisser guider par le fruit des expériences de tes mentors, tu dois aussi en cumuler et t’y reporter en temps et lieu. Comment te positionnes-tu, en tant que chercheur de la relève, auprès des autres individus qui participent à tes réseaux? J’ai moi-même des personnes que je considère comme des mentors et sur qui je peux compter dans mes réseaux.

"Prendre des décisions devant l’univers de possibilités qui s’offrent à toi est une dynamique qui, avec le temps, se déroule de plus en plus naturellement. Alors que tu pourrais souhaiter te laisser guider par le fruit des expériences de tes mentors, tu dois aussi en cumuler et t’y reporter en temps et lieu", Jean Bernatchez

Michel Lacasse : Dans mes différents réseaux, je m’assure qu’il y a toujours quelques personnes aptes à jouer ce rôle de mentor, des gens avec qui j’entretiens un lien plus intime et une proximité plus grande. Je sens que ce lien étroit influence les conseils qui m’y sont donnés. Afin d’éviter de me retrouver dans une bulle de filtres, une chambre d’écho, je choisis des mentors avec qui je partage des centres d’intérêt et des idées, mais qui diffèrent de moi, de façon que l’on puisse se compléter. En traçant ma voie dans les réseaux, j’évite de devenir une pâle copie de mes personnes et je me forge une identité tout en bénéficiant de leurs expertises. Tracer sa voie, c’est d’ailleurs le titre d’une œuvre de l’artiste peintre Hugo Landry qui a attiré mon attention, quelques mois avant la naissance de mon enfant.

Hugo Landry
Tracer sa voie, par le peintre Hugo Landry.

Jean Bernatchez  : Ce jeune peintre, né à Gaspé, utilise les couleurs avec finesse! En tant que membre de la relève, tu as l’occasion de contribuer à la recherche de manière créative, comme cet artiste  contribue à l’art avec ses pinceaux. Pour tracer ta voie de manière créative, et comme le soutient Edgar Morin, « les outils numériques sont à la fois instruments de liberté et instruments d’asservissement. Internet permet la libre expression, allant de la créativité au délire sur les réseaux sociaux. » As-tu l’impression d’utiliser les réseaux sociaux à bon escient?

Michel Lacasse : Je crois que oui. Jusqu’à maintenant, les réseaux sociaux ont été un bon outil pour garder contact avec beaucoup de gens. J’y découvre aussi de nouvelles personnes, dont plusieurs font partie de la relève en recherche. Je trouve parfois difficile de réseauter sur le Net avec des personnes qui n’en ressentent pas le besoin et qui sont des chercheur-se-s établi-e-s. Souvent, ces individus seraient prêts à m’accorder du temps si je pouvais les rencontrer en personne, mais la distance créée par le numérique peut leur sembler difficile à surmonter. Pourtant, les outils numériques peuvent soutenir des canaux de communication et de collaboration qu’il serait difficile, voire impossible, de concevoir sans ces personnes. Je reste donc à l’affût des occasions d’apprentissage et de coopération qui sont à ma portée. Jusqu’à maintenant, les outils numériques me sont très utiles afin de coordonner les actions et de communiquer. Bien que les échanges au sein d’un réseau créent parfois de vifs débats, ils encouragent le dialogue plutôt que l’endoctrinement, et ils permettent l’épanouissement de chaque membre. Les réseaux m’offrent aussi du réconfort, de la compassion et des rires! Je suis heureux de participer à la construction d’un réseau, de voir les enjeux qui m’animent selon de nouvelles perspectives.

"Les réseaux m’offrent aussi du réconfort, de la compassion et des rires! Je suis heureux de participer à la construction d’un réseau, de voir les enjeux qui m’animent selon de nouvelles perspectives", Michel Lacasse

Jean Bernatchez  :Tu parlais plus tôt des réseaux présents dans ton environnement. As-tu à l’esprit quelques exemples qui pourraient susciter l’intérêt des lecteur-trice-s du Magazine de l’Acfas?

Michel Lacasse : Oui. Des exemples, qui sont aussi, de mon point de vue, des modèles. Comme toi, je suis membre du réseau PÉRISCOPE sur la persévérance et la réussite scolaires. Animé par Thérèse Laferrière, ce dernier fait une bonne place à la relève scientifique. J’admire aussi le travail de l’École en réseau, créée en 2002. Cette initiative de recherche universitaire a conduit des écoles à se déployer en réseau et à utiliser le numérique pour faciliter les apprentissages. De même, le programme Apprentis chercheurs de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS) a suscité bon nombre de vocations scientifiques; il existe aussi depuis 2002 et il est une occasion pour les élèves de la 3e à la 5e secondaire de côtoyer des chercheur-se-s de la relève…

Jean Bernatchez  : De mon côté, j’apprécie sur les réseaux sociaux les publications d’Alexandre Klein, chercheur de la relève et nouveau professeur à la Faculté des sciences de la santé de l’Université d’Ottawa. Il est le fondateur et le coordonnateur du réseau de recherche Historiens.nes de la santé. Son expérience est instructive. Et puis Johanne, la rédactrice en chef du magazine, nous a fait part également de quelques contributions intéressantes et pertinentes : un texte de Marie-Maude Roy qui présente sa revue de littérature comme une mise en réseau d'idée, une rencontre avec deux membres du Comité des initiatives étudiantes du CMDO, le Réseau de recherche en santé cardiométabolique, diabète et obésité, 

Michel Lacasse : Bref, le dossier Relève du numéro d’automne 2021 du présent magazine, dont le thème est  « Réseaux et réseautage », reposera sur nos coups de cœur.


  • Michel Lacasse
    Université Laval

    Michel Lacasse est doctorant en administration et politiques de l'éducation à l'Université Laval. Ses recherches et interventions actuelles portent sur les relations entre les technologies numériques et les pratiques de gestion en contexte éducatif. Il accompagne depuis de nombreuses années des membres du réseau éducatif dans leur transition numérique. Il est diplômé d'une première maîtrise en technologie éducative et d’une deuxième en éducation (profil administration scolaire), en plus de détenir un diplôme d’études supérieures spécialisées en administration scolaire et un baccalauréat en éducation préscolaire et primaire.

    Il oeuvre au sein du réseau universitaire québécois, dans le cadre de divers projets de recherche, de communication et de développement pédagogique interuniversitaires ou intersectoriels. Il y contribue également en tant que membre de la Commission de l'enseignement et de la recherche universitaires (CERU) du Conseil supérieur de l’éducation et prend part à de nombreux regroupements de recherche et d'intervention en éducation; webmestre et édimestre du Groupe de recherche interrégional sur l’organisation du travail des directions d’établissement d’enseignement du Québec (GRIDE); et membre étudiant de l'Observatoire du numérique en éducation (ONE), du réseau PÉRISCOPE et du Centre de recherche et d'intervention sur l'éducation et la vie au travail (CRIEVAT).

  • Jean Bernatchez
    UQAR

    Jean Bernatchez est professeur-chercheur à l'Université du Québec à Rimouski. Politologue, il détient un doctorat en administration et politique scolaires. Il est membre du comité de direction du réseau PÉRISCOPE sur la persévérance et la réussite scolaires. Il est aussi membre du Groupe de recherche interdisciplinaire sur le développement régional de l'Est du Québec (GRIDEQ), chercheur associé au Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec (CTREQ) et membre du comité de coordination de l'Équipe de recherche interrégionale sur l'organisation du travail des directions d'établissement d'enseignement (GRIDE). Il est père de quatre jeunes adultes, six fois grand-père et citoyen engagé.

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