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Marie-Maude Roy, Université de Montréal

Dans le cadre d'un projet de recherche, la revue de littérature se présente aux chercheur-euse-s comme le défi de confectionner un réseau d’information complexe et cohérent qui saura situer le sujet dans son univers académique. Alors qu'on utilise généralement l'analogie du « portrait » pour le décrire, le récit qui en résulte peut aussi être pensé comme une toile d'araignée. Les articles, études et concepts qui la composent, comme autant de nœuds de ce réseau, y sont mis en relation via un tissage méticuleux.

(Dé)construire la toile

Distinguons d'abord le construit final – le réseau achevé – et l'exercice – la fabrication du réseau – qui portent tous deux le nom de « revue de littérature ». Constituant fondamental de la publication scientifique, la revue de littérature en tant que texte achevé a pour fonction première de résumer l'état de la connaissance collective entourant un sujet pour bien l'ancrer dans son contexte de recherche. Mais ne soyons pas dupes, il ne s'agit pas d'un simple recensement. Ce qu'on entend par « contexte » est l'écosystème des écrits scientifiques existants, accessibles et pertinents. Et qui dit écosystème, dit relations entre ces écrits inscrits dans un même réseau disciplinaire. C'est au nom de la pertinence que l'on pourra circonscrire le balayage des sources et présenter un ensemble fini de contributions scientifiques. Pour une période et un territoire donnés, au sein d'une école de pensée particulière, d'une certaine tradition académique ou d'une perspective théorique précise... ce sont là des limites nécessaires qui établissent à la fois un régime de validité pour la portée de notre bilan et, plus pragmatiquement, une borne supérieure au nombre de mots qui le constitueront.

En ce qui concerne l'exercice de revue de littérature, il s'agit d'une part d'un travail de sélection parcimonieux au cours duquel les choix s'imposent et s'additionnent. Certains de ces choix sont plus évidents quand, par exemple, ils sont incarnés par l'inscription de concepts-clés et d'opérateurs logiques dans la barre de recherche d'une base de données. D'autres sont plus sournois, comme quand on ne retient pas une étude faute d'une version traduite dans une langue qui nous est familière, ou quand c'est le temps de passer à autre chose parce qu'un nombre suffisant de citations a été atteint. Aussi, loin d'être linéaire, la recension des écrits relève plutôt du processus itératif et admet une part d’aléatoire. À mesure qu'il ou elle explore l'éventail des publications sur un sujet, le ou la chercheur-euse prend conscience de nouvelles sources et de nouveaux résultats de recherche, nouveaux nœuds qui mènent inévitablement vers de nouveaux endroits dans le vaste réseau de fils tissant auteurs, articles et idées. Le matériel qui est réellement accessible au chercheur ou à la chercheuse change donc grandement entre le début et la fin de l'exercice, l'amenant à recommencer continuellement de nouvelles recherches. Poursuivre une démarche systématique admettant des critères d'inclusion et d'exclusion les mieux définis n'empêchera pas ces allers-retours, quand bien même il serait souhaitable de les éviter.

Aussi, loin d'être linéaire, la recension des écrits relève plutôt du processus itératif et admet une part d’aléatoire. À mesure qu'il ou elle explore l'éventail des publications sur un sujet, le ou la chercheur-euse prend conscience de nouvelles sources et de nouveaux résultats de recherche, nouveaux nœuds qui mènent inévitablement vers de nouveaux endroits dans le vaste réseau de fils tissant auteurs, articles et idées.

D'autre part, l'exercice de revue de littérature en est aussi un d'organisation. Sous l'angle de la chronologie, de la méthodologie, de la thématique ou encore d'une catégorisation had hoc, le ou la chercheur-euse doit mettre en relation chaque source et, ultimement, les articuler dans un tout cohérent. La structure du réseau d'information à construire n'est pas préétablie, car elle dépend en partie du contenu, mais, à mesure qu'est tissée la toile, elle influencera à son tour le tri des écrits et les recherches ultérieures. Sans miner la crédibilité du rendu, les nombreux choix effectués dans la sélection des sources et dans leur organisation nous permettent d'en apprécier le caractère réflexif — et peut-être même créatif, m'avancerais-je.

Du fil à la toile : différents niveaux de défisneurone

Bien qu'il soit toujours minimalement réducteur et sélectif, le récit organisé se doit d'être le plus fiable et impartial possible. Le ou la chercheur-euse doit donc se méfier de son propre cerveau tout au long de la lente élaboration de sa toile de données. Il ne faut pas se laisser impressionner par la simple redondance de certaines sources dans la littérature, puisque peu importe sa qualité, la probabilité d'être favorable à une source augmente avec la fréquence à laquelle on y est exposée1. Autrement dit, on a un biais cognitif vers ce qui est familier et les publications scientifiques n'y font pas exception. Inversement, on aurait sûrement avantage à jeter brièvement un œil à ce qui traîne dans le fond du tiroir2. Il faut aussi rester critique face aux études dont les résultats semblent aller de soi, puisqu'on préfère également ce qui va dans le sens de nos idées. C'est par tendance naturelle et non par mauvaise intention que l'on cherche, interprète et se rappelle davantage de l'information qui respecte nos attentes ou appuie nos arguments3. Réaliser et reconnaître l'existence de ces biais individuels peut bien sûr nous permettre d'en réduire la portée. De là toute l'importance d'une évaluation par les pairs rigoureuse, me direz-vous avec raison. 

Justement, à l’échelle collective des disciplines académiques, les cadres conceptuels et théoriques viennent également teinter la revue de littérature, autant au niveau du processus que du rendu. Ces cadres pour penser structurent la façon de faire de la recherche et contribuent à la culture épistémique caractéristique de ces disciplines. Les différences s'observent notamment à travers le langage. Par exemple, le terme « construit », mobilisé dans ce texte pour parler d'une revue de la littérature, peut vous avoir réjoui ou encore fait grincer des dents. Il y a fort à parier que vos collègues de même perspective disciplinaire partageront votre réaction. Dans le même ordre d'idées, remarquer un penchant pragmatique ou une référence à tel ou telle auteur-rice dans un article va influencer l'évaluation de la recherche qui le sous-tend, avant même d'avoir atteint la section des résultats. Chacun est tissé de son réseau.

Perspective personnelle

 En faisant le passage de la physique à la communication à la maîtrise, j'ai moi-même fait l'expérience de conduire une revue de la littérature autrement — en prenant la question de recherche comme point d'arrivée plutôt que comme point de départ, notamment. Traditionnellement, en physique, la question de recherche du projet de maîtrise se présente à l'étudiant-e comme une énigme à résoudre. Dans le cadre d'un tel projet, la revue de littérature est alors orientée autour de la problématique d'intérêt et permet potentiellement de préciser la question. Or, comme c'est souvent le cas en sciences humaines et sociales, ma question de recherche était plutôt un objet dynamique sculpté par les négociations conceptuelles continuelles qui ne s’est stabilisée qu’à la toute fin. J’ai donc construit, déconstruit et reconstruit à maintes reprises ma toile d’araignée qui fut autant orientée par la problématique que l'inverse. Cette approche s'est avérée, pour le moins, déstabilisante.

J'ai commencé à réaliser l'ampleur du défi quand ma directrice m'a informée qu'il n'existait pas une, mais des définitions pour mon sujet d'étude. Des avenues conceptuelles multiples s'offraient donc à moi pour « penser » ce sujet — expression qui m'était également étrangère. Et au moment de choisir les images de la physique comme concept, j'étais loin de me douter de l'étendue de l'éventail des champs disciplinaires qui s'y étaient déjà intéressés. Je me trouvais à la jonction de plusieurs chemins possibles pour tisser ma toile : adopter l'image scientifique comme une représentation objective, un langage complexe, une production de cultures visuelles scientifiques ou encore un outil de médiation. Ces options n'allaient évidemment pas me mener pas aux mêmes endroits.

La revue de littérature reflète, certes, un certain état des lieux, mais toujours à travers la perspective propre d'un-e chercheur-euse. Non seulement dépend-t-elle de l'expérience de recherche du chercheur et de son cadre contextuel et conceptuel, mais elle est aussi influencée par sa subjectivité et ses biais. En quoi un parcours interdisciplinaire est-il utile dans ce contexte? Être exposé-e à différentes compréhensions de la production du savoir et différentes attitudes envers elle amène une certaine distance vis-à-vis du processus de recherche et favorise la réflexivité. Analoguement au processus de révision par les pairs, lequel permet l'émergence d'une certaine inter-subjectivité, la multiplicité des bagages académiques chez un·e chercheur·euse devient un outil dans la formation de son regard critique.

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Références
  • Hempel, S. (2020). Introduction. In S. Hempel, Conducting your literature review (pp. 3–9). American Psychological Association. doi: 10.1037/0000155-001
  • Kuhn, T. S. (1996 [1962]). The Structure of Scientific Revolutions (3ème ed.). Chicago : The University of Chicago Press.
  • Knorr-Cetina, K. (2003). Epistemic Cultures: How the Sciences Make Knowledge. Cambridge : Harvard University Press.
  • Nickerson, R. S. (1998). Confirmation Bias: A Ubiquitous Phenomenon in Many Guises. Review of General Psychology, 2(2), 175–220. doi : 10.1037/1089-2680.2.2.175
  • Scargle, J. D. (2000). Publication bias: the “File-Drawer” problem in scientific inference. Journal of Scientific Exploration. 14(1):91-106.
  • Serenko, A. et Bontis, N. (2011). What's familiar is excellent: The impact of exposure effect on perceived journal quality. Journal of Informetrics. 5: 219–223. doi:10.1016/j.joi.2010.07.005.
  • Zajonc, R.B. (2001). Mere Exposure: A Gateway to the Subliminal. Current Directions in Psychological Science. 10 (6): 224–228. doi:10.1111/1467-8721.00154
  • 1C'est l'effet de simple exposition (Zajonc, 2001).
  • 2Aussi appelé l'« effet tiroir », le biais de publication est cette tendance, autant à l'échelle des grands journaux que celle des chercheurs.ses, de publier davantage les études aux résultats statistiquement significatifs (ou positifs) que les autres (Scargle, 1999).
  • 3On parle alors du biais de confirmation (Nickerson, 1998).

  • Marie-Maude Roy
    Université de Montréal

    Marie-Maude Roy a complété une maîtrise individualisée en physique et communication à l'Université de Montréal. Son mémoire de recherche-création interroge les modalités du visuel dans la discipline de la physique à travers une étude des images de manuels scolaires. Résolument transdisciplinaire, Marie-Maude est maintenant étudiante au département de psychologie, où elle aspire à combiner deux de ses passions : la recherche et la relation d'aide. Ses champs d'intérêts incluent notamment la transmission des connaissances scientifiques, la culture visuelle en sciences et les enjeux de justice sociale.

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