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Isabelle Peretz, Université de Montréal

« Les résultats les plus probants qu’on a actuellement [quant aux bienfaits de la musique] concernent les relations entre musique et plaisir. On y démontre que l’écoute d’une musique aimée active les régions du cerveau associées au plaisir », Isabelle Peretz.

Lefort
Le travail d'Alain Lefort, entre territoires intérieurs et extérieurs, illustre tout le dossier. Il présente dans un article ses photographies et vidéos issues de son mémoire de maîtrise en arts visuels et médiatique. Qkikirtasiit (Digges), Ivujivik, nord du Québec, 2020, 107cm x 131,5 cm, impression numérique sur polypropylène.
« Ce paysage est un montage de fragments rectangulaires de dimensions irrégulières à partir d’autant de prises de vues. Les coupes expriment les variations de lumière chatoyante d’une prise de vue à l’autre. Le geste photographique devient ici une extension du déplacement. L’île est inatteignable, son image démontre la limite de mon déplacement possible sur le territoire. Sur place, le paysage semble figé dans le temps mais le son des glaces qui s’entrechoquent nous indique qu’il y bien un mouvement sous-jacent. Avoir découpé cet espace à la prise de vue fractionne le temps et le ressoude au moment du montage. Ce qui résulte en un amoncèlement d’espace-temps sur la même image ». Alain Lefort.

 

Johanne Lebel :  Je pense qu’il est de l’expérience commune que la musique module agréablement notre vie intérieure. Pour  ma part, comme Chilly Gonzales, c’est le mode mineur qui me touche profondément, un sentiment mélancolique additionné d’une joie apaisante. Dans votre ouvrage, Apprendre la musique : nouvelles des neurosciences, on y voit d’ailleurs s’additionner tous les effets bénéfiques, allant du plaisir à l’apprentissage scolaire. Et cette sensibilité à la musique prendrait « naissance » assez tôt… 

Isabelle Peretz : Très tôt en effet. On sait que le fœtus perçoit l’environnement sonore à partir des trois derniers mois précédant la naissance. Si on lui chante une berceuse à répétition, il pourrait l’avoir en tête pour le restant de ses jours.Tout laisse croire que la capacité à organiser et mémoriser la musique est inscrite dans les gènes. À la naissance, notre cerveau est donc déjà précâblé pour organiser hiérarchiquement la hauteur des notes, ce qu’on appelle l’harmonie, et à différencier les durées, sous forme de temps forts et faibles, ce qu’on appelle la métrique.

Par la suite, dans les premières années de sa vie, l’enfant fera l’apprentissage de qui est propre à la musique de sa culture. Un petit américain développera le rythme 4/4 et un enfant turc, le 5/4. Les enfants apprennent la musique par imprégnation, spontanément et sans instruction particulière, tout comme la langue parlée.

Johanne Lebel : Vous écrivez aussi que le bébé sera plus sensible au chant qu’à la parole. Cela dit la puissance de la musique, des mélodies.

Isabelle Peretz : Oui, c’est très puissant. Le bébé y sera sensible, et pas nécessairement aux mélodies chantées par sa mère ou dans sa langue. Nous avons fait une expérience avec des bébés de 7 à 10 mois. Ils  écoutaient des voix préengistrées, d’un côté des chansons et de l’autre une sorte de « parler-bébé » chaleureux. Quand on observait sur leur visage des signes de fatigue, des grimaces, des pleurs, on arrêtait. Résultat, ils écoutaient deux fois plus longtemps le chant que la parole.

Nous avons fait une expérience avec des bébés de 7 à 10 mois. Ils  écoutaient des voix préengistrées, d’un côté des chansons et de l’autre une sorte de « parler-bébé » chaleureux. Quand on observait sur leur visage des signes de fatigue, des grimaces, des pleurs, on arrêtait. Résultat, ils écoutaient deux fois plus longtemps le chant que la parole.

Johanne Lebel : Qu’est-ce que ces résultats vous inspirent?

Isabelle Peretz : On pourrait dire, entre autres, que le chant est source de bien-être, d’apaisement, et que le bébé, même isolé, est réconforté par la musique.

Johanne Lebel : Et que nous disent les recherches en neurosciences quant aux effets positifs de la musique sur la vie à tout âge?

Isabelle Peretz : Les résultats les plus probants qu’on a actuellement concernent les relations entre musique et plaisir. Cette recherche, absolument extraordinaire, se fait, entre autres, à Montréal au sein du laboratoire de Robert Zatorre, à l’Université McGill. On y démontre que l’écoute d’une musique aimée active les régions du cerveau associées au plaisir, dont le noyau accumbens dans le système limbique. Il y a sécrétion de dopamine qui à son tour active la sécrétion d’opiacés, qu’on appelle les endorphines.En fait, tout le circuit de la récompense est activé par la musique depuis le système limbique au cortex frontal. 

Les équipes de Robert Zatorre et d’Anthony Rodriguez-Fornells, de l’Université de Barcelone, ont aussi réalisé une étude pharmacologique. C’est très rare dans le domaine. Dans cette étude en double aveugle, les participants se voyaient administrer soit un inhibiteur de la dopamine (risperidone), soit un facilitateur (lévodopa) ou encore un placebo (lactose). Ensuite, ils écoutaient tout simplement de la musique. Les participants ayant reçu le facilitateur appréciaient beaucoup plus la musique après ingestion de la levodopa qu’après la resperidone ou le placebo. Du bonheur, pour qui fait de la recherche en neuroscience de la musique… C’est le modèle de recherche qu’on aimerait voir se déployer pour l’étude de tous ses bienfaits.

Les autres effets positifs sont moins bien validés, mais ils sont tout de même solides. La dimension tranquillisante, soit cette capacité à apaiser, à réduire le stress, se mesure pour sa part par le taux de cortisol – une hormone relative aux états de stress – dans le sang ou dans la salive. Ce sont là des travaux auxquels mon équipe a contribué, en laboratoire à Montréal en 2003. On a publié d'ailleurs la première étude quant à l’effet de la musique sur la capacité de récupération après un stress. Depuis, l’expérience a été reproduite par d’autres, et il y a même des méta-analyses qui montrent cet effet déstresseur, que ce soit sur des sujets normaux ou ayant des pathologies. 

Johanne Lebel : La musique, une stratégie de plus pour mieux vivre cette pandémie...

Isabelle Peretz : Tout à fait. Mais en plus d’avoir des effets calmants, la musique a aussi une dimension analgésique, elle peut réduire la douleur. La première étude, publiée dans Science, remonte aux années 1960. Elle a été réalisée par Wallace J. Gardner, un dentiste qui opérait sans anesthésiant, y compris pour extraire des dents. Les patients écoutaient de la musique entremêlée des sons d’une chute d’eau dont ils contrôlaient le niveau sonore. 

On a étudié cette question à l’Université de Montréal, expérimentalement cette fois. On a montré que la musique n’est pas qu'une distraction, que toute musique n’est pas bonne pour réduire la sensation de douleur. On a pu montré que la musique réduisait la douleur des patients, et permettait ainsi de diminuer la dose habituelle d’analgésique. De nouveau, ici, on a plusieurs méta-analyses récentes qui confirment ces résultats. 

Et on peut y additionner la dimension sociale. La musique fabrique du lien social. C’est une autre des avancées de notre domaine des dix dernières années. On a établi que chanter, bouger, jouer ensemble rendait les êtres humains, les petits comme les adultes, beaucoup plus altruistes, plus disposés à collaborer. 

On a pu montré que la musique réduisait la douleur des patients, et permettait ainsi de diminuer la dose habituelle d’analgésique. De nouveau, ici, on a plusieurs méta-analyses récentes qui confirment ces résultats. 

Johanne Lebel : C’est vrai qu’on est très affecté quand on chante et danse ensemble… 

Isabelle Peretz : …et de plus, vous n’avez pas le choix d’être là consciemment. Si vous n’y êtes pas, vous déraillez. Donc, ça exige d’être dans le moment. On doit être synchronisés, et cela nous amène à se sentir unis, comme une seule personne.

Et quand on chante seul, je pense que c’est plus puissant que de simplement écouter une chanson, parce que cela nous mobilise entièrement. Arrivez-vous à penser à autre chose quand vous chantez ? 

Johanne Lebel : Heureusement pas...

Isabelle Peretz : Cela nous ramène dans le moment présent et nous permet de « relâcher », et bien c’est sûr de cesser de ruminer…

Johanne Lebel : Que diriez-vous aux chercheurs et aux chercheuses, quant à l’effet que peut avoir la musique sur la pratique de leur métier?

Isabelle Peretz : La chance qu’on a, c’est que la musique ne nuit pas, alors pourquoi s’en priver. Elle n’a aucun effet secondaire. On n’a jamais documenté des situations où les gens en avaient abusée. Par contre, on n'a pas de données quant à savoir quand il faut mettre de la musique ou pas. En étudiant ou on travaillant, est-ce une bonne chose? C’est une question de dosage, probablement. Parfois on a besoin soit d'un stimulant, soit de s’isoler du bruit ambiant. À ce moment-là, on cherche une musique qui ne va pas interférer avec l’activité en cours. Généralement, on écoute de la musique sans paroles quand on effectue un travail intellectuel. Mais chose certaine cela ne nous rend pas plus intelligent, pas d’effet Mozart, désolée. Mais, on peut être plus performant si la musique nous fait du bien...

Généralement, on écoute de la musique sans paroles quand on effectue un travail intellectuel. Mais chose certaine cela ne nous rend pas plus intelligent, pas d’effet Mozart, désolée. Mais, on peut être plus performant si la musique nous fait du bien...


  • Isabelle Peretz
    Université de Montréal

    Isabelle Peretz est professeure de psychologie à l'Université de Montréal, et elle est titulaire d'une Chaire de recherche du Canada et d'une Chaire de recherche Casavant en neurocognition de la musique. Ses recherches portent sur le potentiel musical des gens ordinaires, ses corrélats neuronaux, son héritabilité et sa spécificité par rapport au langage. Elle est réputée pour ses travaux sur les troubles musicaux congénitaux et acquis (amusie) et sur les fondements biologiques du traitement de la musique en général. Elle a publié sur une variété de sujets en neurocognition de la musique, de la perception, la mémoire et les émotions au chant et à la danse (pour ses publications, voir http://www.peretzlab.ca/publications/2020/). En 2005, elle a cofondé le Laboratoire international de recherche sur la musique et le son du cerveau (BRAMS), qu'elle a dirigé jusqu'à juin 2018.

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