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Rachel Langevin, Université du Québec à Montréal
Avant l’âge de 18 ans, une Québécoise sur cinq et un Québécois sur dix aura subi une agression sexuelle. De ces victimes, 15 % l’auront été avant l’âge de six ans.

 

[Ce texte est parmi les cinq lauréats du Concours de vulgarisation de la recherche de l'Acfas, parrainé par le Secrétariat à la politique linguistique du Québec].

L’agression sexuelle durant l’enfance est associée à plusieurs conséquences délétères, dont l’anxiété, des symptômes dépressifs et une trajectoire développementale perturbée. Aussi, la maltraitance durant la petite enfance pourrait être plus dommageable que celle survenant dans des périodes développementales ultérieures.

Malgré cela, peu d’études ont tenté de cerner les symptômes dont souffrent les enfants d’âge préscolaire victimes d’agression sexuelle. Pourtant, une telle analyse serait susceptible d’offrir des pistes thérapeutiques pertinentes pour quiconque cherche à aider les jeunes enfants à surmonter une telle épreuve.

L’équilibre émotionnel se construit très tôt

Un des enjeux du développement de l’enfant est la régulation des émotions, soit la capacité de moduler, d’évaluer et de modifier l’intensité et la durée de nos émotions, tant positives que négatives. Cette capacité permet de maintenir un équilibre émotionnel et de favoriser des relations saines avec les autres. Elle est donc très étroitement liée à la santé mentale tout au long de la vie.

Bien que les compétences de régulation des émotions se développent tout au long de l’enfance et de l’adolescence, la période préscolaire est particulièrement cruciale. En effet, une évolution rapide de ces capacités se produit, avec l’amélioration des stratégies déjà en place et l’acquisition de nouvelles stratégies, plus efficaces. Les stratégies cognitives, comme la distraction mentale et le changement de perspective, sont des exemples de stratégies de régulation des émotions plus efficaces qui s’acquièrent durant la période préscolaire. C’est aussi entre trois et six ans que les enfants en arrivent à mieux sélectionner leurs stratégies en fonction de leur efficacité dans des situations spécifiques.

«Nous avons voulu explorer les liens entre l’agression sexuelle, une forme de maltraitance bien spécifique, et la régulation des émotions».

Des études américaines auprès d’enfants victimes de maltraitance (agression sexuelle, négligence et/ou abus physique), principalement d’âge scolaire, ont montré que celle-ci est associée à des déficits de régulation des émotions. Pour notre part, nous avons voulu explorer les liens entre l’agression sexuelle, une forme de maltraitance bien spécifique, et la régulation des émotions. Nous avons ciblé les enfants d’âge préscolaire en raison de l’importance de cette période d’âge dans le développement émotionnel. À notre connaissance, il s’agit de la première étude sur le sujet avec cette clientèle.

Faire progresser les connaissances

Soixante-deux enfants âgés de trois ans et demi à six ans et demi, victimes d’agression sexuelle, dont onze garçons, ont été rencontrés à la Clinique de pédiatrie sociojuridique du CHU Sainte-Justine et au Centre d’expertise Marie-Vincent. Ils ont alors accompli une tâche de récits narratifs durant laquelle ils étaient appelés à compléter des histoires à contenu émotionnellement chargé, à l’aide de figurines représentant une famille. Les histoires mettaient en scène des situations faisant écho au quotidien de jeunes enfants (p. ex. : peur d’un monstre, départ des parents pour une fin de semaine, chicane avec un ami).

Les narratifs des enfants ont ensuite été analysés afin de faire ressortir leur niveau de compétences de régulation des émotions. Les enfants présentant de bonnes compétences devraient être capables de réguler les émotions induites par les narratifs de sorte à offrir une résolution adéquate à ceux-ci. Une résolution adéquate consisterait en l’intégration de thèmes prosociaux (p. ex. : empathie, affection, partage) dans une histoire cohérente se terminant sur une note positive. Soixante-cinq enfants non agressés sexuellement (treize garçons) ont également été rencontrés à titre de comparatif. L’intégration de cette mesure narrative contribue à l’innovation de la présente analyse. En effet, peu d’études auprès de jeunes enfants incluent des mesures prises directement auprès d’eux. Elles se contentent généralement de l’évaluation d’adultes connaissant bien l’enfant. Cependant, elles se coupent ainsi d’une très riche source d’informations.

Les informations fournies par les adultes étant tout de même essentielles, les parents et les éducateurs en garderie des enfants ont été sollicités et ont rempli un questionnaire évaluant les compétences de régulation des émotions de ces derniers. Ainsi, trois types de mesures des compétences de régulation des émotions par enfant ont été recueillis.

Trois évaluations, un constat

Les trois évaluations ont mené au même constat : les enfants d’âge préscolaire victimes d’agression sexuelle présentent de moins bonnes compétences de régulation des émotions que les enfants n’ayant pas subi un tel trauma. D’après l’évaluation des adultes, les enfants agressés sexuellement ont plus de difficultés à être conscients de leurs émotions, positives et négatives, et à les exprimer de manière à favoriser des relations saines avec leur entourage. D’après les parents, ces difficultés seraient plus importantes chez les garçons agressés sexuellement que chez les filles. En terminant, l’analyse des récits narratifs indique que les enfants agressés sexuellement intègrent moins de thèmes prosociaux et d’émotions de toutes sortes à leurs histoires. Ils présentent également davantage de dénis des conflits et élaborent des récits moins cohérents, dont les fins sont plus négatives.

«L'analyse des récits narratifs indique que les enfants agressés sexuellement intègrent moins de thèmes prosociaux et moins d’émotions de toutes sortes à leurs histoires».

Favoriser la résilience par la régulation des émotions

Par son aspect novateur, cette étude a permis de faire avancer la recherche concernant les jeunes enfants victimes d’agression sexuelle. Elle présente de surcroît un intérêt pour le domaine de l’intervention. En effet, sachant que ces enfants sont susceptibles de présenter des déficits en termes de régulation des émotions, il peut être fort prometteur d’en faire une cible d’intervention dans les services thérapeutiques leur étant offerts.

Le fait d’intervenir sur ce point dès l’âge préscolaire, ce moment crucial dans le développement de la régulation des émotions, pourrait mener à des progrès substantiels et même plus importants que des interventions plus tardives. De plus, compte tenu du lien important entre régulation des émotions et santé mentale, soutenir le développement optimal de l’univers émotif des enfants d’âge préscolaire victimes d’agression sexuelle pourrait être un important élément de prévention dans l’apparition de problèmes de santé mentale chez ceux-ci à court et à long terme. Bien que l’agression sexuelle marque à tout jamais les individus qui en sont victimes, il est possible de favoriser leur résilience en travaillant, entre autres, à leur régulation des émotions.


  • Rachel Langevin
    Université du Québec à Montréal

    Rachel Langevin est doctorante en psychologie à l’Université du Québec à Montréal, profil recherche et intervention, sous la direction des docteures Martine Hébert et Louise Cossette. Sur le plan de la recherche, elle s’intéresse aux impacts de la maltraitance sur le développement des enfants. Plus spécifiquement, sa thèse de doctorat porte sur le développement émotionnel de jeunes enfants victimes d’agression sexuelle. Puisqu’elle se forme également à la psychologie clinique, elle tient à ce que ses travaux de recherche aient une application concrète et permettent ultimement de bonifier les services offerts aux enfants ayant subi des mauvais traitements. Sur le plan clinique, elle compte se spécialiser dans l’intervention auprès des adultes et des enfants victimes d’évènements traumatiques (p.ex., agression sexuelle et physique, maltraitance, accidents graves). La lauréate estime qu’il est essentiel de transmettre la connaissance développée en recherche au plus grand nombre, et c’est pour cette raison qu’elle a vulgarisé certains résultats de son projet doctoral. Le transfert des connaissances est un mandat important pour les chercheurs, croit-elle, et la vulgarisation scientifique est un vecteur de ce transfert.

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