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Simone Amagnamoua, Université de Sherbrooke

...en créant des personnages crédibles souffrant de pathologies bien documentées, on peut susciter une réponse émotionnelle chez le lecteur qui contribuera considérablement à la rétention des informations. De plus, le registre fictionnel amène le lecteur, à travers les personnages, à s’identifier soit comme personne souffrante, soit comme personne aidante, ou encore, comme personne avertie.

Où l’on part de ce qui nous motive

Je me rappelle toujours la première fois que j’ai réalisé à quel point la société où je vivais avait besoin d’une meilleure compréhension et d’un meilleur soutien en ce qui concerne les personnes atteintes de troubles de santé mentale. Dans mon rôle d’accompagnatrice spirituelle au Cameroun, j’avais fréquemment l’occasion de rencontrer en entretien des femmes ou des hommes qui avaient plutôt des problèmes psychopathologiques. Malheureusement, je ne me sentais pas suffisamment outillée pour leur apporter l’aide dont ils ou elles avaient besoin. Parmi les situations les plus préoccupantes figuraient les cas de troubles du spectre de la schizophrénie. D’après le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5, 2022), ces cas peuvent entraîner des conséquences graves si leur prise en charge thérapeutique n’est pas rapidement mise en place et adaptée aux besoins spécifiques de la personne malade.

J’ai encore en mémoire cet homme qui éprouvait des hallucinations sonores en écoutant les nouvelles à la radio. Il était persuadé que les médias le surveillaient, et il se sentait perpétuellement sous contrôle et poursuivi. Ses agissements ont finalement conduit à son isolement total vis-à-vis de sa famille et de ses amis. 

Profondément touchée par cette réalité, je me suis alors interrogée : quelles solutions pourraient m’aider à contribuer activement à déstigmatiser la maladie mentale? Une formation en psychologie me semblait une option pertinente pour acquérir les compétences requises. Je me suis inscrite un an plus tard à l’Université de Hearst, dans le nord de l’Ontario.

Où l’on fait une découverte qui nous fait avancer  

Au cours de mes études de baccalauréat en psychologie, notre professeur de pathologie nous a fait travailler sur le roman TAGuée d’Emmanuel Lauzon. À travers l’histoire d’une jeune fille souffrant du trouble anxieux généralisé, l’auteur explore les thèmes de la psychopathologie. Il y met en lumière les mécanismes de guérison de Charlie, qui amènent peu à peu celle-ci à s’apaiser face à ses traumatismes passés et ses phobies. Le soutien familial, les relations amicales authentiques, et surtout, l’assistance des professionnel.les de santé mentale vont l’aider à surmonter ses difficultés. 

Ce livre m’a fait voir toute la force d’une fiction construite à partir de données solidement documentées – une force qui pourrait servir à sensibiliser aux réalités des troubles de santé mentale. 

Je suis attirée par une telle approche, qui rend les concepts scientifiques plus accessibles. Comme le soutient le sociologue Pierre Lascoumes (2022), en créant des personnages crédibles souffrant de pathologies bien documentées, on peut susciter une réponse émotionnelle chez le lecteur qui contribuera considérablement à la rétention des informations. De plus, le registre fictionnel amène le lecteur, à travers les personnages, à s’identifier soit comme personne souffrante, soit comme personne aidante, ou encore, comme personne avertie. 

Où l’on découvre ce qui sera le fondement de notre travail 

Je pense avoir trouvé ma voie, ma vocation : contribuer à changer l’image des troubles mentaux dans une communauté où la place et le rôle de chaque individu sont reconnus, respectés et valorisés. Mais aussi, encourager les personnes à demander de l’aide sans crainte et activer des mécanismes pour créer des ressources accessibles à tous ceux et celles qui en ont besoin. Je rêve d’un monde où la santé mentale serait prise en compte sans préjugés, tout autant que la santé physique, et où chaque personne trouverait des ressources sans crainte ni jugement.  

Où par une maîtrise l’on est amené à concrétiser sa vision 

De la psychologie à la recherche en sciences de la santé aujourd’hui, mon parcours commence à prendre sens. De fait, ce champ de recherche m'offre la possibilité de contribuer non seulement au bien-être des personnes, mais aussi à l’évolution des institutions et des politiques publiques.

Mon mémoire de maîtrise s’inscrit dans un projet plus large financé par les Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) : Gentrification des soins de première ligne au Québec : une étude longitudinale multiméthode, dirigé par la professeure Christine Loignon. Mon but est de comprendre comment les professionnel·les de la santé de première ligne, qui travaillent dans des cliniques publiques de soins de proximité, ouvertes à tous (ex. : cliniques mobiles, Maison Bleue, cliniques STEP et cliniques SPOT), perçoivent l’évolution de la gentrification des soins et services de première ligne.

La gentrification des quartiers urbains, en effet, entraîne une gentrification des soins qui se manifeste par la transformation progressive des zones résidentielles, affectant directement la répartition géographique des soins et services de santé1. Plusieurs changements interconnectés se produisent par la suite : modification de la répartition des services dans le domaine de la santé au profit des résident·es plus aisé.es et excluant les résident·es originaux·ales, souvent plus vulnérables; déplacement progressif des structures, qui rend encore plus difficile l’accès aux soins2; émergence de nouveaux services de santé plus sophistiqués et orientés vers une clientèle plus aisée, etc. 

Des études menées dans les quartiers à revenus faibles ou modérés des 100 plus grandes régions métropolitaines des États-Unis démontrent déjà que la gentrification pourrait avoir un impact négatif sur le bien-être et la santé des résident.es d'origine, plus susceptibles d'être des personnes de couleur, en raison de l'augmentation de la charge du coût du logement3. 

L’un des objectifs de mon projet est de mettre en lumière les obstacles à l’accès aux soins de première ligne, incluant les soins en santé mentale. Jean-François Lévesque définit l’accès comme « la possibilité d’identifier les besoins de santé, de rechercher des services de santé, d’atteindre les ressources de santé, d’obtenir ou d’utiliser des services de santé et de se voir effectivement offrir des services adaptés aux besoins de soins »4. Ma recherche vise également à explorer les stratégies efficaces pour améliorer l’équité des services de soins de première ligne5

Où la recherche doit s’offrir en partage

Tout de même, une question fondamentale demeure pour moi : comment pouvons-nous transformer notre communauté en rendant accessibles les savoirs développés en recherche à l’ensemble des citoyen·nes? Serait-ce en combinant les expériences vécues au moyen de la fiction avec les avancées de la recherche? C’est la voie que je choisis d’explorer afin de créer des ponts entre l’académique et le social. Heureusement, il existe déjà de nombreuses ressources inspirantes sous divers formats, tels que des balados, des vidéos éducatifs, des ateliers-théâtre, des romans...

Bibliographie
  • Association américaine de psychiatrie. (2022). Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (5e éd., texte révisé). https://doi.org/10.1176/appi.books.9780890425787.
  • Browne, A. J., Varcoe, C., Ford-Gilboe, M., Nadine Wathen, C., Smye, V., Jackson, B. E., Wallace, B., Pauly, B. B., Herbert, C. P., Lavoie, J. G., Wong, S. T., & Blanchet Garneau, A. (2018). "Disruption as opportunity: Impacts of an organizational health equity intervention in primary care clinics". International journal for equity in health, 17(1), 154. https://doi-org.ezproxy.usherbrooke.ca/10.1186/s12939-018-0820-2.
  • Cole, H.V.S., Franzosa, E. Advancing urban health equity in the United States in an age of health care gentrification: a framework and research agenda. Int J Equity Health 21, 66 (2022). https://doi.org/10.1186/s12939-022-01669-6.
  • Levesque, JF., Harris, M.F. & Russell, G. Patient-centred access to health care: conceptualising access at the interface of health systems and populations. Int J Equity Health 12, 18 (2013). https://doi.org/10.1186/1475-9276-12-18.
  • Loignon, C., Hudon, C., Goulet, É., Boyer, S., De Laat, M., Fournier, N., Grabovschi, C., & Bush, P. (2015). "Perceived barriers to healthcare for persons living in poverty in Quebec, Canada: the EQUIhealThY project". International journal for equity in health, 14, 4.https://doi.org/10.1186/s12939-015-0135-5.
  • Pierre Lascoumes, « Écrire des fictions « vraies » », Communication [En ligne], Vol. 39/2 | 2022, mis en ligne le 06 octobre 2022, consulté le 28 décembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/communication/16823; DOI : https://doi.org/10.4000/communication.16823.
  • 1

    Schnake-Mahl et coll. 2020.

  • 2

    Browne et coll. 2018; Cole 2024.

  • 3

    Hwang et Lin 2016; Smith et coll. 2020.

  • 4

    Lévesque 2013.

  • 5

    Loignon et coll. 2015.


  • Simone Amagnamoua
    Université de Sherbrooke

    Simone Amagnamoua est étudiante en maîtrise, et assistante de recherche recherche, à la Faculté de médecine et des sciences de la santé de l’Université de Sherbrooke. Son projet de recherche se concentre sur les perceptions des professionnels de la santé concernant la gentrification des soins et services de première ligne. Elle est également coordonnatrice du Comité Engage qui relève du Bureau de la responsabilité sociale (BRS) de l’Université de Sherbrooke. Elle a un baccalauréat ès arts (spécialisé) en psychologie de l’Université de Hearst/Université Laurentienne. En 2020-2021, elle a participé à un projet de recherche portant sur la couverture médiatique des impacts de la COVID-19 sur la santé mentale entre la première et deuxième vague : une étude qualitative au Canada. Parallèlement, elle a exercé la fonction de conseillère à la vie étudiante au campus de Timmins de l’Université de Hearst. Ses domaines d’intérêt sont : les services de santé de première ligne, l’accès aux soins des populations vulnérables, la psychologie clinique et l’intégration de l’interculturalité dans les soins et services en santé mentale.

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