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Annabelle Rivard Patoine, Université de Montréal
Fleuve Saint-Laurent

Dans le dernier dossier Relève, intitulé Ancrages, nous avons demandé à quatre chercheuses et chercheurs de répondre à cette question en apparence bien simple : « Que m’apprennent mes études supérieures? » La réflexion se poursuit, cette fois-ci en relation avec les discours, les récits, les conversations tenues avec les principaux acteurs impliqués dans une démarche ethnographique, lors de la « construction » d'une thèse de doctorat.

Mes études supérieures en sociologie économique m’ont appris à aborder la construction de la connaissance à partir d’angles inusités, en particulier en portant attention aux récits militants à propos des controverses économiques et des choix technologiques. Alors que plusieurs recherches ont mis de l’avant l’importance de l’aspect narratif dans l’édification des politiques publiques, je m’intéresse pour ma part à cette dimension narrative pour traiter de la manière dont les idées économiques dominantes peuvent être contestées pour faire place à des visions alternatives du présent et du futur. 

Plus précisément, mon doctorat aborde les conséquences territoriales de la « quatrième révolution industrielle ». Ce paradigme correspond à la réorganisation de la production et de la distribution des biens et des services en fonction des technologies numériques émergentes, en particulier les données massives et l’intelligence artificielle. Ma recherche part de l’hypothèse que ce modèle de développement, au-delà de ses impacts dans le monde financier ou virtuel, entraîne surtout des conséquences majeures en ce qui concerne les enjeux écologiques et l’aménagement des espaces urbains et ruraux.

Mes études supérieures en sociologie économique m’ont appris à aborder la construction de la connaissance à partir d’angles inusités, en particulier en portant attention aux récits militants à propos des controverses économiques et des choix technologiques.

Dans ma thèse, j’associe l’imaginaire économique de la quatrième révolution industrielle aux politiques de développement territorial mises de l’avant par la Coalition Avenir Québec, notamment à la Stratégie Avantage Saint-Laurent, qui vise à faire du fleuve un « corridor économique performant » notamment en développant une panoplie de « zones d’innovation » et de « zones de logistique intelligente ». Alors que ces projets sont contestés par plusieurs groupes de mobilisation, de Montréal à Québec en passant par Contrecœur, je cherche à analyser les conflits d’usages générés par ces projets et à explorer les rapports alternatifs au territoire proposés par les mouvements qui les contestent.

Mon terrain de thèse, ancré dans une démarche de type ethnographique, m’a fait réaliser à quel point les militants et les militantes étaient souvent les personnes les mieux placées, non seulement pour analyser les situations de tension et de perturbation de leur environnement de vie, mais aussi pour analyser les politiques gouvernementales et élaborer des propositions alternatives. En effet, alors que l’information officielle demeure trop souvent opaque et difficile d’accès, les personnes impliquées dans les mouvements de contestation ont souvent affiné au cours du temps une intelligence stratégique et une compréhension aigüe des tactiques déployées par les différents acteurs des conflits. Leurs analyses, bien que souvent très spécifiques à des enjeux précis, m’ont permis de repérer les obstacles transversaux liés à la prise en compte de la préservation du vivant et des intérêts des populations dans projets d’aménagement du territoire. Ce sont les pratiques militantes, par la fréquentation à long terme d’une lutte, qui font le mieux ressortir les contradictions propres aux modèles de développement au sein du capitalisme et qui permettent de proposer des visions alternatives du futur.

Un apprentissage central de mon doctorat concerne la manière dont l’approche méthodologique choisie permet de « construire » des données de recherche pour ensuite les comparer et les soumettre à l’analyse. Influencée par les enjeux de justice environnementale, cette réflexion m’a aussi incitée à remettre en question les hiérarchies des discours dans la construction de la connaissance. En effet, j’appréhende désormais la démarche qualitative comme une « coconstruction » du savoir à propos des phénomènes étudiés, en dialogue avec les principaux intéressés, plutôt que de chercher à partir d’une position « neutre » qui serait en surplomb ou à l’extérieur de mon objet d’étude. Je considère à présent que la mission de la recherche en sociologie n’est pas seulement d’offrir des outils pour éclairer des choix de société, mais aussi de souligner les manières dont les protagonistes impliqués dans les controverses environnementales sont aptes à créer leurs propres théories. Le rôle de la recherche devient ainsi d’accorder de l’importance à cette démarche et d’offrir des prises théoriques pour en prolonger la réflexion.

Un apprentissage central de mon doctorat concerne la manière dont l’approche méthodologique choisie permet de « construire » des données de recherche [...] j’appréhende désormais la démarche qualitative comme une « coconstruction » du savoir à propos des phénomènes étudiés [...]


  • Annabelle Rivard Patoine
    Université de Montréal

    Annabelle Rivard Patoine est doctorante en sociologie économique à l’Université de Montréal et membre de Stasis, un groupe d’enquête sur le contemporain (https://groupestasis.com/). Pendant son doctorat, elle a enseigné les cours de Marx et marxisme ainsi que de Sociologie de l’environnement au département de sociologie à l’Université de Montréal.

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