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Pénélope Germain Chartrand, Université du Québec à Montréal, Nia Perron, Université de Montréal

Le Grand Nord. Ce territoire extraordinaire des hautes latitudes du Canada. Ce territoire tout aussi spectaculaire que fragile. De par sa géographicité et son climat, le Nord canadien est trois fois plus affecté par les changements climatiques récents que le reste de la planète. La hausse des températures moyennes annuelles et la fonte du pergélisol sont parmi les plus grands risques qui le menacent. Ces changements sont sujets d’une multitude de domaines d’études. L’empressement et le besoin de développer des projets scientifiques dans le Nord canadien offrent par ailleurs des opportunités académiques pour les étudiant-e-s tout en contribuant à l’enrichissement des connaissances. 

Voyager en région éloignée implique énormément de préparations, et les coûts peuvent rapidement franchir les 5 chiffres. Le travail en collaboration devient alors idéal quand on parle de campagne de terrain nordique. C’est dans cette optique que nous nous sommes retrouvées ensemble, Pénélope Germain Chartrand et Nia Perron, à l’été 2019 dans les Territoires du Nord-Ouest. Une belle histoire de partenariat et de science ayant mené à la capture de la photo ci-dessous, sélectionnée par le jury pour l’édition 2020 du concours La preuve par l’image de l’Acfas.  

Co2 mon amour
Quelque part dans une tourbière des Territoires du Nord-Ouest, près du 62e parallèle, une fourmi mène un combat périlleux contre une plante insectivore. Le saviez-vous? Les tourbières séquestrent énormément de carbone atmosphérique. Le réchauffement climatique a deux effets sur ce milieu. D'une part, il y a fonte de pergélisol et libération du méthane. D'autre part, les tourbières nordiques, ainsi réchauffées, se développent. Elles pourraient ainsi contribuer à l’absorption des surplus de carbone causant l’effet de serre. L’étude de ce phénomène est une première étape dans la compréhension de la réponse de nos écosystèmes à ces changements. (Photographie numérique)

La recherche de Pénélope

Dans le cadre de ma maîtrise en géographie à l’Université du Québec à Montréal, sous la supervision de Michelle Garneau, nous avons élaboré un projet de recherche en biogéographie. Il s’agissait d’évaluer l’accumulation du carbone dans les tourbières à pergélisol des Territoires du Nord-Ouest. Les tourbières sont des milieux humides où l’accumulation de la matière organique est plus grande que sa décomposition. Cette végétation absorbe une quantité importante de carbone atmosphérique, et ce depuis des milliers d’années! La dynamique de ces puits de carbone est toutefois à risque puisque le pergélisol dégèle rapidement. Ce sont alors ces changements que nous désirons évaluer à travers mon projet de maîtrise. Pour ce faire, il est primordial de se déplacer sur le terrain. L’objectif principal était de visiter trois tourbières différentes de Yellowknife à Inuvik et d’y récolter l’équivalent de 65 carottes de tourbe à des fins d’analyses en laboratoire. L’analyse de ces échantillons permettra d’évaluer l’accumulation du carbone dans les tourbières des Territoires du Nord-Ouest dans un contexte de fonte du pergélisol induite par les changements climatiques récents.

La recherche de Nia

Lorsque nous pensons au Nord canadien, nous imaginons des paysages dénudés et dominés par les milieux humides, la neige et la glace. Toutefois, cette région se caractérise aussi par une mosaïque de paysages densément boisés entremêlés de milieux humides, de lacs et de rivières. Le mouvement de l’eau à travers ces paysages est un élément critique de leur fonction et de leur productivité. Or, il se modifie au fur et à mesure que le pergélisol dégèle, que la température de l’air se réchauffe et que les régimes de précipitations se transforment. La compréhension du rôle joué par les arbres dans le mouvement continu de l’eau à travers les écosystèmes forestiers du nord-est est au centre de ma recherche de doctorat, sous la supervision de Oliver Sonnentag (Université de Montréal) et Jennifer Baltzer (Université Wilfrid Laurier, Ontario). À l’aide de plusieurs techniques de mesure, nous surveillons en permanence l’eau qui circule dans les arbres de la forêt boréale et qui par après quitte le milieu vers l’atmosphère au fil de la saison de croissance de ceux-ci. Nous évaluons aussi l’eau emmagasinée dans les troncs. Ces données sont par après agencées avec des données environnementales telles que les précipitations, la température et le rayonnement solaire afin de déterminer ce qui influence l’utilisation de l’eau de 180 arbres à travers 5 sites de recherche qui s’étendent de la limite sud des arbres boréaux en Saskatchewan à la limite nord des arbres dans les Territoires du Nord-Ouest. 

Travailler en équipe : la recette parfaite du travail de terrain

Une grande partie de la recherche est axée sur les publications, les résultats et la prise de données. C’est ce qui est attendu des chercheur-se-s et ce qui domine leurs priorités de recherches. Ce faisant, il est difficile de trouver des occasions de partager ce qui nous motive profondément en recherche. Or, c’est pour cette raison précise que nous étions excitées de partager notre expérience de travail en effectuant des recherches dans le Nord du Canada. 

Au départ, nous avions chacune l’intention de recueillir les données nécessaires pour atteindre nos objectifs individuels de recherche. Cependant, nous avons rapidement réalisé que cette campagne ne serait un succès que si nous travaillions de concert. Heureusement, nous avons été en mesure d’utiliser les mêmes terrains d’études et malgré les nombreuses différences de nos projets respectifs, ceux-ci se complémentaient à merveille. Travaillant côte à côte, nous avons continuellement passé du rôle de leader à assistante et d’étudiante à enseignante. Par conséquent, nous sommes toutes les deux revenues avec des compétences et des expériences que seules, nous n’aurions jamais acquises. Par exemple, Nia a enrichi sa connaissance des végétaux et elle a appris la mécanique de l’expansion latérale des tourbières, permettant d’enrichir ses connaissances sur l’usage de l’eau par les arbres en bordure des tourbières. Ce concept d’expansion latérale des tourbières à pergélisol, au centre de la recherche de Pénélope, expliquait certaines variables et indicateurs du projet de Nia. D’autre part, les connaissances de Nia en matière d’essence d’arbres et de flux aquatiques de la forêt boréale ont permis à Pénélope de mieux comprendre les effets du dégel du pergélisol sur le bon fonctionnement des tourbières. 

On pourrait dire que c’est la beauté du travail dans le Nord. Les projets, les travaux et les recherches sont tous différents, mais le but est le même : comprendre la dynamique environnementale des hautes latitudes face aux changements climatiques actuels. 

Les observations de Pénélope :  la séquestration du carbone par les tourbières à pergélisol 

Il est clair que la dynamique de séquestration du carbone des tourbières à pergélisol des Territoires du Nord-Ouest se modifie avec les changements climatiques. Les recherches effectuées en amont de la campagne de terrain démontrent sans équivoque que la hausse des températures, plus importantes au Nord, accélère le dégel du pergélisol. Avec ce dégel, on observe le phénomène de l’expansion latérale des tourbières. Lorsqu’une tourbière prend de l’expansion, la végétation récente accumule plus de carbone atmosphérique changeant ainsi la dynamique de séquestration.

Selon les observations de 2019, nous avons établi que la sphaigne, la végétation principale, était en mesure de s’étendre vers les marges forestières. Toutefois, nous avons remarqué que cette expansion n’était pas linéaire ni similaire sur chaque tourbière étudiée. L’influence du rayonnement solaire, les précipitations, le décalage de la saison de croissance de la végétation ainsi que les fortes températures se sont avérés des facteurs déterminants de l’expansion latérale des tourbières.  Il reste toutefois beaucoup de travail et d’analyses à faire au cours de la prochaine année pour être en mesure de répondre à la question de recherche de la maîtrise de Pénélope et ainsi déterminer le réel impact des changements climatiques récents sur la séquestration du carbone dans les tourbières nordiques. 

Les observations de Nia : le mouvement de l’eau à travers les arbres 

L’objectif du travail de doctorat de Nia est de déterminer la dynamique de l’utilisation de l’eau des arbres sur l’un des cinq sites de recherche. Sur ce site, les arbres boréaux tels que l’épinette noire jouent un rôle primordial dans le cycle de l’eau en stockant cette eau puis en la rejetant par la transpiration. La transpiration est un processus dans lequel l’eau se déplace à travers l’arbre pour ainsi être relâchée dans l’atmosphère. Plusieurs facteurs influencent la transpiration des arbres et Nia se penche sur l’identification de ces facteurs. Elle a déterminé que les arbres les plus grands et les plus larges déplacent quotidiennement plus d’eau à travers leurs troncs et que la quantité d’eau dans l’air, la quantité de lumière solaire et la température de l’air sont les facteurs les plus influents sur la transpiration des arbres. De hauts niveaux de nutriments ainsi qu’une hausse de la quantité d’eau accessible dans le sol augmentent également la transpiration des épinettes noires. Les tourbières dominées par l’épinette noire sont une composante importante du paysage boréal de la région, où le dégel du pergélisol et l’expansion latérale des milieux humides modifient la fonction hydraulique de l’épinette noire sur les bilans hydriques locaux. Pour la suite, Nia continuera d’explorer la relation entre l’utilisation de l’eau des arbres dans les quatre autres sites des Territoires du Nord-Ouest.

Deux recherches, une seule photo 

La photo du concours La Preuve par l’Image, intitulée CO2 Mon Amour dépeint nos deux recherches. Au-delà d’avoir eu la chance de capturer une scène rare entre une plante insectivore et une fourmi, cette photo représente également la collaboration de deux étudiantes en environnement, travaillant chacune sur une problématique différente, mais complémentaire. Cette photo, cette scène microscopique, met en valeur, paradoxalement, l’ampleur des travaux effectués et l’importance de notre apprentissage commun : comprendre les changements écosystémiques du Nord canadien dans une ère où les changements climatiques engendrent de troublantes problématiques, et ce, à travers une approche holistique nourrit par notre passion et par notre indéfectible admiration des paysages nordiques.


  • Pénélope Germain Chartrand
    Université du Québec à Montréal

    Pénélope Germain Chartrand est une étudiante graduée du baccalauréat en géographie à l’Université du Québec à Montréal en 2019. Lors d’un stage en Écosse à sa dernière année au premier cycle, Pénélope a développé un réel intérêt pour les milieux tourbeux, la poussant ainsi à poursuivre ses études aux cycles supérieurs afin de travailler dans l’équipe de Michelle Garneau au laboratoire du GEOTOP de l’UQAM.

  • Nia Perron
    Université de Montréal

    Nia Perron est candidate au doctorat en géographie à l’Université de Montréal sous la direction d’Oliver Sonnentag et de Jennifer Baltzer (Université Wilfrid Laurier). Elle possède également un baccalauréat en science de l’environnement de l’Université de Winnipeg, avec une spécialisation en écologie forestière ainsi qu’une Maîtrise en environnement et ressources naturelles à l’université d’Islande. 

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