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Roberta de Oliveira Soares, Université de Montréal
À Montréal, il est courant que les élèves immigrants nouvellement arrivés qui ont besoin d’aide pour apprendre le français ou pour améliorer leurs compétences dans cette langue soient placés en classe d’accueil. Ils y apprennent la langue française ou ils améliorent leurs compétences en la matière. Ensuite, au moment opportun, ils sont dirigés vers une classe ordinaire, avec ou sans soutien. Jusqu’à présent, la recherche sur les modèles d’accueil s’est penchée sur les processus d’apprentissage, les pratiques d’enseignement ou encore l’expérience scolaire et identitaire des élèves. Aucune ne traite cependant du processus de classement des élèves avant et après le séjour en classe d’accueil. Que se passe-t-il dans cet angle mort?
Rosita
Source : Opale, le magazine de la diversité culturelle, www.opale-magazine.com

Depuis l’entrée en vigueur de la Charte de la langue française (loi 101) en 1977, le système scolaire québécois francophone est devenu l’un des lieux d’accueil pour les immigrants. Les écoles se sont ainsi adaptées à la diversité linguistique, ethnoculturelle et religieuse. La Politique d’intégration scolaire et d’éducation interculturelle [PDF] de 1998, encadre pour sa part la mise en œuvre d’une « éducation interculturelle » et, plus récemment, d’une « éducation inclusive ». Dans la foulée de cette politique, le Québec a mis en place cinq modèles d’accueil linguistique : 1) classe d’accueil fermée ; 2) classe d’accueil fermée avec aide à l’intégration ; 3) intégration partielle ; 4) intégration totale dans la classe ordinaire avec soutien à l’apprentissage du français ; et 5) intégration totale dans la classe ordinaire sans soutien à l’apprentissage du français.

Au Québec, les élèves en classe d’accueil passent par deux classements : un pour y rentrer et un pour en sortir. Un protocole est mis en place pour décider si un élève a besoin d’un séjour dans celle-ci. Une entrevue est réalisée avec l’élève et sa famille pour comprendre le parcours scolaire effectué à ce jour. Ensuite, la capacité de communication orale en français est évaluée. Si l’élève parle la langue minimalement, ses compétences de lecture et d’écriture dans celle-ci sont évaluées1. La décision de placer un élève est prise par l’équipe-école, qui réunit l’enseignant de la classe d’accueil, une conseillère pédagogique et la direction de l’école. La composition de l'équipe peut varier d'une Commission scolaire à l'autre.

Après le séjour en classe d’accueil, il est attendu que les élèves soient dirigés vers la classe ordinaire avec ou sans soutien à l’apprentissage de la langue d’accueil. Mais, s’il existe un protocole de classement avant le séjour en classe d’accueil, c’est-à-dire l’entrevue et l’évaluation des compétences linguistiques, il n’existe pas de protocole défini lorsque vient le moment de terminer le séjour.

Avant, pendant et après le séjour en classe d’accueil, l’enseignement et l’évaluation des nouveaux arrivants sont basés sur les trois compétences du programme d’intégration : linguistique, scolaire et sociale. L’intégration linguistique contribue au développement des compétences en français (oral, lecture et écriture). L’intégration scolaire concerne leur compréhension du système scolaire québécois. Finalement, l’intégration sociale les accompagne dans leur familiarisation des valeurs communes de la société québécoise2.

Bien que l’évaluation de ces élèves soit basée sur ces trois compétences du programme d’intégration et qu’il existe un protocole d’accueil bien défini, nous avons constaté, à travers des pré-entrevues, que le processus de classement des élèves notamment après le séjour en classe d’accueil est très informel et varie beaucoup d’une Commission scolaire à l’autre. Ainsi, nous faisons l’hypothèse que ce processus informel émanerait d’une prise de décision basée notamment sur le « jugement scolaire » de l’enseignant de la classe d’accueil, mais aussi d’autres intervenants scolaires comme la conseillère pédagogique et la direction de l’école. Par jugement scolaire, nous entendons l’évaluation de la performance scolaire des élèves, c’est-à-dire de leur réussite scolaire. Il s’agit de réussir le parcours scolaire quant aux objectifs d’apprentissage attendu par l’école.

Le jugement scolaire possède une composante subjective influencée par diverses informations, individuelles et contextuelles3. Ces jugements scolaires sont basés sur l’idée d’une norme scolaire qui, étant une construction sociale, varie selon les contextes éducatifs locaux et nationaux4.

On peut donc se demander si les biais inconscients dans la prise de décision et les rapports de pouvoir existants pourraient affecter, dans certains cas, négativement la trajectoire scolaire des élèves issus de minorités. Le processus de classement génère-t-il la stigmatisation5 de certains élèves, en raison soit de leur origine ethnique ou raciale ? Quels sont les effets de la classe sociale, d’un français parlé avec un accent ou encore de l’usage en classe de sa langue maternelle ou de la langue anglaise sur ce processus décisionnel ? Autant de questions qui motivent mes travaux de doctorat. Je veux ainsi par cette recherche ethnographique6 mieux comprendre le processus de classement des élèves issus de l’immigration fréquentant des classes d’accueil à Montréal avant et après leur séjour en classe d’accueil.

Références bibliographiques

  • Bressoux, P. (2018). Comment se fabrique le jugement des enseignants ? Regards croisés sur l’économie, 22(1), 15 23.
  • De Koninck, Z. et Armand, F. (2012). Entre métropole et régions, un même raisonnement peut-il soutenir un choix de modèles de services différent pour l’intégration des élèves allophones ? Diversité urbaine, 12(1), 69‑85.
  • Goffman, E. (1986). Stigma: Notes on the Management of Spoiled Identity. New York : Simon & Schuster.
  • Magnan, M.-O., Pilote, A., Vidal, M. et Collins, T. (2016). Le processus de construction des étiquettes dans les interactions scolaires. Dans M. Potvin, M.-O. Magnan et J. Larochelle-Audet (dir.), La diversité ethnoculturelle, religieuse et linguistique en éducation : théorie et pratique (2e éd., p. 232‑240). Montréal : Fides Éducation.
  • Mc Andrew, M. et Bakhshaei, M. (2016). La scolarisation des élèves issus de l’immigration et l’éducation interculturelle: historique, situation actuelle et principaux défis. Dans M. Potvin, M.-O. Magnan et J. Larochelle-Audet (dir.), La diversité ethnoculturelle, religieuse et linguistique en éducation : théorie et pratique (2e éd., p. 19‑40). Montréal : Fides Éducation.
  • Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. (2011a). Programme de formation de l’école québécoise. Intégration linguistique, scolaire et sociale: domaine des langues. Québec, Qc, Canada : Gouvernement du Québec.
  • Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. (2011b). Programme de formation de l’école québécoise. Intégration linguistique, scolaire et sociale: paliers pour l’évaluation du français (enseignement secondaire). Québec, Qc, Canada : Gouvernement du Québec.
  • Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. (2011c). Programme de formation de l’école québécoise. Intégration linguistique, scolaire et sociale: progression des apprentissages au secondaire. Québec, Qc, Canada : Gouvernement du Québec.
  • Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport. (2014). Accueil et intégration des élèves issus de l’immigration au Québec : protocole d’accueil. Québec.
  • Pepin, M. (2011). L’ethnographie scolaire : comprendre quoi, comment et pour qui? Recherches qualitatives, 10, 30‑46.
  • Vienne, P. (2004). Au-delà du stigmate : la stigmatisation comme outil conceptuel critique des interactions et des jugements scolaires. Éducation et sociétés, 13(1), 177‑192.
  • Vienne, P. (2005). Mais qui a peur de l’ethnographie scolaire ? Éducation et sociétés, 16(2), 177‑192.
  • Whyte, W. F. (1993). Street corner society: the social structure of an Italian slum (4e éd.). Chicago : University of Chicago Press.
  • 1Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2014
  • 2Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2011b, 2011a, 2011c
  • 3Bressoux, 2018
  • 4Bressoux, 2018; Magnan, Pilote, Vidal et Collins, 2016; Vienne, 2004
  • 5Goffman, 1986
  • 6Pepin, 2011; Vienne, 2005; Whyte, 1993

  • Roberta de Oliveira Soares
    Université de Montréal

    Roberta de Oliveira Soares possède un baccalauréat en sciences sociales à l’Université de Sao Paulo et une maîtrise en sociologie à l’Université de Sao Paulo. Elle est actuellement étudiante au doctorat au département d’administration et fondements de l’éducation dans la Faculté de sciences de l’éducation de l’Université de Montréal. Sa thèse porte sur le processus de classement des élèves avant et après le séjour en classe d’accueil à Montréal. Elle est aussi membre étudiante du Centre de recherche interuniversitaire sur la formation et la profession enseignante.

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