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Jacques A. De Guise, École de technologie supérieure
Jacques De Guise
Source : Acfas

Johanne Lebel : Pr De Guise, nous avons exploré la rencontre scientifique en congrès ou en colloque dans le cadre du dossier Recherche et rencontres, publié en mai dernier. Ici, j’aimerais explorer, à partir de vos travaux, les rencontres en amont, celles qui font partie de la fabrication même de la recherche. J’ai pensé à vous pour vous avoir rencontré en 2009, toujours pour le présent magazine, dans votre laboratoire de l’École de technologie supérieure (ÉTS) au cœur de l’Hôpital Notre-Dame.

Jacques A. de Guise : Quand je suis arrivé à l’ÉTS à la fin des années 1990, ce lieu du « génie pour l’industrie », j’ai tout de suite exprimé que je voulais faire de la recherche sur le terrain, et comme les technologies de la santé sont mon industrie, et que mes utilisateurs sont les professionnels de la santé, je devais réaliser mes travaux à l’hôpital. Depuis, mes laboratoires ont toujours été extramuros. À l’Hôpital Sainte-Justine, à l’Hôpital Notre-Dame, et maintenant au Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). Il n’en demeure pas moins que c’est une activité de l’École où une cinquantaine de personnes de cette institution y travaille. Le Laboratoire de recherche en imagerie et orthopédie (LIO), est en fait le premier laboratoire hors de murs de l’ÉTS.

Johanne Lebel : On peut en effet s’étonner de retrouver des ingénieurs de l’École de technologie supérieure, du réseau de l’Université du Québec, au Centre hospitalier de l’Université de Montréal.

Jacques A. de Guise : Cela s’est développé sans attendre qu'il y ait entente institutionnelle. On a d’abord créé notre écosystème de recherche, on a travaillé ensemble, puis on a dit : « Eh! Regarder, ça marche bien ». Là, c’était le moment de formaliser. On est donc maintenant officiellement chez nous, mais on a en quelque sorte squatté pendant plusieurs années des locaux dans les divers lieux du CHUM, avec un accueil extraordinaire des autorités de l'institution et du directeur de la recherche de l’époque, le Dr Pavel Hamet, que je tiens sincèrement à remercier pour sa confiance et sa vision.

Johanne Lebel : Vos équipes de recherche se sont donc constituées peu à peu à partir de rencontres.

Jacques A. de Guise : Oui, et de bas en haut. Malheureusement, souvent, c’est l’inverse que l'on tente de faire. On crée des liens institutionnels, et après on nous dit  : « Regardez, vous pouvez collaborer ». Mais quand ce n’est pas basé sur des expériences communes préalables, c’est difficile.  

Johanne Lebel : Ainsi à la base, il y a eu, il y a, la construction de liens forts, bien réels.

Jacques A. de Guise : Et c’est essentiel, car c’est justement la rencontre  « en personne » qui est au cœur de notre approche de laboratoire vivant. Nos projets partent des besoins concrets de nos partenaires cliniciens ou industriels. On travaille sur des applications dans le domaine des technologies de la santé, on veut donc être là où la technologie est utilisée. Si nos labos étaient à l’ÉTS, les cliniciens viendraient une fois, puis on ne les reverrait presque plus. De notre côté, on se retirerait dans nos labos, et au bout de quelque temps, on annoncerait : « Regardez, on a la solution », pour se faire répondre tout probablement : « Intéressant, mais ce n’est pas tout à fait de qui convient ».

Nos projets partent des besoins concrets de nos partenaires cliniciens ou industriels. On travaille sur des applications dans le domaine des technologies de la santé, on veut donc être là où la technologie est utilisée.

On est donc sur place pour s’assurer que les rencontres, formelles et informelles, sont fréquentes, pour s’assurer de répondre finement aux besoins exprimés par l’écosystème de santé. Et ces besoins s’énoncent souvent par petits bouts, les solutions se développent par itération, par l'accrétion de multiples conversations planifiées ou impromptues. Plus il y a d’occasions de se rencontrer, plus nous arrivons à couvrir tous les angles, à faire émerger des solutions qui ne pourraient venir que de cette accumulation d’idées

CHUM
Vue vers le Nord-Est des fenêtres du CHUM et corridor menant au bureau du Pr De Guise. Source : Acfas

Johanne Lebel : Vous êtes donc sur les lieux où la technologie sera utilisée, où les modalités d’intervention ne sont pas que de la théorie.

Jacques A. de Guise : En effet, on développe des solutions, on valide avec les cliniciens, on redéveloppe, et on revalide. Ainsi les méthodes, les technologies, les dispositifs s’articulent finement au besoin réel, qui lui-même évolue en fonction des questions posées au moment de la validation et de l’utilisation des dispositifs. Nos laboratoires au CHUM, c’est plus qu’une géographie d’édifice, c’est une géographie de lieux de création, de cocréation.

Johanne Lebel : Pouvez-nous nous décrire un peu les lieux?

Jacques A. de Guise : Parmi les trois missions d’un CHUM, il y a le soin des patients, l’enseignement et la recherche. Il y a donc les étages de recherche clinique où on accueille des patients et auxquels nous avons accès. Il y a les étages de recherche fondamentale où nous sommes présentement. On y retrouve, entre autres, des laboratoires informatiques, des laboratoires humides ou wet lab avec cornues et erlenmeyers. Puis, au-dessus de nous, il y a les plateformes de recherche comme celle en imagerie expérimentale.

Ce sont des espaces ouverts ou semi-ouverts, où les chercheurs et les étudiants chercheurs se croisent continuellement. Toutes les deux semaines, par exemple, on organise des rencontres et les étudiants présentent à tour de rôle l’état d’avancement de leurs projets. Tous sont au courant de tout. Ce n’est pas que du maître vers l’élève, ce sont aussi les élèves entre eux, et bien sûr, des élèves vers les maîtres.

Johanne Lebel : Encore une fois, la rencontre est au cœur, elle est « partage ».

Jacques A. de Guise : Tout à fait, et pas seulement entre ingénieurs comme vous l’aurez compris. On a beaucoup de résidents en médecine, par exemple, qui viennent faire des stages dans notre laboratoire. Et régulièrement, les partenaires cliniques participent à nos discussions. Ce matin, une assistante de recherche présentait ses résultats aux cliniciens, et on y a discuté des améliorations. Et, encore une fois, si on était dans une école d’ingénieurs, ces rencontres-là seraient moins faciles, moins flexibles, donc moins fréquentes.

Johanne Lebel : Oui, et elles seraient plus formelles, quand il faut se déplacer, planifier des semaines à l’avance…

Jacques A. de Guise : La proximité physique, c’est majeur.

Johanne Lebel : La dimension physique, la rencontre des corps, mélange de cognitif et d’affect.

Jacques A. de Guise : C’est une démarche de laboratoire vivant. Pour moi n’est pas avant tout un lieu, mais une façon d’aborder l’innovation, de faire travailler ensemble tous ces acteurs dès la genèse d’un projet. Certes les chercheurs et les cliniciens, mais dans ce lieu d’utilisation des technologies, on invite aussi les partenaires qui vont éventuellement fabriquer et commercialiser la technologie. Et de plus en plus, un pas énorme pourrait-on dire, on intègre les patients. Les bénéficiaires, c’est tout le cœur du système de santé.

C’est vivant, c’est organique, tout est relié. Le modèle universitaire auquel on est habitué est encore trop souvent linéaire. Le rôle du chercheur, par exemple, est très important au début, puis il se dilue rapidement...

Johanne Lebel : Et qu’en est-il des décideurs politiques?

Jacques A. de Guise : Ça, c’est un grand défi. On y travaille. J’ai des liens actuellement avec l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS), et avec des représentants du ministère de la Santé et des Services sociaux, et le ministère de l’Économie et de l’Innovation. Ces acteurs doivent aussi être de la genèse du projet. Il faut même qu’ils soient parfois les donneurs d’ordres. Ce n’est pas le rôle exclusif du médecin ou de l’entreprise, cela peut être aussi les ministères. Parfois nos inventions se retrouvent aux États-Unis, en Europe ou Asie, mais pas dans le système de santé québécois.

On voit alors l’importance de se donner un modus operandi qui intègre tous les acteurs. Il faut trouver le moyen d’accompagner l’innovation pour s’assurer de ne pas surprendre avec un « coucou, on a quelque chose pour vous ». Si les décideurs sont au courant des projets, et que l’on s’assure de répondre non seulement aux besoins scientifiques, cliniques, mais aussi aux besoins clinico-économiques avec un bénéfice populationnel, voilà qui serait optimal.  Je crois sincèrement que la création du récent bureau de l’innovation au sein du ministère de la Santé et Services sociaux sera un élément important de l’intégration de l’innovation québécoise au sein de notre système de santé.

Dans notre champ d’innovation, il ne faut pas être motivé par la seule idée de découverte, de contribution aux savoirs. On doit aussi avoir, dès le départ cette préoccupation du bénéfice dans toutes ses dimensions.

Johanne Lebel : Il faut vraiment tout, tout, tout prendre en compte.

Jacques A. de Guise : Et s’organiser pour que la rencontre soit au cœur de nos pratiques.

C’est une démarche de laboratoire vivant. Pour moi n’est pas avant tout un lieu, mais une façon d’aborder l’innovation, de faire travailler ensemble tous ces acteurs dès la genèse d’un projet.


  • Jacques A. De Guise
    École de technologie supérieure

    Les intérêts de recherche Jacques A. de Guise « sont l'imagerie et la modélisation 3D des structures biologiques. Plus spécifiquement, il s’intéresse aux applications des technologies d’imagerie médicale, de graphisme par ordinateur, de modélisation géométrique et de conception assistée par ordinateur dans les domaines de la modélisation et de la chirurgie de la colonne vertébrale, des articulations et du système vasculaire. Les pathologies visées par les travaux du professeur de Guise sont la scoliose, l’arthrose et les traumatismes lésionnels de l’appareil locomoteur ainsi que les anévrismes et les sténoses du système vasculaire ». Extrait de la biographie du Centre de recherche du CHU Sainte-Justine.

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