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David Montminy, Université de Montréal

Lorsqu’on est passionné de technologie et de philosophie des sciences, la recherche est rythmée par une constante alternance entre des périodes d’enthousiasme presque naïf envers la plus récente prouesse technologique et des périodes plus sérieuses où l’on se modère et où l’on déploie ses outils d’analyse philosophique. Du moins, c'est ainsi que mes recherches doctorales se déroulent. Je dois me rappeler que je ne suis pas ingénieur et que ma matière première ce sont des arguments, et non des robots. Une fois cette idée bien ancrée, je peux revenir à mon sujet de recherche et tenter de déterminer en quoi des technologies comme l’intelligence artificielle et les données massives (Big Data) sont à même de révolutionner la « méthode scientifique » et quels changements elles imposent à la réflexion philosophique sur les sciences. Je m’explique.

Récit - MontminyRemplacer, dans une photo, le philosophe Michel Foucault assis à son bureau par un robot, c’est assez facile. Mais déterminer de quoi ce robot aurait besoin pour produire de la connaissance foucaldienne, c’est un peu plus ardu.

Une première réponse assez intuitive serait de le munir d’une capacité de raisonnement exceptionnelle. Un tel robot producteur de savoir devrait donc être muni d’un appareil logicomathématique infaillible, d’un ordinateur superpuissant en somme.Une deuxième réponse tout aussi intuitive serait de dire que pour faire de tels raisonnements, il aurait besoin de « bonnes » données.

Deux réponses tout à fait plausibles et, bonne nouvelle, les ordinateurs n’ont jamais été aussi puissants et les données, aussi abondantes. Or — et c’est ici que meurent l’enthousiasme et la naïveté — combiner de bons raisonnements et de bonnes données n’est pas suffisant pour produire de la connaissance, et ce pour deux raisons. Premièrement, les sciences sociales et humaines ont montré que les données requièrent une interprétation et que les raisonnements portent en fait sur le contenu de ces interprétations et non sur les données elles-mêmes. Car on peut faire dire (presque) n’importe quoi un ensemble de chiffre et qu’une forte corrélation entre deux variables n’équivaut pas à une relation de causalité entre celles-ci. Deuxièmement, la pensée féministe a, quant à elle, montré que comprendre le contexte dans lequel les données sont produites et utilisées est crucial pour évaluer la validité des raisonnements faits à partir d’elles.  Pourquoi? Parce que les données ne sont pas produites au hasard. Elles le sont dans un but précis, par des gens ayant des valeurs et des intérêts plus ou moins explicites.

Au fond, mes recherches tentent de dépasser ces deux obstacles en ciblant un moyen de concilier les aspects internes — les statistiques, la logique et les algorithmes utilisés — de la production de connaissances scientifiques à l’aide des données massives et les aspects externes (les théories en jeu, la gestion des banques de données et les sources de financement) qui rendent possible cette production. Or, réaliser cette conciliation n’est pas chose aisée. L’épistémologie féministe et une compréhension pragmatique des sciences sont à ce jour mes meilleures pistes.

Les sciences sociales et humaines ont montré que les données requièrent une interprétation et que les raisonnements portent en fait sur le contenu de ces interprétations et non sur les données elles-mêmes. [...] La pensée féministe a, quant à elle, montré que comprendre le contexte dans lequel les données sont produites et utilisées est crucial pour évaluer la validité des raisonnements faits à partir d’elles.


  • David Montminy
    Université de Montréal

    David Montminy est candidat au doctorat en philosophie à l’Université de Montréal. Après avoir complété une maîtrise en philosophie de la physique, il s’intéresse maintenant aux liens entre science et technologie. Ses recherches portent sur l’influence des données massives (Big Data) sur la méthode scientifique et cherchent à concilier l’épistémologie formelle et l’épistémologie féministe. Il travaille également sur les questions éthiques entourant l’intelligence artificielle et l’apprentissage-machine. David est co-coordinateur du Laboratoire étudiant interuniversitaire en philosophie des sciences (LEIPS), il est membre du Comité d’éthique de la recherche en santé (CERES) de l’Université de Montréal et est un collaborateur régulier à l’émission de vulgarisation scientifique L’œuf ou la poule sur Choq.ca.

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