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Guy Chiasson, Université du Québec en Outaouais, Marie-José Fortin , Université du Québec à Rimouski

Guy Chiasson et Marie-José Fortin

Guy Chiasson, Université du Québec en Outaouais
Marie-José Fortin, Université du Québec à Rimouski
DOSSIER Régions
16 novembre 2016

Endiguer la centralisation

Au début des années 1980, le Conseil des affaires sociales publiait un rapport au titre évocateur, Deux Québec dans un1, qui dénonçait un développement à deux vitesses entre les régions centrales et les régions périphériques. Jusqu’à quel point ce constat vieux de presque 30 ans est-il toujours d’actualité, notamment dans le contexte du virage vers ce que plusieurs considèrent comme une « économie du savoir »?  Quel sort est réservé aux régions excentrées du Québec dans cette nouvelle société plus axée vers la connaissance?  

Il ne manque pas de commentateurs pour affirmer que cette nouvelle économie favorise nettement les territoires métropolitains, estimés être les seuls capables de relever le défi de l’innovation et de la recherche de pointe. En même temps, le Québec, comme d’autres sociétés, a déployé un ensemble d’institutions telles que les Universités du Québec et les Centres collégiaux de transfert de technologie (CCTT) pour favoriser le développement et le soutien d’une capacité de recherche et d’innovation dans l’ensemble des régions. Ces institutions sont autant de dispositifs pour endiguer une tendance à la centralisation des expertises au sein des métropoles.

Recherche et développement territorial

La création du Centre de recherche sur le développement territorial (CRDT) en 2003 répondait à cette volonté de construire une capacité de produire de la connaissance à l’extérieur des territoires métropolitains. Ce qui distingue le CRDT des autres dispositifs déjà en place, c’est la conviction qu’il est important de faire de la recherche non seulement en région non métropolitaine, mais également sur les régions et territoires non métropolitains, de façon à mieux comprendre en particulier les propres trajectoires de développement de ces territoires. Ces deux tendances, faire de la recherche en et sur les territoires non métropolitains, sont des conditions essentielles pour une occupation dynamique du territoire québécois.

Le CRDT trouve ses racines dans les universités régionales du réseau de l’Université du Québec (UQ). Dans le Bas-Saint-Laurent, au Saguenay–Lac-Saint-Jean, en Abitibi-Témiscamingue et en Outaouais, ces universités avaient au départ des programmes d’enseignement et de recherche fortement ancrés dans leur territoire régional. Cependant, leurs chercheurs ont vite eu à affronter des problèmes concrets entravant la capacité de produire de la recherche de pointe : d’une part, le nombre de chercheurs en région est limité; d’autre part, les distances entre les régions rendent plus difficiles la circulation des idées et la collaboration entre chercheurs.

En 2003, l’obtention d’un financement important dans le cadre du programme Regroupements stratégiques du Fonds de recherche du Québec – Société et culture a fourni des moyens de favoriser et de systématiser la collaboration et les échanges fructueux entre les chercheurs. De façon assez révélatrice, le CRDT est encore aujourd’hui le seul centre de recherche financé dans le cadre de ce programme dont la direction est située à l’extérieur de Montréal et de Québec.

Conformément avec sa vision d’une recherche déconcentrée ou décentralisée, le CRDT s’est organisé sur la base de pôles de chercheurs  situés dans les diverses universités que regroupe le Centre. Ces pôles sont un premier niveau local où s’organise l’animation de la vie scientifique et où se consolide la collaboration entre la quarantaine de chercheurs réguliers. Si, au départ, le CRDT comptait quatre pôles  (Université du Québec à Rimouski, Université du Québec à Chicoutimi, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue et Université du Québec en Outaouais), un cinquième réunissant des chercheurs de la région de Québec (rattachés à l’ÉNAP, à l’INRS-Urbanisation et à l’Université Laval) s’est ajouté après quelques années. De plus, nous sommes très fiers de compter dans nos rangs des chercheurs rattachés à des universités montréalaises (Université du Québec à Montréal et Université McGill) qui travaillent sur la problématique des régions périphériques. Cette participation témoigne avec éloquence que l’intérêt pour les régions plus excentrées peut très bien dépasser les frontières de ces territoires et mobiliser une certaine capacité de recherche dans les universités situées dans la métropole.

Collaboration interrégionale et internationale

Si les pôles sont des lieux d’ancrage importants du CRDT dans ses territoires, ils visent également à favoriser et à outiller la collaboration interrégionale, voire internationale. La création d’espaces pour les échanges d’idées au delà des frontières régionales est indispensable pour promouvoir la recherche de pointe reconnue par la communauté scientifique. Contrairement à ce que l’on pourrait penser spontanément, ces espaces d’échanges interrégionaux sont également essentiels pour répondre aux demandes et aux besoins des acteurs sur le terrain. Souvent, les besoins des milieux en termes de recherche sont complexes, et la réponse interpelle la convergence de diverses expertises qui ne sont pas toujours réunies dans un pôle particulier. En ce sens, le CRDT favorise beaucoup la capacité de répondre adéquatement aux besoins du milieu par la constitution d’équipes multidisciplinaires de chercheurs de toutes les régions. Prenons pour exemple le récent débat sur la réorganisation de l’offre institutionnelle en matière de développement régional, auquel ont participé plusieurs chercheurs du CRDT et d’autres groupes de recherche. Si les universités québécoises constituent un centre de gravité important du Centre, ce dernier maintient aussi des liens importants dans la francophonie canadienne, au sein de collaborations étroites avec des chercheurs de l’Université de Moncton et de l’Université d’Ottawa tout comme de la France, du Brésil, des Caraïbes, qui sont nos antennes à l’international.

Décentrer la recherche dans le cadre du Centre veut également dire intégrer les acteurs des territoires non métropolitains dans la production de la connaissance et de ne pas les considérer comme de simples utilisateurs des savoirs produits. Plusieurs de nos chercheurs mènent effectivement des travaux avec des partenaires issus des territoires locaux, québécois ou canadiens. Ces recherches s’appuient très souvent sur des liens de confiance tissés sur plusieurs années entre acteurs et chercheurs. Les premiers comprennent mieux ainsi la recherche dans ses contraintes et ses possibilités d’action, alors que les deuxièmes se sensibilisent aux enjeux des milieux et, surtout, y ont un accès privilégié pour générer une compréhension fine. Si ces liens ne dissolvent pas la frontière entre les deux groupes – ce qui n’est pas le but, car chacun apporte ses contributions propres –, ils permettent d’expérimenter une participation plus grande des acteurs à divers moments des recherches, notamment à la définition des questions à creuser.  

En conclusion

En 2016, le CRDT célèbre sa treizième année d’existence, et il nous semble que la préoccupation pour un Québec cassé en deux n’est pas chose du passé et ne le sera peut-être jamais. À travers les années, l’existence d’un tel centre de recherche permet aussi d'éclairer cet enjeu fondamental pour l’avenir de notre société. Par leur travail quotidien dans et sur les territoires, les membres du CRDT contribuent à décentrer la connaissance et à endiguer une certaine marginalisation des territoires non métropolitains, en favorisant une capacité durable de la production de savoir en région et sur les régions périphériques tout comme en rapprochant ce savoir de l’action dans les régions.

  • 1Conseil des affaires sociales (1989). "Deux Québec dans un. Rapport sur le développement social et démographique", Chicoutimi, Gaëtan Morin.

  • Guy Chiasson
    Université du Québec en Outaouais

    Guy Chiasson est professeur à l'Université du Québec en Outaouais au Département des sciences sociales. Il est titulaire d'un doctorat en sciences politiques de l'Université d'Ottawa depuis 2000. Ses recherches portent principalement sur la gouvernance des territoires locaux et régionaux et sur les politiques publiques de développement. Ses projets de recherches récents portent sur la participation des acteurs locaux à la gouvernance des forêts et des hydrocarbures et sur les dynamiques politiques dans les villes moyennes canadiennes. Depuis 2013, il est directeur scientifique du Centre de recherche sur le développement territorial.

  • Marie-José Fortin
    Université du Québec à Rimouski

    Marie-José Fortin est professeure à l’Université du Québec à Rimouski et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en développement régional et territorial. Elle formée en géographie-aménagement et en développement régional, diplômée de l’Université de Montréal, l’UQAC et la Sorbonne-Paris 1. Elle s’intéresse aux rapports contemporains qui s’élaborent entre économie, territoire et communautés locales. Ses recherches, financées entre autres par le CRSH et le FRQSC, portent sur les dynamiques sociales (conflictuelles ou collaboratives), l’acceptabilité sociale  et les processus de gouvernance entourant les grands projets industriels et énergétiques, de même que sur les dynamiques entrepreneuriales dans le domaine bioalimentaire.

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