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Nous sommes deux professeurs comptant une vingtaine d’années d’expérience. Nous partageons également le fait d’avoir été doyens dans nos universités respectives avant d’avoir franchi la mi-carrière, pour ensuite revenir à nos postes de professeurs. Dans le cadre de ces fonctions, nous avons développé un intérêt pour contribuer à la relève professorale. 

Nous avons fait paraitre un premier ouvrage1 qui expose des récits de professeurs d’université en mi-carrière invités à revisiter leurs premières années afin d’exposer leurs choix et réalités. 

Notre plus récent ouvrage2 porte sur l’université du futur et s’articule à partir des trois enjeux dégagés dans le cadre de la consultation pilotée par le scientifique en chef du Québec en 2019. Ce livre regroupe une dizaine de textes partageant des idées et des réflexions à l’intention des professeurs de demain. 

Dans le présent texte, nous discutons de certaines conclusions tirées du dernier ouvrage collectif, en prenant soin de les contextualiser à la réalité des universités en région. Nous nous appuyons également sur notre expérience de professeurs et de cadres, en insistant sur la manière dont le contexte sociétal actuel nous semble à la fois offrir des occasions à saisir tout en représentant certaines menaces à l’essor de ces institutions qui jouent un rôle crucial dans le développement éducatif, social et économique des régions.

Enjeu d’éparpillement et de drainage des ressources

Nous constatons qu’une hypertrophie de certaines missions périphériques de l’université s’installe au détriment des missions universitaires fondatrices que sont l’enseignement et la recherche. En effet, des réalités s’imposent et, ce faisant, mobilisent et consomment d’importantes ressources, tout en alourdissant souvent les processus bureaucratiques qui dévient les universitaires de l’implication dans les missions premières. 

Dans les universités en région, souvent moins dotées financièrement, la reddition de comptes sans cesse croissante des exigences de planification stratégique, dans un modèle calqué sur les entreprises privées, devient particulièrement pesante.

Dans les universités en région, souvent moins dotées financièrement, la reddition de comptes sans cesse croissante des exigences de planification stratégique dans un modèle calqué sur les entreprises privées devient particulièrement pesante. Des personnes-cadres sont embauchées uniquement pour procéder à des exercices qui ne réinventent pourtant pas la roue, le tout au nom d’une saine gouvernance! Une université doit offrir un enseignement de qualité et réaliser de la recherche de pointe dans tous les domaines du savoir. Pourquoi a-t-on besoin d’un volumineux plan d’orientation stratégique au format bien léché pour y parvenir autrement que pour répondre aux ministères qui l’exigent? 

On peut également parler des comités institutionnels obligatoires en vertu de la prolifération de lois qui, depuis des années, s’immiscent de plus en plus dans la gouvernance universitaire. 

Il faut aussi penser à la mise en place d’initiatives qui ont peu à voir avec l’enseignement ou la recherche, mais qui sont jugées importantes pour attirer de nouvelles inscriptions étudiantes, et, conséquemment, renflouer les coffres. Le ressac qui survient actuellement, dans la foulée de la révision des quotas d’immigration par les paliers gouvernementaux provinciaux et fédéraux, témoigne déjà de l’enflure que cette quête financière a prise au fil des années.

De plus, l’ensemble de ces situations, qui détournent les acteurs des missions essentielles, sont susceptibles de provoquer des iniquités entre les universités en région et les autres.

Enjeu d’iniquité de financement causé par les fondations universitaires 

Le financement des universités provient principalement des subventions gouvernementales dédiées à la fonction d’enseignement. Il se détermine par une formule complexe qui prend en compte le nombre d’étudiant·es à temps complet (EETP) pour déterminer les sommes de base versées aux universités. À ce montant s’ajoutent des bonifications, par exemple pour la mission des universités en région, qui font en sorte que des universités métropolitaines clament que Montréal est aussi une région3. Comme quoi tous les moyens sont bons pour mettre le grappin sur ces enveloppes!

Trêve de plaisanterie (si seulement c’en était une!), nous souhaitons ici mettre en lumière un éléphant dans la pièce. Il s’agit du financement provenant des fondations universitaires. 

Trêve de plaisanterie (si seulement c’en était une!), nous souhaitons ici mettre en lumière un éléphant dans la pièce. Il s’agit du financement provenant des fondations universitaires. Derrière des règles de financement public communes, les ressources provenant de ces fondations révèlent des disparités importantes entre institutions qui, pour une raison ou une autre, entrainent nécessairement des iniquités dans l’accomplissement de la mission. À une époque où les frontières géographiques tiennent de moins en moins, et de l’intensification prévisible de ce phénomène, cela devrait soulever des réflexions, en particulier sur l’avenir et la légitimité des plus petites universités4. Par exemple, s’agit-il d’universités de seconde zone? Doivent-elles se contenter d’occasions de développement de moindre envergure parce qu’elles sont situées en région?

Enjeux de la collégialité et de la dépossession du pouvoir d’agir

Finalement, le dernier enjeu que nous observons, à la fois dans l’ouvrage et chez les nouveaux collègues, touche à une forme de méconnaissance des principes au fondement même de l’université, notamment celui de collégialité. En effet, on constate chez eux une forme de dépossession du pouvoir d’agir, voire une sorte de résignation, marquée par une attente de changement de la part de la structure universitaire. À certains égards, la situation donne l’impression qu’ils sont dépourvus de toute forme d’agentivité. On dirait que les recrues dans la carrière professorale se voient comme des employés de n’importe quelle entreprise à qui il faut signifier au patron son insatisfaction pour obtenir des changements. Pourtant, en tablant sur le principe de collégialité, c’est-à-dire en [re]prenant conscience de ses responsabilités et contact avec les espaces décisionnels qui nous appartiennent, il est possible d’orienter le cours des événements, ce qui semble encore plus vrai dans les universités en région, dont la taille permet une plus grande proximité entre la direction et le corps professoral.

En somme

Il faut reconnaitre que le monde universitaire est marqué par une « orthodoxie du champ » qui favorise l’inertie. C’est comme si les règles allaient de soi et qu’on oubliait qu’elles sont des constructions communes. Pour paraphraser le sociologue Pierre Bourdieu (2021), il importe de se demander pourquoi les choses sont comme elles sont et pas autrement dans son champ de pratique. En effet, quand les règles en place avantagent les personnes en situation de domination dans ledit champ (obtention de chaires de recherche et de subventions, reconnaissance internationale, etc.), rien ne pousse celles et ceux qui les maitrisent à changer les us et coutumes. Et quand on y pense, un changement aux règles de fonctionnement du champ entrainerait nécessairement une nouvelle orthodoxie. 

Nous appelons donc la relève à prendre la place qui lui revient, en collégialité avec les autres générations de professeurs et professeures, et à faire entendre sa voix, ses voix, si un changement semble souhaitable.

Nous appelons donc la relève à prendre la place qui lui revient, en collégialité avec les autres générations de professeurs et professeures, et à faire entendre sa voix, ses voix, si un changement semble souhaitable. En l’absence d’une remise en question des règles, discutée formellement dans les instances officielles (assemblées départementales, commissions des études, conseils de faculté, syndicats, etc.), l’inertie continuera d’opérer au bénéfice des personnes qui en tirent avantage. 

Pour que la valorisation et le soutien d’une diversité de profils de professeurs d’université puissent s’incarner ailleurs que dans les beaux grands discours ou dans les cibles des formulaires creux qui prétendent favoriser l’équité, la diversité et l’inclusion, des actions doivent être posées par la relève qui entrainera peut-être les plus expérimentés dans son sillon. 

Selon notre expérience, si la relève ne s’empare pas des mécanismes en place, il y a fort à parier que les choses resteront telles quelles. 

Références
  • Allaire, S., & Deschenaux, F. (Éds.). (2022). Récits de professeurs d’université à mi-carrière : si c’était à refaire... Presses de l’Université du Québec.
  • Allaire, S., & Deschenaux, F. (Éds.). (2024). L’université du futur : idées et réflexions à l’intention des professeurs de demain. Presses de l’Université du Québec.
  • Bourdieu, P. (2021). Microcosmes : Théorie des champs. Raisons d’agir.
  • 1

    Allaire, S. et Deschenaux, F. (dir). (2022). Récits de professeurs d’université à mi-carrière. Si c’était à refaire… Presses de l’Université du Québec

  • 2

    Allaire, S. et Deschenaux, F. (dir). (2024). L'université du futur Idées et réflexions à l'intention des professeurs de demain, Presses de l’Université du Québec.

  • 3

    Dans l’édition de mai 2024 des « Règles budgétaires et calcul des subventions de fonctionnement aux universités du Québec », cette bonification est présentée à la règle 1.2.1 (https://cdn-contenu.quebec.ca/cdn-contenu/adm/min/education/publications-adm/Universites/Services-administratifs-universites/regles-budgetaires-universites-2024-2025-mai-2024.pdf, p. 48). Le montant octroyé correspond à 6 millions de dollars pour l’année financière 2024-2025. Il s’agit d’un montant semblable à celui qui était versé à l’époque où nous étions doyens. À noter que la formule de financement comporte de nombreuses autres bonifications, dont plusieurs pour répondre à des enjeux ciblés ponctuels.

  • 4

    L’effritement des frontières géographiques s’explique en particulier par l’essor du numérique, qui entraine dans son sillage une massification de l’enseignement par la mise en ligne d’un nombre croissant de cours. Or, on observe que cette massification se produit surtout dans les universités à forte taille.


  • Frédéric Deschenaux
    UQAR

    Frédéric Deschenaux, Ph. D., est professeur titulaire en sociologie de l’éducation à l’Unité départementale des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Rimouski depuis 2004. Ses recherches portent sur les parcours scolaires et professionnels de diverses populations, dont les professeurs d’université. Toujours à l’UQAR, il a été doyen des études de cycles supérieurs et de la recherche de 2013 à 2016, puis doyen des études de 2016 à 2018 et membre de la commission de l’enseignement et de la recherche universitaires du Conseil supérieur de l’éducation de 2016 à 2020. Il a été le directeur de la revue Recherches qualitatives de 2018 à 2025. 

  • Stéphane Allaire
    UQAC

    Stéphane Allaire, Ph. D, est professeur en pratiques éducatives au secondaire au Département des sciences de l’éducation de l’Université du Québec à Chicoutimi. Ses activités d’enseignement concernent principalement l’intervention pédagogique et la formation pratique des futurs enseignants. Il est directeur de la Revue hybride de l’éducation, cotitulaire de la Chaire de leadership en enseignement sur les pratiques évaluatives innovantes à l’ère de l’intelligence artificielle et coordonnateur pédagogique du Bureau de la formation pratique en enseignement. Il a été directeur du Consortium régional de recherche en éducation, rédacteur francophone de la Revue canadienne de l’éducation, membre de la commission de l’enseignement secondaire du Conseil supérieur de l’éducation, directeur du programme de doctorat en éducation, président du Comité d’éthique de la recherche avec des êtres humains et doyen à la recherche et à la création.

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