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En réponse aux coups de chaleur accablante de nos derniers étés qui font grimper le mercure et l’inconfort dans nos logis, la climatisation se généralise au Québec. Au Burkina Faso aussi, les habitations sont inconfortables sous la chaleur, mais là-bas, le coût élevé de l’énergie restreint l’accès à la climatisation et incite à trouver d’autres solutions pour rafraîchir les maisons. Québec, Burkina Faso, regards croisés sur la climatisation.

Aéroports de Benghazi
Représentations 3D d'un projet d'aéroport à Benghazi au Lybie. Le concept de cet aéroport a été développé par ADPI (Aéroport de Paris International). Comme architecte de projet, Jean-Paul Boudreau avait pour rôle de voir à la réalisation et à la faisabilité du projet selon le concept développé par ADPI. Pour favoriser une bonne circulation d'air, il avait été prévu d'utiliser des approches traditionnelles, soit de faire usage des moucharabiehs et des malqafs. Le projet suite aux conflits du « Printemps arabe » de 2011 à été arrêté en cours de chantier. Seuls les fondations ont été réalisées, le reste des travaux ont été abandonnés. Crédits : ADPI. 
Au Québec

Climatiser sans climatiseur

Entretien avec Jean-Paul Boudreau, mené par Valérie Levée

Les climatiseurs poussent comme des champignons sur les maisons et les édifices du Québec, et l’idée n’est pas toujours de lutter contre la chaleur estivale. De fait, même en hiver, les appareils s’activent parfois pour refroidir les tours de verre devenues par beau temps des solariums. Cette situation absurde peut s’expliquer par une non-conscience de l’imposante matérialité derrière les usages de l’énergie électrique. Auparavant, par exemple, avec un chauffage au bois ou au charbon, les ressources matérielles et énergétiques nécessaires pour produire la précieuse chaleur étaient bien visibles

Rafraîchir le bâtiment avec des solutions architecturales vernaculaires, soit des solutions propres à un territoire, ancrées dans le milieu, c’est ce que prône Jean-Paul Boudreau, architecte, fondateur du Workshop architecture + NATURE et professeur- chercheur invité à l’École d’architecture de l’Université de Montréal.

 « Je ne connais pas de travaux d’universitaires ou d’ingénieurs qui aient une approche autre que le "tout à la climatisation" », observe l’architecte. Pourtant, selon le Plan stratégique 2022-2026 d’Hydro-Québec1, l’objectif de la carboneutralité en 2050 suppose de produire 100 TWh d’électricité supplémentaire. Sachant que la production de 2021 était de 212 TWh2, tout électron devrait être bon à économiser, surtout quand des solutions existent. Rappelons aussi qu’un climatiseur portatif revient à quelques centaines de dollars seulement et que le faible coût de l’électricité au Québec ne pose pas de contraintes. La climatisation pesait à peine 2 % de la dépense énergétique du secteur résidentiel en 2017. Dans le secteur institutionnel et commercial, c’était 4,8 %3.

Climatisation naturelle

Les arbres font partie de la solution, et plusieurs municipalités ont des politiques pour augmenter la canopée urbaine et créer des îlots de fraîcheur. « Quand on peut végétaliser le pourtour des bâtiments, il n’y a plus de besoin de climatisation », estime Jean-Paul Boudreau. Cependant, les arbres plantés aujourd’hui ne fourniront pas d’ombrage significatif avant quelques décennies, et ce, à condition qu’ils survivent aux changements climatiques. De plus, assez rapidement, les bâtiments, même de hauteur modeste, émergent de la canopée et ne sont pas protégés.

« Si on examine ce que l’architecture vernaculaire a développé à l’échelle de la planète pour protéger l’humain de la chaleur, on voit rapidement qu’il y a d’autres solutions à examiner », croit Jean-Paul Boudreau. Par exemple, les malqafs, élément traditionnel de l'architecture persane, produisent un effet de cheminée en évacuant l’air chaud par des tours perchées sur le toit des édifices. Ou encore, les moucharabiehs des constructions arabes, qui ne sont pas seulement de belles cloisons ajourées : le vent qui entre par les petites ouvertures est accéléré et apporte une brise rafraîchissante. Les volets utilisés dans plusieurs cultures servent à se protéger des malfaiteurs nocturnes, mais aussi à se protéger le jour des rayons du soleil. Les auvents, les grands débords de toits protègent de la pluie, mais aussi du soleil en faisant ombrage sur les murs et les fenêtres. De par le monde, donc, une architecture vernaculaire diversifiée présente des solutions adaptées au climat local.

Des exemples éloquents en pays chauds

L’idée n’est pas de reproduire à l’identique les anciennes solutions architecturales, mais plutôt de s’en inspirer, voire de les intégrer aux techniques de construction d’aujourd’hui. Francis Kéré, architecte germano-burkinabé, récipiendaire du Pritzker Architecture Prize 2022, la plus haute distinction internationale en architecture (le Nobel de l’architecture), a conçu une école au Burkina Faso rafraîchie par des moucharabiehs et une toiture inspirée du malqaf. Pour sa part, en reprenant ces mêmes principes, Jean-Paul Boudreau a réduit les besoins en climatisation d’un aéroport en Lybie.

Dans un autre projet, l’architecte québécois a tiré parti de solutions très simples. « Pour une école en Haïti, on ne pouvait pas compter sur l’électricité, alors j’ai travaillé avec les avant-toits, la végétalisation des façades et l’évaporation des plantes pour rafraîchir les classes », décrit-il.

École à Haiti
Pour cette école en Haïti, pouvant pas compter sur l’électricité, l'architecte a travaillé avec les avant-toits, la végétalisation des façades et l’évaporation des plantes pour rafraîchir les classes. Crédits photo : Jean-Paul Boudreau
Pourquoi pas au Québec?

Si ces principes sont efficaces dans les pays chauds, pourquoi ne le seraient-ils pas au Québec? Ne pourrait-on pas les coupler à des pratiques issues de diverses cultures?

Un exemple? Le principe du puits canadien couplé à la cheminée pour reproduire l’effet du malqaf.

Le puits canadien est un petit conduit horizontal souterrain qui collecte l’air extérieur et le rafraîchit sous terre avant de l’envoyer dans le bâtiment. Quand la température intérieure augmente, l’air chaud monte et peut être évacué par la cheminée ou une trappe en toiture, et il est alors remplacé par l’air frais venu du puits canadien, rafraîchissant ainsi le bâtiment. C’est ce que Jean-Paul Boudreau a appliqué à Montréal dans un ancien café, le Tricycle, qu’il a converti en résidence. Un caveau sert à la fois de chambre froide pour conserver les légumes et de prise d’air frais. Dans cette rénovation, il a aussi profité des propriétés thermiques du chanvre pour isoler les murs. « C’est un isolant, mais ce matériau a aussi un déphasage thermique très lent de 9,5 heures contre 2 heures pour la laine minérale », compare-t-il. Cela signifie que la chaleur met 2 heures à traverser la laine minérale alors qu’il lui faudra 9,5 heures pour traverser le chanvre. Résultat, quand il fait chaud à midi, la maison isolée en laine minérale commence à surchauffer en milieu d’après-midi alors que celle isolée avec du chanvre reste fraîche jusqu’à la nuit, à mesure que la température redescend. « Comprendre le déphasage thermique des matériaux devient primordial », estime Jean-Paul Boudreau.

Puits canadien
Schéma d'un puits canadien. Source : MonEquerre.fr

Le déphasage thermique, voilà un concept, comme tant d’autres, à ajouter au vocabulaire du milieu de la construction de notre territoire.

Si le climatiseur s’impose autant et éclipse les solutions plus sobres en énergie, c’est parce que la plupart des architectes ont renoncé à concevoir des milieux de vie ancrés dans leurs environnements pour adopter plutôt une approche essentiellement technocentrique. « Ils dessinent l’édifice, mais abandonnent aux ingénieur·es la responsabilité de le rendre confortable », regrette Jean-Paul Boudreau, tout en suggérant par le fait même une nouvelle vision pour le milieu de l’architecture.

 

Au Burkina Faso

Le béton mousse : une solution pour réduire la chaleur dans les bâtiments au Burkina Faso?

Par Adélaïde Lareba Ouédraogo

Qu’utilise-t-on couramment pour bâtir une maison? Des briques, bien sûr. Mais quelle température fait-il dans une maison en briques? Malheureusement, la majorité des bâtisseurs s’intéressent surtout à la solidité des briques et peu à leur pouvoir isolant. Et si on trouvait un matériau remplaçant plus isolant afin de construire des maisons plus confortables? C’est à cette question que j’ai dédié mes travaux de recherche dans le cadre d’un doctorat unique en physique, réalisé à l’Université Joseph KI-ZERBO au Burkina Faso.

Le bâtiment est l’un des secteurs à forte consommation d’énergie, laquelle augmente  avec la demande croissante de climatisation. En effet, le mois le plus chaud à Ouagadougou est celui d’avril, avec une température pouvant atteindre 40 °C. D’où une montée rapide de la température à l’intérieur des maisons, qui deviennent hautement inconfortables. Pour améliorer leur bien-être, les Burkinabés installent des climatiseurs et des ventilateurs, mais ces équipements sont énergivores et dispendieux. Une solution plus économique serait d’améliorer l’isolation thermique en remplaçant les briques par du béton mousse.

Traditionnellement, au Burkina Faso, les populations construisent leur maison en briques de terre comprimée (BTC), en blocs de latérite taillée (BLT) et en adobe. Je constate cependant que le parpaing de béton est devenu incontournable en maçonnerie et qu’il est l’un des matériaux les plus utilisés en construction. Constitué de ciment, de sable et d’eau, c’est un matériau résistant, mais il n’apporte aucun avantage thermique. Pourrait-on améliorer le pouvoir isolant du béton et réduire sa conductivité thermique, c’est-à-dire sa capacité à conduire la chaleur?

De là l’idée des parpaings de béton mousse dans lequel un agent moussant est ajouté pour créer des bulles d’air et augmenter le pouvoir isolant. En effet, A. S. Moon4 a déjà montré que le béton mousse est un matériau léger et solide dans lequel des bulles d’air sont emprisonnées dans une matrice liante, permettant ainsi de réguler la température de la maison.

Comment faire mousser le béton?

Le béton mousse est un matériau composé de ciment, de sable et d’un agent moussant le rendant poreux. Pour le fabriquer, je commence par introduire des quantités précises d’eau, de sable et de ciment dans un malaxeur, puis j’ajoute la mousse dans le mélange pour obtenir une pâte homogène. Cette mousse est faite à partir d’un agent moussant tensio-actif synthétique de couleur jaune.

Ensuite, je joue sur la quantité de mousse pour moduler le nombre de pores, ce qui se traduit par une variation de la masse volumique du béton. Après le malaxage, je fais couler la pâte obtenue dans des moules. Une fois démoulés, les échantillons sont laissés à l’air libre (à température ambiante), tout en étant couverts d’une bâche en matière plastique pendant quelques jours. Enfin, ils sont arrosés, donc maintenus humides, jusqu’à la prise du ciment. Ce mélange m’a permis d’obtenir un matériau de masse volumique de 930 kg/m3.

Briques de mousse
Figure 1 : Briques de béton mousse.

 

Un matériau isolant et solide

L’étape suivante était de quantifier les propriétés thermomécaniques du béton mousse de masse volumique de 930 kg/m3 pour vérifier que la conductivité thermique permettrait de réduire la facture énergétique, toujours à condition que ce béton soit assez solide pour remplacer un mur de briques.

Il ressort de l’essai que ce matériau a une conductivité thermique de 0,2 W/m.K. Cette faible valeur obtenue montre qu’il conduit moins la chaleur dans le bâtiment que le parpaing ordinaire. Par exemple, d’après le site e+nergie5 de l’Université de Louvain, la conductivité thermique de blocs de béton ordinaire d’une densité de 1600 kg/m3 est de 1,47 W/m.K. Ben Youssef et ses collaborateurs6 ont obtenu des valeurs similaires de densité et de conductivité thermique pour leurs bétons mousses et concluent que ce sont de meilleurs isolants thermiques que le béton ordinaire.

Étant donné que je vise l’utilisation de ce matériau pour la construction de bâtiments, il est important que je vérifie également ses propriétés mécaniques. Pour ce, je mesure sa résistance à la compression : j’obtiens une valeur de 3,4 MPa. C’est près des 4 MPa de la norme européenne7 pour des parpaings utilisés en vue de monter des murs, et c’est du même ordre de grandeur que les parpaings utilisés à Abidjan en Côte d’Ivoire (Bakayoyo et al., 2019)8.  Cette résistance demeure donc acceptable pour construire une maison.

Simulation du comportement thermique

Pour vérifier l’efficacité du parpaing de béton mousse à jouer son rôle d’isolant thermique, je fais une simulation thermique dans une pièce carrée de 4 m de côté et de 3 m de hauteur munie d’une porte et d’une fenêtre, ce qui est typique d’une maison individuelle. Il s’agit d’analyser la capacité de cette pièce à accumuler ou à restituer rapidement la chaleur ou la fraîcheur. 

schéma
Figure 2 : Modèle du bâtiment

La température intérieure dépend évidemment de la température extérieure. Pour bien évaluer le potentiel du béton mousse à améliorer le confort thermique, je simule les évolutions de la température moyenne à l’intérieur de la pièce pendant le mois le plus chaud à Ouagadougou, c’est-à-dire le mois d’avril : la température maximale est de

38 °C, selon Kaboré Boureima9

Pour des parpaings d’une épaisseur de 17,5 cm, la simulation me donne une température interne maximale de 31 °C. En comparaison, des bâtiments de même modèle, construits en parpaings de ciment ordinaire, en BTC, en adobe ou en BLT, donnent, sous les conditions climatiques de Ouagadougou, les températures internes maximales respectives suivantes : 38 °C ; 36,2 °C ; 36 °C ; 35 °C. Ainsi, je constate un grand écart de température entre le béton mousse et les autres matériaux, écart allant de 4,5 °C  à 7 °C.

Après la simulation, je trouve également un déphasage de 8 heures, ce qui correspond au temps que met la chaleur pour traverser le parpaing et pénétrer dans le local. La différence de température entre les maximas de températures interne et externe d’un bâtiment est de 9°C et le facteur d’amortissement, c’est-à-dire le rapport des amplitudes de la température intérieure et de la température extérieure, est de 8,6 %.

En conclusion

Les propriétés thermiques du béton mousse de masse volumique 930 kg/m3 me paraissent démontrer qu’il s’agit d’un matériau isolant. Sa faible conductivité thermique amortit les pics de température, et sa résistance à la compression est acceptable et garantit des habitats solides. Pour les pays sahéliens, c’est là un matériau prometteur qui améliore le confort thermique des habitations sans augmenter la facture énergétique.

Pour exploiter au maximum ce matériau, il faudra le faire connaître aux populations et faciliter l’accès à l’agent moussant, qui est encore méconnu au Burkina Faso.

 

Cette recherche a fait l’objet de trois publications scientifiques :

  • Ouédraogo, A. L. et al. (2021). Thermo-Physical, Mechanical and Hygro-Thermal Properties of Newly Produced Aerated Concrete. Journal of Materials Science and Surface Engineering, 8(2), 1021-1028. https://doi.org/10.52687/2348-8956/823
  • Ouédraogo, A. L. et al. (2022). Evolution of the Average Temperature of the Interior Atmosphere of a Habitable Cell Made of Foamed Concrete in Burkina Faso. Phys. Sci. Int. J., 26(2), 11-24.
  • Ouédraogo, A. L. et al. (2022). Comparative Study of the Thermal and Mechanical Properties of Foamed Concrete with Local Materials. World Journal of Engineering and Technology, 10, 550-564. https://www.scirp.org/journal/wjet

  • Jean-Paul Boudreau, Adélaïde Lareba Ouédraogo et Valérie Levée

     

    Jean-Paul Boudreau, architecte, fondateur du Workshop architecture + NATURE et professeur- chercheur invité à l’École d’architecture de l’Université de Montréal.

    Adélaïde Lareba Ouédraogo
    Adélaïde Lareba Ouédraogo est docteure et enseignante-chercheure de physique à l’Université Joseph KI-ZERBO au Burkina Faso. Elle a effectué ses travaux de recherche dans le laboratoire d’Energies Thermiques et Renouvelables (L.E.T.RE) à l’UFR-SEA (Unité de Formation et de Recherche en Science Exacte et Appliquée) à Ouagadougou.

    Valérie Levée
    Après un doctorat en biotechnologie des plantes, Valérie Levée a oeuvré dix ans en laboratoire avant de se tourner vers la communication scientifique. À l'écrit, elle aborde autant la botanique, l’architecture, l’urbanisme, la santé à travers divers magazines comme QuatreTempsFormesEsquissesL’Actualité, Prévention au travail… Au micro, on peut l’entendre à Moteur de recherche sur Radio-Canada et  anime aussi une émission de culture scientifique, Futur Simple, à la radio de CKRL 89,1. Gardant un pied dans le milieu universitaire, elle donne des formations sur la communication scientifique écrite, orale et par affiche avec l’Acfas.

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