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Charlotte Fournier, Université du Québec à Montréal

Les camps de vacances offrent un immense potentiel pour le développement des jeunes, en constituant un cadre tout indiqué pour construire des souvenirs, apprendre et socialiser. Or, au Québec, on constate des inégalités flagrantes dans la possibilité d’accès à ces camps, car le prix des séjours est très élevé. Les familles en situation de défavorisation socio-économique peuvent donc rarement y inscrire leurs enfants. Afin de mieux comprendre l’expérience singulière de ces familles, je consacre mon projet de thèse, entamé en janvier 2023, à la rencontre de jeunes ayant accédé à un séjour en camp de vacances grâce à un programme d’aide financière. Je les interroge sur les moments qui ont marqué leur passage en camp.

Camp 2
Crédits : Mariam Ag Bazet  @marapaname

[Ce texte décrit un projet de recherche scientifique qui fera l’objet d’une communication orale au 91e Congrès de l'Acfas]

Hors des sentiers battus

Il y a longtemps que j’ai envie de faire de la recherche relative aux milieux de camp. En effet, ayant moi-même été campeuse, puis animatrice dans un camp de vacances il y a quelques années, j’associais déjà, dès le milieu de mon adolescence, mes étés en camp à l’une des plus belles expériences de ma vie.

Or, à cette époque, une courte recherche avait suffi à me démontrer qu’il y avait peu de travaux sur ce thème, et surtout pas en français (encore moins au Québec !). La question que je me posais, dans les balbutiements de mon intérêt à investiguer par les voies scientifiques l’impact des camps, n’a donc jamais été le « pourquoi » de la chose, mais bien le « comment ». De quelle façon démarrer des recherches dans un domaine qui n’a que peu, voire pas d’ancrages dans le monde francophone? Et dans quelle discipline mener ces recherches? En sciences de l’activité physique? En psychologie? En sciences du loisir?

Quelques années plus tard, en entrant au baccalauréat en psychologie à l’UQAM, je découvrais la branche passionnante de la psychologie communautaire. Bâtir ses recherches dans l’intérêt de communautés spécifiques, de manière collaborative et dans une visée de justice sociale – voilà qui me rejoignait totalement !

Puis, en janvier 2023, je rencontrais Janie Houle, professeure au Département de psychologie de l’UQAM, et, au printemps dernier, j’amorçais sous sa supervision mon projet de thèse rêvé : une étude sur les camps de vacances!

« C’est pas donné, d’aller en camp! »

Un séjour d’une semaine en camp de vacances coûte en moyenne 500 $, selon les données les plus récentes de l’Association des camps du Québec1. Cette statistique m’a secouée. Consciente de ce que mon expérience en camp m’a offert, je trouve aberrant que seules les familles les plus favorisées aient le loisir d’en faire profiter leurs enfants.

Cela m’a d’autant marquée que ce sont justement les jeunes en situation de défavorisation qui sont les plus à même de bénéficier de l’expérience du camp2. En effet, durant la saison estivale, alors que leurs pairs issus de milieux plus aisés ont accès à davantage de ressources, ces jeunes connaissent une grande sous-stimulation, notamment en raison des offres de loisirs trop souvent absentes ou inaccessibles2.

Heureusement, plusieurs fondations et organismes proposent des bourses pour permettre aux jeunes moins nantis d’accéder à des séjours en camp pour un coût modique, voire gratuitement.

En m’informant davantage sur la question, ma problématique de recherche est donc devenue claire : qu’est-ce qui caractérise l’expérience en camp de jeunes ayant participé à un séjour grâce à un programme d’aide financière?

La recherche sur les « moments charnières »

La littérature scientifique sur les camps d’été, en plus d’être peu développée, semble en être à un point tournant sur le plan méthodologique.

En effet, parmi les personnes qui ont analysé les apports des expériences en camp3 sur le plan du développement, plusieurs ont constaté que les facteurs identifiés comme expliquant les retombées positives des camps sont confus et contradictoires.

Par exemple, le chercheur américain Barry Garst, en procédant à une revue systématique de littérature en 20164, s’est aperçu que si, dans certaines recherches, des facteurs (ex. : séjour plus long, animateurs·trices plus expérimenté·es, etc.) sont identifiés comme très importants pour vivre une expérience positive en camp, des études similaires n’en font pas mention, voire les qualifient de nuisibles.

Une telle confusion scientifique justifie la nécessité de se tourner vers des paradigmes méthodologiques alternatifs pour comprendre la « boîte noire » que constituent les milieux de camp, et pour mieux cerner ce qui fait d’eux un environnement propice au développement.

Justement, certaines méthodologies récentes en sciences sociales s’intéressent aux milieux de camp non pas en déterminant des facteurs globaux justifiant leurs retombées, mais plutôt à travers l’étude de moments spécifiques rapportés par chaque jeune comme ayant marqué leur expérience.

C’est le cas du modèle des « moments charnières »5, qui postule que ce serait le caractère subjectivement significatif des moments rapportés par chaque jeune (ex. : un moment vécu comme novateur, transformateur) qui serait central dans l’impact du séjour vécu.

Les travaux de Garst (2020) sur ces fameux « moments charnières » m’ont convaincue de la pertinence de ce paradigme. En effet, en restant loin des méta-résultats, qui dissimulent bien des contradictions, cette méthodologie garde au premier plan le vécu brut de chaque jeune. Elle m’apparaît fort utile sur le terrain pour comprendre concrètement ce qui fait du camp un tel catalyseur de souvenirs, d’apprentissages et d’expériences formatrices. C’est donc dans ce cadre conceptuel que s’ancrent les entrevues que je réalise actuellement.

Ainsi, d’ici la fin septembre, j’aurai interrogé huit jeunes de 10 à 15 ans qui sont allés dans un camp de vacances à l’été 2022 ou 2023, et ce, grâce à un programme d’aide financière.

Mes questions d’entrevue sont ouvertes et portent sur les moments subjectivement marquants qu’identifient chacun des jeunes interrogés par rapport à leurs séjours. Les entrevues seront ensuite transcrites et décortiquées au moyen d’une analyse thématique mixte.

Paver sa voie

Mener seule un premier projet de recherche n’est pas une entreprise facile. En effet, mon intérêt pour mon sujet ne fait que décupler au fil des mois, en raison de la grande latitude offerte par le projet et des mille et une idées qui en découlent. La difficulté : avec chaque idée surviennent beaucoup de remises en doute, d’envies de bifurcation, de questionnements sur la pertinence des données recueillies, de réflexions sur le fameux « faire mieux ».

Par exemple, dans mon processus de recrutement, des interrogations classiques au sujet de la validité de l’échantillon me tiraillent fréquemment : quel est le profil type des parents sollicités qui acceptent que leur enfant participe à l’étude? Est-il représentatif du bassin global des familles recevant de l’aide financière pour un séjour en camp?

Ou encore, en entrevue, certains échanges me font beaucoup réfléchir. Par exemple, quels enjeux sont soulevés lorsqu’on accueille en entrevue des jeunes qui ne sont pas nécessairement au courant que leur famille a bénéficié d’une aide financière pour concrétiser leur séjour ? Et s’ils le savent, cela prend-il une place particulière dans leur expérience? Est-ce là un fait partagé avec les amis ou les pairs campeurs une fois sur place, ou, au contraire, est-ce une source de gêne?

Cependant, si ces ruminations peuvent s’avérer lourdes de temps à autre, l’intégration dans le monde de la recherche comporte aussi son lot d’émerveillements. Par exemple, c’est un réel bonheur pour moi de réaliser que le processus d’entrevue avec les campeur.euses peut être bénéfique en lui-même, en donnant de l’importance au vécu des jeunes, qui s’expriment librement le temps d’une entrevue individuelle. Ainsi, chaque fois qu’un ou une jeune, éprouvant de la gêne en début d’entrevue, s’exprime sous mes yeux avec de plus en plus d’aisance, jusqu’à être pris de court à la fin de l’échange, l’air de dire « C’est déjà fini ? », je retiens un sourire.

Si [certaines] ruminations peuvent s’avérer lourdes de temps à autre, l’intégration dans le monde de la recherche comporte aussi son lot d’émerveillements.

Et après?

Je suis actuellement à la toute fin de ma collecte de données, ayant réalisé sept entrevues jusqu’à présent. Cet automne, je compte transcrire et analyser mes verbatims d’entrevue, puis préparer la rédaction d’un tout premier article scientifique cet hiver, en vue de diffuser officiellement mes résultats au printemps 2024 – mon échéancier final dans le cadre de ma thèse de 1er cycle.

Mon objectif à plus long terme serait d’approfondir le présent sujet en amenant le projet à l’échelle doctorale, et ce, à partir de l’automne 2024. Je prépare actuellement une demande pour l’obtention d’un financement important à cette fin. J’espère réellement que cet objectif pourra se concrétiser, car un échéancier moins serré me permettrait de conduire une recherche beaucoup plus nuancée, et surtout, évolutive, en admettant des itérations au fil des apprentissages réalisés. En effet, le format actuel de mon projet (soit une thèse de spécialisation de 1er cycle), se doit d’être réalisée dans son entièreté en moins d’un an, et ne favorise donc pas un tel processus itératif.  À l’inverse, un doctorat de type scientifique-professionnel tel que celui que j’envisage, qui peut se développer et mûrir durant quatre à six ans au minimum, constitue un cadre plus souple, que j’anticipe avec beaucoup d’enthousiasme.

En somme, si mes efforts de recherche ne permettront pas de « changer le monde », ils auront peut-être, à tout le moins, donné l’occasion à des jeunes d’être écoutés par rapport à une part significative de leur vécu, en les invitant à se remémorer un événement, un apprentissage, une fierté, qui resteront peut-être mieux gravés dans leur mémoire désormais. Et si c’est le cas, alors, pour moi, c’est déjà mission accomplie!

Camp 1

 

Bibliographie
  • Association des camps du Québec (2023). Combien ça coûte aller au camp? https://campsquebec.com/familles/combien-ca-coute-aller-au-camp
  • Kirschman, K. J. B., Roberts, M. C., Shadlow, J. O., Pelley, T. J. (2010). An evaluation of hope following a summer camp for inner-city youth. Child & Youth Care Forum, 39(6), 385–396. https://doi.org/10.1007/s10566-010-9119-1
  • Richmond, C., Sibthorp, J., Wilson, C. (2019). Understanding the Role of Summer Camps in the Learning Landscape: An Exploratory Sequential Study. Journal of Youth Development. 14(3), 9-30. https://doi.org/10.5195/jyd.2019.780
  • Martin, K. (2018). Summer Camp Youth Leadership Development: An Investigation of Adolescents’ Perceptions of Best Practices. Journal of Youth Development. 13(2), 161-182. https://doi.org/10.5195/jyd.2018.536
  • Garst, B., Gagnon, R., Whittington, A. (2016). A Closer Look at the Camp Experience: Examining Relationships Between Life Skills, Elements of Positive Youth Development, and Antecedents of Change Among Camp Alumni. Journal of Outdoor Recreation, Education, and Leadership. 8 (2), 180-199.
  • Garst, B., Whittington, A. (2020). Defining Moments of Summer Camp Experiences: An Exploratory Study With Youth in Early Adolescence. Journal of Outdoor Recreation, Education, and Leadership, 12(3), 306-321. https://doi.org/10.18666/JOREL-2020-V12-I3-10109

Crédits : Mariam Ag Bazet  @marapaname

  • 1Association des camps du Québec (2023)
  • 2 a b Kirschman, K. J. B., Roberts, M. C., Shadlow, J. O., & Pelley, T. J. (2010)
  • 3Richmond, C.; Sibthorp, J.; Wilson, C. (2019); Martin, K. (2018); 5. Garst, B., Gagnon, R., Whittington, A. (2016).
  • 4Garst, B., Gagnon, R., Whittington, A. (2016)
  • 5Garst, B., Whittington, A. (2020)

  • Charlotte Fournier
    Université du Québec à Montréal

    Charlotte Fournier est étudiante au baccalauréat en psychologie de l’Université du Québec à Montréal. Ses intérêts de recherche portent sur l’impact des pratiques éducatives innovantes et des sphères non formelles d’éducation, comme le scoutisme ou les camps d’été. Elle réalise actuellement une thèse de spécialisation de premier cycle sur l’impact des séjours en camp de vacances sur la jeunesse en situation de défavorisation. Après son baccalauréat, elle compte poursuivre ses études au doctorat en psychologie communautaire.

    Pour toute question sur le projet présenté dans ce récit de recherche, ou pour communiquer par courriel avec l’autrice : fournier.charlotte@courrier.uqam.ca

     

    Mariam Ag Bazet, illustratrice

    Mariam Ag Bazet est une étudiante en psychologie à l’UQÀM, en plus d'être illustratrice. Avant de s’aventurer dans l’étude des méandres de l’esprit humain, elle a complété un baccalauréat en architecture à l'Université McGill. En plus de griffonner dans ses temps libres, elle illustre depuis janvier 2023 les articles parus au journal étudiant de psychologie de l’UQÀM, soit le Psy-Curieux. Les illustrations ci-haut constituent sa première contribution à une publication de l’Acfas. Pour en découvrir davantage sur les créations de Mariam : @marapaname

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