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La présence autochtone au sein des institutions universitaires québécoises est de plus en plus visible et significative. Elle s’explique notamment par la vitalité démographique des peuples autochtones, dont la jeune population accède en plus grand nombre à des ordres d’enseignement postsecondaire1. Les progrès sont tangibles, mais les défis demeurent importants. Les cheminements étudiants diffèrent souvent de ceux de la population majoritaire. Avant d’entreprendre des études universitaires, plusieurs choisissent de travailler et de fonder une famille. Cela exige des ajustements pour le système universitaire afin d’éviter les décrochages, en répondant, entre autres, à leurs besoins particuliers (Paul, Jubinville et Lévesque, 2020). 

L’expérience de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) illustre comment une institution peut transformer son rapport aux peuples autochtones et contribuer à l’évolution des pratiques universitaires au Québec.

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     L'âge moyen des Autochtones était de 33,6 ans en 2021, comparativement à 41,8 ans pour la population non autochtone (Statistique Canada, 2022).

Pavillon des Premiers Peuples): Mélissa Roy
Pavillon des Premiers Peuples de l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. Source : UQAT, crédits : Mélissa Roy.

Poser les bases d’une relation durable

L’UQAT est reconnue depuis longtemps pour son travail auprès des Premiers Peuples1. Son approche montre que l’inclusion des perspectives autochtones au cœur de l’université exige à la fois une volonté institutionnelle, un investissement soutenu et une démarche d’introspection. Elle repose également sur l’établissement de relations de confiance fondées sur la collaboration, l’ouverture et la réciprocité. Ces efforts, qui relèvent d’un processus toujours en évolution – une œuvre « en devenir » – se traduisent aujourd’hui par des actions structurantes qui ont plus de force que des initiatives fragmentées. L’UQAT constitue ainsi un laboratoire de pratiques qui démontre que l’intégration des enjeux autochtones au sein d’une université ne se décrète pas : elle se construit patiemment, dans la durée.

Une des clés de ce succès est la capacité de l’UQAT à s’inscrire dans le temps long. Dès sa fondation en 1984, elle met en place une démarche de cogestion avec les communautés inuites de Puvirnituq et d’Ivujivik pour développer un programme de formation d’enseignant·es. Cette démarche repose sur la reconnaissance de l’égalité et de l’interdépendance des partenaires, ainsi que sur une prise de décision commune et consensuelle concernant l’ensemble du projet. 

Toujours active, cette initiative ouvre la voie à d’autres projets à partir de la fin des années 1990. L’université met notamment sur pied des cohortes des Premières Nations à qui on donne le choix de faire leurs études dans leurs communautés ou sur les campus. Puis, en 2002, elle offre des services spécifiquement dédiés à l’accompagnement des étudiant·es autochtones. 

Ces jalons montrent que l’UQAT a bâti au fil du temps une expertise consolidée par l’expérience, et que la durée est une condition essentielle au dialogue durable avec les peuples autochtones.

De l’initiative ponctuelle à l’ancrage institutionnel

L’université pose également des gestes marquants pour reconnaître la place des peuples autochtones en son sein. En 2006, Édith Cloutier devient la première personne issue des Premières Nations à présider le conseil d’administration d’une université au Québec. Trois ans plus tard, l’UQAT inaugure son Pavillon des Premiers-Peuples à Val-d’Or, symbole à la fois architectural et identitaire. En 2010, elle innove en réservant un siège sur son comité d’éthique de la recherche à un représentant autochtone. 

Individuellement, ces démarches sont significatives, mais c’est leur accumulation et leur inscription dans le temps qui leur confèrent une portée durable. La persistance des efforts a permis de transformer la culture institutionnelle, intégrant véritablement les enjeux autochtones au cœur de l’identité universitaire plutôt que de les cantonner à la marge. Ces transformations ne se sont pas faites sans résistances internes ni questionnements sur les approches à privilégier, mais cela rappelle que l’inclusion véritable exige un travail constant de dialogue et d’ajustement.

Le rapport final de la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec : écoute, réconciliation et progrès (CERP) rappelle que la discrimination systémique vécue par les peuples autochtones est aggravée par des actions morcelées et non durables2. Si ce constat vise les services publics, il s’applique aussi aux milieux universitaires. L’UQAT illustre bien cette dynamique. Ses premières initiatives à l’égard des autochtones étaient dispersées, mais à force d’accumulation et d’articulation, elles ont fini par s’incorporer à une vision institutionnelle plus large. L’inclusion graduelle des enjeux autochtones – dans la gouvernance de l’université, dans sa planification stratégique et dans ses services internes –  démontre l’importance de dépasser la logique du projet isolé pour développer une approche véritablement intégrée.

Cette évolution vers une vision systémique se concrétise par des réalisations majeures telles que la création en 2016 de l’École d'études autochtones, premier département universitaire entièrement dédié aux études autochtones au Québec. L’adoption peu après du premier plan quinquennal L’UQAT et les peuples autochtones a permis de structurer cette démarche en donnant une cohérence aux actions et en évitant leur dispersion. La mise en place du service Mamawi Mikimodan (Faire ensemble), chargé de coordonner l’ensemble des actions relatives aux peuples autochtones au sein de l’institution, complète ce dispositif. Enfin, l’inclusion du soutien à la pleine affirmation des Premiers Peuples dans le plan stratégique adopté à l’automne 2025 illustre l’affirmation d’un ancrage profond de ces enjeux au cœur de la mission institutionnelle3.

Cette évolution vers une vision systémique se concrétise par des réalisations majeures telles que la création en 2016 de l’École d'études autochtones, premier département universitaire entièrement dédié aux études autochtones au Québec.

Reconnaissance et visibilité de la présence autochtone

L’attention portée aux structures et à la gouvernance ne fait pas oublier l’importance des symboles et de l’environnement culturel (Lefebvre-Radelli et Dufour, 2016). Pour qu’une université soit un lieu sécurisant, elle doit combiner gestes concrets et visibilité de ces engagements (Dufour, 2016). À l’UQAT, l’architecture du Pavillon des Premiers-Peuples, la présence d’œuvres artistiques et des langues autochtones sur les campus, ou encore la possibilité pour les étudiant·es autochtones de perler leur mortier4 lors des remises de diplômes témoignent de cette reconnaissance. Ces actions favorisent à la fois le sentiment d’appartenance des étudiant·es autochtones et la sensibilisation de l’ensemble de la communauté universitaire à la présence autochtone au sein de l’institution.

Un autre exemple significatif est le processus qui aboutira à l’adoption du principe de reconnaissance territoriale de l’UQAT en 2023 (UQAT, 2023a). Un comité ad hoc et paritaire, composé de personnes autochtones et allochtones, étudiantes, employées et issues des communautés, mènera donc pendant plusieurs mois une démarche de réflexion et de consultation. Cette approche inclusive permet de produire une reconnaissance qui ne se limite pas à un énoncé symbolique, mais qui ouvre la voie à des actions concrètes. Elle souligne l’apport des Premiers Peuples en termes de savoirs, de cultures et de langues, tout en engageant l’université à réfléchir à son rôle dans le système colonial5. Ici, les gestes symboliques et les transformations structurelles se rejoignent, créant un cercle vertueux entre reconnaissance et action.

L’UQAT entreprend également une démarche transversale visant à inclure les réalités et savoirs autochtones dans l’ensemble de ses programmes. En décembre 2023, l’université s’engage publiquement à ce que tous ses programmes fassent place d’ici 2026 aux savoirs et perspectives autochtones (UQAT, 2023b). Cette stratégie, qui s’inscrit dans une logique de décolonisation6, vise à assurer la pertinence culturelle des formations offertes. Elle s’appuie également sur des projets existants comme celles du secteur de la Formation continue, qui a développé des activités de perfectionnement professionnel sur les réalités autochtones et qui adhère à un principe collaboratif de type « par, pour et avec », accordant une place prépondérante à la parole des Premières Nations et des Inuit. Cette démarche reconnaît ainsi leurs compétences sur les sujets qui les concernent et permet de valider la pertinence des contenus proposés dans les formations afin qu'ils répondent au principe de sécurisation culturelle7.

Des retombées qui dépassent l’université

Les effets portés par ces approches dépassent les murs de l’université. L’intégration des perspectives autochtones dans les formations favorise la sécurisation culturelle et peut transformer positivement les milieux de travail où évolueront les diplômées et diplômés. Pour les personnes étudiantes autochtones, elle contribue à renforcer la confiance, l’image positive de soi et la fierté identitaire. Pour les étudiant·es allochtones, elle facilite la déconstruction de préjugés et l’ouverture au dialogue interculturel.

L'expérience de l’UQAT, toujours en évolution, ne constitue ni un modèle à reproduire intégralement ni une recette universelle. Elle illustre plutôt comment une institution peut développer par un processus patient où s’accumulent les initiatives, une approche cohérente qui dépasse les actions ponctuelles. Son parcours suggère que c'est en multipliant de telles démarches contextualisées, adaptées aux réalités locales et construites en partenariat avec les communautés autochtones, que les universités pourront contribuer véritablement à un projet collectif de réconciliation et à la résurgence autochtone.

L'expérience de l’UQAT, toujours en évolution, ne constitue ni un modèle à reproduire intégralement ni une recette universelle. Elle illustre plutôt comment une institution peut développer par un processus patient où s’accumulent les initiatives, une approche cohérente qui dépasse les actions ponctuelles.

(espace Tesabidan avec Dr Vollant): Janie Helen
Stanley Vollant, chirurgien innu, lors d'une rencontre à l'espace Tesabidanollant de l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. Source : UQAT, crédits : Janie Helen.
Références
  • Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec : écoute, réconciliation et progrès (CERP). (2019). Rapport final. Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics au Québec : écoute, réconciliation et progrès
  • Dufour, E. (2019). La sécurisation culturelle des étudiants autochtones. Une avenue prometteuse pour l’ensemble de la communauté collégiale. Revue de pédagogie collégiale, 32 (3), 14-24.
  • Ellington, L. (2022). L’intervention sociale et la sécurisation culturelle en contextes autochtones : éléments à considérer. École de travail social et de criminologie, Université Laval.
  • Lefebvre-Radelli, L. et Dufour, E. (2016). Entre revendications nationales et expériences locales. La reconnaissance des Premières Nations dans les universités de Montréal (Québec). Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs, 15, 169-192.
  • Paul, V., Jubinville, M. et Lévesque, F. (2020). Le travail collaboratif afin de dépasser l’approche colonialiste et se diriger vers une autochtonisation de la réussite scolaire.
  • Dans G. Maheux, G. Pellerin, S. E. Quintriqueo Millán et L. Bacon (dir.), La décolonisation de la scolarisation des jeunes Inuit et des Premières Nations. Sens et défis (p. 69-93). Presses de l’Université du Québec.
  • Pellerin, G., Maheux, G., Bacon, L., Paul, V., Angiyou, S. et Mangiuk, P. (2016). Le partenariat université-communautés au service du développement d’un curriculum scolaire en inuktitut : pistes de travail et de réflexion. Études Inuit Studies, 40 (2), 133-152.
  • Statistique Canada. (2022). La population autochtone continue de croître et est beaucoup plus jeune que la population non autochtone, malgré un ralentissement de son rythme de croissance. Le Quotidien, Statistique Canada. En ligne : https://www150.statcan.gc.ca/n1/daily-quotidien/220921/dq220921a-fra.htm
  • UQAT. (2025). Plan stratégique 2025-2030. Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. En ligne : https://www.uqat.ca/uqat/plan-strategique/
  • UQAT. (2023a). Principe de reconnaissance territoriale. Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. En ligne : https://www.uqat.ca/reconnaissance-territoriale/
  • UQAT. (2023b). L’UQAT formera la totalité de sa population étudiante sur les perspectives autochtones d’ici 2026. Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. En ligne : https://www.uqat.ca/nouvelles-et-evenements/nouvelle/?id=3002
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    Les campus, centres et points de service de l’UQAT offrent des programmes sur un vaste territoire qui englobe principalement l’Abitibi-Témiscamingue, le Nord-du-Québec et les Hautes-Laurentides. L’université entretient ainsi naturellement des liens avec plusieurs communautés anicinapek, eeyouch et inuites, mais rejoint aussi plusieurs autres groupes à la grandeur du Québec. 

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     CERP, 2019 : 223.

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     UQAT, 2025.

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    L’art du perlage est une pratique culturelle qui est présente dans la plupart des nations des Premiers Peuples. Les techniques et motifs peuvent être différents d’une nation à l’autre. Perler son propre mortier est considéré comme une affirmation de sa propre identité autochtone au sein d’une institution coloniale et par le fait même, un hommage à sa culture.

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    À ce sujet, le principe de reconnaissance territoriale de l’UQAT précise notamment que : « L'UQAT est consciente qu'elle s'inscrit au sein d'un système issu de la colonisation. Les établissements scolaires ont longtemps été utilisés à des fins d'assimilation, notamment par l'imposition des pensionnats. Des effets négatifs continuent à se faire sentir à ce jour ». Pour lire la déclaration complète : https://www.uqat.ca/reconnaissance-territoriale/

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    La décolonisation est un processus d’émancipation des structures coloniales qui peut prendre plusieurs formes. Dans son Plan stratégique 2025-2030, l’UQAT appelle notamment la communauté universitaire à décoloniser ses pratiques en entamant « une réflexion constructive en concertation avec des Autochtones afin d’effectuer des changements structurels et systémiques dans l’enseignement, la recherche, la gouvernance, les services et les partenariats » (UQAT, 2025).

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    La sécurisation culturelle est une démarche qui vise à reconnaître les particularités historiques, sociales et culturelles des peuples autochtones, à éliminer les dynamiques de pouvoir inégalitaires et à valoriser l’identité culturelle des Premières Nations et des Inuit pour que les personnes autochtones se sentent en sécurité dans les services qu’ils reçoivent (Dufour, 2019; Ellington, 2022).


  • Sébastien Brodeur-Girard et Bérénice Mollen-Dupuis
    UQAT

    Sébastien Brodeur-Girard est professeur agrégé à l’École d’études autochtones de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT) où il enseigne notamment les droits des peuples autochtones. Il a aussi été codirecteur de la recherche pour la Commission d’enquête sur les relations entre les Autochtones et certains services publics du Québec (Commission Viens). Ses travaux portent sur les interactions entre les normativités autochtones et le droit étatique tant d’un point de vue historique que contemporain. Il s’intéresse particulièrement aux droits linguistiques à la prestation des services publics (justice, santé, protection de la jeunesse, etc.) ainsi qu’aux processus et pratiques de décolonisation.

    Innue de la communauté de Ekuanitshit, Bérénice Mollen-Dupuis travaille comme Conseillère en développement d’affaires aux dossiers autochtones du Service de la formation continue de de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. Elle est détentrice d'un baccalauréat en enseignement de la musique et est étudiante au baccalauréat en Droit à l’UQÀM. Bérénice s’implique activement dans plusieurs organisations de la Grande région de Montréal, dont Montréal Autochtone, comme administratrice du Conseil d’administration et elle siège aussi au Comité consultatif en reconnaissance de la Ville de Montréal. 

    Passionnée par les enjeux autochtones, elle s’est jointe à l’équipe du Service de la formation continue de l’UQAT en 2021 afin de contribuer aux travaux portant sur les réalités autochtones.

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