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Sarah Brown-Vuillemin, Université du Québec à Rimouski

Les autres lauréat-e-s 2020-2021 de la 28e édition du Concours de vulgarisation de la recherche de l'Acfas :
- Audréanne Loiselle pour "La symphonie des milieux humides"
- Céline Larivière-Loiselle pour "Holographie et neurones : une histoire haute en couleur"

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Le sébaste contre-attaque! Après 25 ans d’absence, le sébaste effectue un véritable retour en force dans le golfe du Saint-Laurent, battant tous les records d’abondance. Telle une marée rouge déferlante, on estime que ce poisson de fond représenterait aujourd’hui plus de 90 % des organismes vivant dans les profondeurs du golfe. Et même s’il peut vous paraître inoffensif, ce poisson rouge constitue actuellement une source majeure de préoccupations pour les pêcheurs et les scientifiques, dont moi-même!

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Image 1 : Photographie d’un sébaste et localisation du golfe du Saint-Laurent, où le sébaste effectue présentement un retour historique © Sarah Brown-Vuillemin

C’est dans les années 1950 que la pêche au sébaste a commencé dans le golfe. Victime de son succès dans l’assiette, car délicieux apprêté en fish’n chips, il a subi une pression de pêche croissante qui a précipité l’effondrement du stock et, à l’exemple de la morue, l’a conduit tout droit vers le tristement célèbre moratoire sur la pêche aux poissons de fond des années 1990. Au même moment, les conditions océaniques sont devenues plus froides et favorables pour d’autres espèces telles que la crevette nordique et le crabe des neiges, qui ont profité du déclin de leurs prédateurs. À la surprise générale, le secteur québécois des pêches s’est rapidement adapté à l’exploitation et la commercialisation de ces crustacés, qui ont su séduire les consommateurs. Au Québec, le premier arrivage de crabe des neiges au printemps est devenu un événement incontournable, lors duquel des clients enthousiastes se massent devant les poissonneries dans l’espoir de compter parmi les premiers à déguster le crabe de l’année. 

Après deux décennies de stabilité relative, la tendance s’inverse au début des années 2010. Les eaux du Saint-Laurent se réchauffent, l’abondance de crevettes diminue à un taux alarmant, et le sébaste fait son grand retour! Aujourd’hui, les sébastes nés dans les années 2010 poursuivent leur croissance exponentielle en tirant profit de tout ce qui les aident à grandir. Et là, problème : cela fait beaucoup de bouches à nourrir!

C’est dans ce contexte que mes recherches interviennent. Mon projet de doctorat vise à révéler les subtilités du régime alimentaire du sébaste pour comprendre les implications de son retour en force en tant que prédateur sur les autres espèces du golfe.

La taxonomie, c’est précis! C’est un fait avéré : il est fondamental de comprendre les habitudes alimentaires des espèces qui cohabitent au sein d’un écosystème pour en assurer sa gestion durable. L'analyse du contenu stomacal fournit une base solide pour étudier la composition du régime alimentaire. Cette méthode consiste en l’examen détaillé des proies retrouvées dans l'estomac d’un individu lors de sa capture, afin de cumuler de véritables preuves sur l’identité des proies que le prédateur a ingérées au cours de ses dernières heures de vie. La principale limitation de l’examen visuel du contenu stomacal est que le degré parfois avancé de digestion des proies peut créer de l’incertitude sur l’identité des organismes. Mais avec une bonne dose de patience et de passion, combinée à une solide expertise taxonomique, il est possible de brosser un portrait précis des préférences alimentaires du sébaste. 

Pour apprendre ce que mangent nos poissons rouges, il nous faut tout d’abord partir à la pêche. Chaque année depuis les années 1990, des missions océanographiques réalisées par Pêches et Océans Canada permettent d’évaluer l’abondance des espèces marines présentes dans le golfe du Saint-Laurent. Il s’agit d’une occasion en or pour prélever des sébastes! Au total, c’est presque 7000 estomacs de sébaste qui ont été collectés pendant deux périodes : l’une caractérisée par une faible abondance du stock (1993-1999) et l’autre couvrant son remarquable retour (2015-2019). 

Dis-moi ce que tu manges - Lors de la dissection de ces milliers d’estomacs, chaque proie a été minutieusement identifiée à l’espèce, puis pesée. Après l’exclusion des estomacs vides, près de 4000 estomacs remplis à différents degrés de nourriture nous ont permis de caractériser les changements de composition du régime alimentaire entre les deux périodes. De plus, des estomacs de sébastes de différentes tailles ont été analysés, nous permettant de déterminer si des changements d’alimentation se produisent au fil de la croissance des individus. Plus de 90 espèces de proies ont été identifiées et des indices alimentaires ont été calculées pour caractériser le régime alimentaire. 

Les résultats montrent que les petits sébastes, de taille inférieure à 25 centimètres, consomment principalement du zooplancton. Toutefois, l’importance de ces petits organismes dans le régime alimentaire diminue rapidement avec l’augmentation de la taille. Dès qu’il atteint une longueur de 25 centimètres, le sébaste mise sur la consommation de crevettes et de poissons pour subvenir à ses besoins nutritifs. Ce changement de proies principales au cours de sa vie apparaît logique. Une augmentation de la taille implique une meilleure capacité de nage, une ouverture de bouche plus grande et de meilleures compétences de prédation. 

Nos résultats indiquent également des différences intéressantes entre les années 1990 et 2010. Lors de la période froide des années 1990, les petits sébastes s’alimentaient principalement d’amphipodes, des crustacés planctoniques typiques des eaux glaciales. Au contraire, les individus de même taille capturés dans les années 2010 s’alimentaient de copépodes, un autre crustacé planctonique associé à des eaux plus chaudes. Il semble donc que les jeunes sébastes soient capables de s’adapter à des changements majeurs de leur environnement. Piscivore en grandissant, le sébaste raffolait du capelan dans les années 1990, une espèce remplacée dans les années 2010 par un autre poisson : le sébaste lui- même! En effet, le sébaste peut se montrer cannibale, ce qui lui permet d’autoréguler dans une certaine mesure la croissance de sa population et d’éviter la pénurie de ressources lorsque les adultes deviennent trop nombreux.

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Image 2 : Exemple de proies retrouvées dans des estomacs de sébaste © Sarah Brown-Vuillemin

La crevette, le plat préféré des sébastes! Une constante se dégage cependant d’une période à l’autre : le sébaste semble toujours aussi friand de la crevette nordique, dont sa consommation est demeurée la même malgré le déclin continu de cette espèce depuis 10 ans. La pression de prédation du sébaste contribuera vraisemblablement à accélérer le déclin de la crevette nordique, pour le plus grand malheur des pêcheurs et des gourmets. Les prochaines étapes de mes travaux fourniront des réponses quant à l’impact de la prédation du sébaste sur le futur de la crevette.

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Image 3 : Sept crevettes nordiques avalées par un seul sébaste © Sarah Brown-Vuillemin

Je te dirai qui tu es - Mon étude démontre l’importance d’effectuer le suivi temporel du régime alimentaire des grands prédateurs marins afin d’assurer la mise en place de stratégies durables qui permettront au secteur des pêches de prospérer, tout en évitant de reproduire les erreurs du passé. Cannibale et « crevettivore », attention à ce vorace et redoutable poisson rouge qui ne fait que commencer à se mettre à table… Et vu la reprise imminente de son exploitation commerciale, il est grand temps pour nous de réfléchir au futur du sébaste dans notre assiette!


  • Sarah Brown-Vuillemin
    Étudiant·e – autre
    Université du Québec à Rimouski

    Avec un parcours universitaire dédié au domaine de la biologie marine, Sarah Brown-Vuillemin continue de se spécialiser en réalisant un doctorat en océanographie à l’Institut des Sciences de la Mer de Rimouski (ISMER). En collaboration avec son directeur Dominique Robert, Sarah travaille sur l’étude du régime alimentaire d’un poisson de fond, le sébaste, dans le golfe du Saint-Laurent. Leurs travaux contribueront aux réflexions autour d’importantes problématiques environnementales actuelles et futures. Ce projet est un réel engagement qui se révèle être la parfaite combinaison pour l’épanouissement professionnel et personnel de Sarah qui adore transmettre ses recherches au travers de la vulgarisation scientifique.

     Sarah Brown-Vuillemin est lauréate de la 28e édition du concours de vulgarisation de la recherche de l’Acfas.

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