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Isabelle Skakni, Université de Lancaster (UK)

De manière contre-intuitive, mes résultats révèlent que le type de quête dans laquelle se trouvaient mes participant-e-s n’était pas influencé par l’état d’avancement de leurs études. Leur quête dominante reposait avant tout sur les raisons fondamentales qui les avaient amené-e-s à entreprendre un doctorat et sur ce qu’ils et elles comptaient retirer des cette expérience.

Isabelle Skakni
Source : Isabelle Skakni

S’engager dans un parcours doctoral est une expérience à la fois stimulante et exigeante. Les raisons qui président un tel choix sont complexes; elles rendent compte d’intentions qui vont du désir d’accomplissement personnel au défi intellectuel, en passant par des considérations plus pragmatiques de développement de carrière. Ces intentions sont d’autant plus diverses que le profil des doctorant-e-s a évolué au cours des dernières décennies. En effet, l’entrée au doctorat se fait de plus en plus tard dans le parcours de vie et de nombreux doctorant-e-s conjuguent maintenant études et responsabilités familiales. On observe par ailleurs une augmentation marquée du nombre de personnes qui, après plusieurs années de pratique professionnelle, s’engagent dans un doctorat dans une optique de formation continue ou d’apprentissage tout au long de la vie. De ce fait, un nombre grandissant de doctorant-e-s réalisent leur thèse à temps partiel ou à distance. Cette diversité de profils, de parcours et de situations de vie s’accompagne de différents objectifs personnels et professionnels, mais aussi de diverses postures vis-à-vis des études et de l’apprentissage. En l’occurrence, les anticipations et les attentes concernant l’expérience doctorale varient passablement. Les recherches sur la formation des doctorant-e-s montrent d’ailleurs que celles-ci s’éloignent souvent de la réalité. Notamment, la difficulté à comprendre la culture universitaire ou à jauger l’ampleur du travail de thèse ainsi qu’une incompatibilité entre les attentes des doctorant-e-s et celles de leur direction de thèse sont des défis auxquels plusieurs font face1.

Partant de ce constat, et considérant que dans la plupart des pays occidentaux près de la moitié des doctorant-e-s abandonnent en cours de route, je me suis intéressée à la façon dont les intentions, les anticipations et les attentes des personnes qui s’engagent au doctorat peuvent moduler l’expérience qu’ils et elles en ont.

Le doctorat en tant que quête

Les résultats d’une recherche que j’ai menée au Canada2auprès de 36 doctorant-e-s, 14 directeurs et directrices de thèse, et 5 administrateurs de 6 facultés de sciences humaines et sociales montrent que les raisons pour lesquelles une personne s’engage dans un doctorat ainsi que ses anticipations à l’égard de la formation ont une influence sur sa progression, sur les stratégies qu’elle mobilise pour persévérer malgré les difficultés et sur ses attentes en matière de soutien et d’accompagnement. De ce constat, il émerge une typologie du doctorat en tant que quête, se déclinant sur trois axes : la quête de soi, la quête intellectuelle et la quête professionnelle.

La quête de soi

La quête de soi se caractérise par un besoin fondamental de se développer et de s’actualiser sur le plan personnel. Les doctorant-e-s investi-e-s dans ce type de quête cherchent d’abord à se dépasser, à mieux se connaître ou à mieux comprendre le monde qui les entoure. Pour certain-e-s, il s’agit aussi d’obtenir l’approbation d’autrui (p.ex. celle des parents) ou une reconnaissance sociale à travers le statut que confère le doctorat. Les enjeux d’une telle quête étant identitaires, ces doctorant-e-s ont tendance à se définir et à mesurer leur valeur personnelle à l’aune de la qualité de leur expérience doctorale. Pour progresser dans la formation, leur principale stratégie consiste à  faire du doctorat « le centre de leur vie ». Cela se traduit par un fort investissement en temps et en énergies, mais aussi par un fort investissement émotionnel. En matière d’accompagnement, ces doctorant-e-s ont tendance à rechercher un directeur ou une directrice qui joue un rôle de cheerleader, c’est-à-dire qui leur offre un soutien à la fois intellectuel et émotionnel.

La quête intellectuelle

La quête intellectuelle renvoie à un vif attrait pour la pensée et le théorique, si bien que le travail intellectuel est envisagé comme un mode de vie, voire une vocation. Les doctorant-e-s qui s’inscrivent dans ce type de quête évoquent un besoin intrinsèque de stimulation intellectuelle, lequel se satisfait notamment par la résolution de problèmes complexes et la possibilité d’approfondir leurs réflexions. Par cette quête intellectuelle, plusieurs appréhendent d’ailleurs la thèse comme « l’œuvre de leur vie ». S’ils et elles souhaitent faire avancer les connaissances de leur domaine, il leur importe d’offrir une contribution vraiment originale, de se démarquer. C’est donc le plaisir du travail intellectuel ou la passion de leur objet d’étude qui les incitent à persister devant les difficultés. De ce fait, ces doctorant-e-s sont aussi susceptibles de s’éterniser dans la formation, dans le but avoué de peaufiner leur réflexion. Afin de progresser malgré tout, leur principale stratégie consiste  à chercher des « alliés intellectuels », c’est-à-dire des personnes qui partagent leurs intérêts théoriques, que ce soit des professeur-e-s ou des pairs. Sur le plan de l’accompagnement et du soutien, ils et elles recherchent avant tout un mentor qui saura les guider dans leur cheminement intellectuel.

La quête professionnelle

La quête professionnelle renvoie à une vision pragmatique de la formation doctorale. Les doctorant-e-s engagé-e-s dans une telle quête désirent avant tout élargir leurs perspectives d’emploi, améliorer leurs conditions de travail ou obtenir l’emploi idéal. Ces doctorant-e-s appréhendent le travail de thèse de manière stratégique, tant du point de vue de l’exécution de la tâche que de celui des atouts professionnels qu’ils ou elles pourront en retirer. Afin de progresser plus facilement dans la formation, leur stratégie première consiste à faire des choix « économiques ». Par exemple, le choix du directeur ou de la directrice de thèse, de l’objet de recherche ou de la méthodologie doivent permettre de terminer plus rapidement ou « d’ouvrir des portes » sur le plan professionnel. En ce sens, les études doctorales ne constituent pas ici une fin en soi, mais plutôt un « moyen » d’atteindre des objectifs professionnels. Ces doctorant-e-s ont d’ailleurs tendance à considérer le doctorat comme une simple étape, une transition dans leur parcours professionnel ou leur parcours de vie. Ils et elles s’attendent à ce que leur directeur ou directrice de thèse joue un rôle d’impresario qui, au-delà d’un soutien intellectuel, leur offre des occasions de réseautage et des possibilités de développement professionnel.

En conclusion

Somme toute, si la quête dans laquelle s’inscrit un doctorant ou une doctorante peut parfois en chevaucher une autre, mes résultats montrent qu’une des quêtes est toujours dominante. On pourrait d’ailleurs penser que cette quête dominante dépend de l’étape de cheminement (p.ex. une quête professionnelle en fin de parcours). De manière contre-intuitive, mes résultats révèlent plutôt que le type de quête dans laquelle se trouvaient mes participant-e-s n’était pas influencé par l’état d’avancement de leurs études. Leur quête dominante reposait avant tout sur les raisons fondamentales qui les avaient amené-e-s à entreprendre un doctorat et sur ce qu’ils et elles comptaient retirer des cette expérience.

Si cette typologie du doctorat en tant que quête illustre bien comment le profil, le parcours et les attentes des doctorant-e-s influencent leur expérience doctorale, elle offre en outre des retombées pratiques. D’une part, elle peut servir de point de départ à une réflexion personnelle pour toute personne souhaitant s’engager dans un parcours doctoral. D’autre part, une discussion autour des trois types de quêtes peut faciliter les échanges entre doctorant-e-s et directeurs/directrices de thèse quant à leur vision respective du travail de recherche à réaliser, du type d’investissement attendu de part et d’autre et des modalités de la relation d’accompagnement.

...une discussion autour des trois types de quêtes peut faciliter les échanges entre doctorant-e-s et directeurs/directrices de thèse quant à leur vision respective du travail de recherche à réaliser, du type d’investissement attendu de part et d’autre et des modalités de la relation d’accompagnement.

Références :

  • Holbrook, A., Shaw, K., Scevak, J., Bourke, S., Cantwell, R., & Budd. J. (2014). PhD candidate expectations: Exploring mismatch with experience. International Journal of Doctoral Studies 9, 329-346.
  • Skakni, I. (2018). Reasons, motives and motivations for completing a PhD: A typology of doctoral studies as a quest. Studies in Graduate and Postdoctoral Education, 9(2), 197-212. https:/doi.org/10.1108/SGPE-D-18-00004
  • 1Holbrook et al., 2014
  • 2Skakni, 2018

  • Isabelle Skakni
    Université de Lancaster (UK)

    Isabelle Skakni, PhD est chercheure affiliée au Department of Educational Research à l’Université de Lancaster (UK) et Responsable du Bureau d’appui et de coordination de la formation doctorale à la Haute école de Suisse occidentale (HES-SO). Ses travaux portent sur l’expérience, la formation et le parcours professionnel des chercheur-e-s en début de carrière (early career researchers), à savoir les doctorant-e-s, les chercheur-e-s postdoctoraux et autres titulaires de doctorat. Elle s’intéresse plus particulièrement à la façon dont cette population anticipe son parcours professionnel et s’y prépare, que ce soit au sein des universités ou dans les secteurs d’emploi non universitaires.

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