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Guy Drouin, Université d'Ottawa
Vous êtes-vous déjà demandé pourquoi vous êtes unique, particulièrement si vous venez d'une famille nombreuse? Ce mois-ci, nous allons calculer cette probabilité qu'un couple ait consécutivement deux enfants génétiquement identiques.

La variabilité génétique

À part les jumeaux identiques, qui sont dérivés du même œuf, nous sommes tous génétiquement différents.

Ce matériel génétique singulier est constitué de 23 paires de chromosomes. Chacun de ces chromosomes est formé d’une double hélice d’ADN composée de millions de nucléotides A, C, G et T. Comme les 0 et les 1 qui représentent le code de nos appareils numériques, l’ordre des quatre nucléotides de notre ADN constitue notre code génétique.

Nous avons deux copies de ce code, donc 46 chromosomes formant 23 paires. On appelle « homologues » ces 46 chromosomes parce qu’ils appartiennent à une même paire.

Cette redondance nous prémunit contre un grand nombre de maladies génétiques parce que, la grande majorité du temps, nous n’avons besoin que d’une copie fonctionnelle d’un gène pour être « normal ». Par exemple, une personne ayant une seule copie défectueuse du gène de la mucoviscidose (la maladie des mucus visqueux, aussi appelée fibrose kystique) ne souffre d'aucun symptôme.

Par contre, les deux copies de nos gènes sont presque invariablement différentes. Il y a des fautes dans la copie. En fait, la séquence du génome de Craig Venter démontre que 0,5 % des nucléotides de nos chromosomes homologues sont différents. Étant donné que cela correspond en moyenne à 1 « erreur » à tous les 200 nucléotides, et que la majorité de nos gènes sont composés de milliers de nucléotides, il est très rare que les deux copies de nos gènes soient identiques.

Règle générale, ces différences n’ont aucun effet sur les caractéristiques codées par ces gènes, que se soit sur le plan de notre morphologie, de notre physiologie, de notre comportement, de notre susceptibilité à certaines maladies, etc. Mais certaines ont un impact. Par exemple, nous avons déjà discuté, dans une chronique précédente, de la capacité à digérer le lait de nombreux adultes européens liés à une mutation du nucléotide C au nucléotide T, et ce, 13 910 nucléotides en amont du gène codant pour la lactase, l’enzyme qui permet de digérer le lait.

Si vous consultez le tableau 13 de l’article décrivant le génome de Craig Venter,  vous verrez que les deux copies contiennent un T à la position -13 910. Craig Venter est donc capable de digérer le lait. S'il engendrait des enfants avec une femme ayant un C à cette position dans ces deux chromosomes homologues, leurs petits pourraient aussi, devenus adultes, digérer le lait parce qu’ils auraient obtenu un T de leur père. Le C de leur mère n’aurait pas d’impact parce que le T (production de lactase) est dominant sur le C (absence de production de lactase).

Un clone que vous allez chercher longtemps...

Ceci nous amène à notre question initiale : quelle est la probabilité que deux parents aient deux enfants consécutifs qui soient génétiquement identiques? Pour cela, chaque parent devrait donner les mêmes chromosomes à ces deux enfants.

Ces enfants, comme les jumeaux non identiques, sont formés à partir de l’union de spermatozoïdes et d’œufs différents. Chaque parent possède deux copies de chacun de ses 23 chromosomes. Des 23 paires, 22 paires sont des chromosomes autosomaux. Ils ne sont pas impliqués dans la différenciation des sexes et sont communs aux deux genres.

La dernière paire constitue les chromosomes sexuels. Et eux sont différents chez l’homme et la femme.

Chez la femme, cette 23e paire est composée de deux chromosomes X, tandis que chez l'homme, il y a un chromosome X et un Y. C’est le Y qui détermine le masculin; sans lui, une personne devient une femme. Par exemple, une personne avec un seul chromosome X devient tout de même une femme et une personne ayant deux X et un Y devient un homme.

Chaque parent donne un gamète (spermatozoïde chez les hommes et œuf chez les femmes) contenant une copie de chacun de ses chromosomes à ses enfants. Ceci permet de conserver un nombre constant de chromosomes de génération en génération.

La figure ci-dessus illustre les chromosomes des parents et leur transmission à leur enfant. Le père et la mère ont chacun 23 paires de chromosomes. Les 22 chromosomes non sexuels sont numérotés de 1 à 22, tandis que les chromosomes sexuels X et Y sont indiqués par leur lettre respective.

Le père a obtenu la copie bleue des chromosomes de son père (notez le chromosome Y, qui vient de son père) et la copie jaune de sa mère. La mère a obtenu la copie verte des chromosomes de son père et la copie rouge de sa mère.

Chacun des parents donne ensuite 23 de ses chromosomes à leur enfant. C’est la première loi de Mendel, celle de la ségrégation égale.

Cette transmission se fait de façon indépendante pour chaque chromosome : le père et la mère donnent des copies bleu ou jaune, et verte ou rouge, de façon aléatoire. C’est la deuxième loi de Mendel, celle de la ségrégation indépendante.

Si ces deux parents ont un deuxième enfant, quelle est la probabilité que le père donne la même combinaison de chromosomes bleus et jaunes et que la mère donne la même combinaison de chromosomes verts et rouges?

Pour le père, la probabilité qu’il donne le même chromosome 1 (la copie bleue) est de ½, la probabilité qu’il donne le même chromosome 2 (la copie bleue) est de ½, la probabilité qu’il donne le même chromosome 3 (la copie bleue) est de ½,  la probabilité qu’il donne le même chromosome 4 (la copie jaune) est de ½, etc. Même chose pour la mère.

Étant donné que chaque parent a 23 paires de chromosomes, la probabilité que chacun donne deux fois les mêmes chromosomes à deux enfants différents est donc (1/2)23 x (1/2)23, soit environ 1 sur 70 000 milliards. Et comme notre planète compte maintenant environ 7 milliards d’humains, ce couple devrait donc avoir 10 000 fois plus d’enfants que la population mondiale actuelle pour en avoir deux identiques! Voilà pourquoi chaque personne qui n’est pas un jumeau identique est unique.

La recombinaison des chromosomes

Malheureusement, le joli calcul ci-dessus (qui a déjà été une des questions d’examen dans mon cours de génétique!) est une grossière SOUS-estimation. En fait, la probabilité qu’un couple ait deux enfants consécutifs génétiquement identiques est encore beaucoup plus petite que 1 sur 70 000 milliards.

Lors de la méiose, le processus par lequel on produit nos gamètes – chaque copie de nos 23 paires de chromosomes, les chromosomes homologues – se dédouble et échange ensuite des parties réciproques. Ces étapes sont illustrées ci-dessous.

Ce phénomène de recombinaison entre les copies des chromosomes hérités de nos parents (les chromosomes 1 hérités de nos parents se recombinent entre eux, les chromosomes 2 hérités de nos parents se recombinent entre eux, etc.) produit donc infiniment plus de gamètes différents que les (1/2)23 = 1 sur 8 388  608 calculés ci-dessus. En fait, les endroits où les chromosomes homologues se brisent lors des enjambements sont différents d’une méiose à une autre. Par conséquent, étant donné que tous les gamètes contiennent des chromosomes recombinants différents, il est impossible qu’un couple ait deux enfants consécutifs génétiquement identiques.

La figure ci-dessus montre que les enjambements entre chromosomes homologues sont nécessaires à leur bonne ségrégation, c.-à-d., pour que chaque gamète obtienne une copie de chaque chromosome et seulement une. Comme décrit plus en détail dans la publication de Martinez-Perez et Colaiácovo (référence 1), l’absence d’enjambements entre deux chromosomes homologues produit des gamètes dont la moitié contiendra deux copies de ce chromosome et l’autre moitié n’en contiendra aucune. Par exemple, les hommes XXY mentionnés plus haut ont obtenu soit deux chromosomes X de leur mère (ce qui est anormal) et un chromosome Y de leur père (ce qui est normal), soit un chromosome X de leur mère et des chromosomes X et Y de leur père. Similairement, les femmes ayant un seul chromosome X n’ont pas reçu de chromosome sexuel d’un de leurs parents.

Les haplotypes, des outils utiles

On le verra plus en détail dans la prochaine chronique : que nos chromosomes homologues s’échangent des parties réciproques ne fait pas qu’augmenter la variabilité génétique à l’infini. Au cours des générations, ces recombinaisons de chromosomes vont mener à des régions non recombinantes de plus en plus petites. Ces régions qui n’ont pas encore été cassées par la recombinaison sont des « haplotypes ».

La présence d’haplotypes inhabituellement longs a permis de détecter plusieurs gènes qui ont joué un rôle important dans l’évolution des humains. Ce sera le sujet de notre prochaine chronique.

Références :

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  • Guy Drouin
    Université d'Ottawa

    Guy Drouin est professeur titulaire à l’Université d’Ottawa depuis 1990. Il détient un doctorat en génétique de l’Université de Cambridge, et il a poursuivi ses études postdoctorales à l’Université Harvard. Ses recherches portent sur l’évolution des gènes et des génomes. Il enseigne la génétique, l’évolution moléculaire et la génétique évolutive des humains. Il s’intéresse aussi à l’enseignement des sciences en milieu minoritaire.

     

    Note de la rédaction : Les textes publiés et les opinions exprimées dans Découvrir n'engagent que les auteurs, et ne représentent pas nécessairement les positions de l’Acfas.

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