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Serge Lacelle, Université de Sherbrooke
Les chimistes se doivent d’élargir leur champ de vision. Ils ont trop souvent tendance à vouloir expliquer toute la réalité en termes d’interactions moléculaires.

La chimie universitaire est trop conservatrice, tellement réductrice et enfermée dans ses sous-spécialités issues des siècles passés qu’elle n’a plus la créativité requise pour faire face  aux  grands défis actuels de l’humanité. Telle est la thèse provocante que formulaient les chercheurs George M. Whitesides, de l’Université Harvard, et John Deutch, du Massachusetts Institute of Technology, dans la revue Nature le 6 janvier dernier. À l’aube de l’Année internationale de la chimie, ils invitaient les chimistes à se réinventer dans ce papier intitulé « Let’s get practical ».

Pas d’avenir sans chimie

Comme eux, je pense que les chimistes n’ont plus l’option du business as usual. La chimie a perdu trop de terrain dans l’opinion publique au cours des dernières années. Elle se trouve dorénavant à agir comme une science de service venant appuyer d’autres sciences telles la physique ou la biologie; un peu comme si elle ne réussissait pas à se renouveler dans un monde en continuelle transformation. Au regard du public, les physiciens, tels des Christophe Colomb modernes, se préoccupent des mondes inexploités que sont l’infiniment grand et l’infiniment petit. Prenons comme exemple le Grand collisionneur de hadrons, un accélérateur de particules. On y cherche la « particule de Dieu » qui puisse expliquer l’existence de la masse.  Notre compréhension du monde pourrait même en être bouleversée. Les biologistes, quant à eux, tentent de découvrir les secrets de la vie avec le projet du génome humain, une nouvelle terra incognita.

Dans ce contexte, il revient aux chimistes de relever des défis comparables, de réaffirmer leur fonction sociétale. Ce rôle existe : il consiste formellement à aider l’espèce humaine, avec la force de leur inventivité, à traverser les prochaines décennies! Sans la chimie, l’humanité ne pourra trouver de solution à l’épuisement des énergies fossiles,  au déséquilibre atmosphérique responsable du réchauffement climatique, à la lutte aux bactéries résistantes, etc. Le monde a plus que jamais besoin de la chimie et de sa capacité à comprendre et à manipuler la matière, qu’elle soit minérale ou biologique.

Reconnaître les responsabilités

Pour redonner à la chimie ses réelles lettres de noblesse, deux conditions doivent être remplies. Pour cela, les chimistes doivent d’abord reconnaître qu’ils sont eux-mêmes en bonne partie responsables des grands problèmes planétaires. On ne manipule pas la matière impunément; les succès de la chimie en agriculture et en industrie, par exemple, ont été rapidement mis de l’avant, et ce, sans avoir spéculé sur les effets pervers qui en découlent. Les chimistes doivent accepter cette critique. Cette prise de conscience consiste en tout premier lieu à assumer la connotation négative associée au terme « chimique », permettant alors une reconstruction face à une stagnation dans le déni. Est-ce envisageable? Certainement, car il suffit de constater que les physiciens travaillent dans le « nucléaire » et que les biologistes sont à l’origine des « OGM ». L’aventure des grandes découvertes est intimement liée à une éthique de la prudence et du doute.

Au-delà des molécules

Autre préalable : les chimistes se doivent d’élargir leur champ de vision. Ils ont trop souvent tendance à vouloir expliquer toute la réalité en termes d’interactions moléculaires, perdant de vue le fait que « le tout est plus que, mais également très différent, de la somme de ses parties ». En d’autres mots, le champ des comportements collectifs de la matière suscite peu d’intérêt parmi les chimistes. C’est sans doute pourquoi ils font souvent l’erreur de penser qu’un solide cristallin serait plus symétrique qu’un liquide! Cette fausse représentation résulte de l’image statique représentative de ces phases, mais qui ne tient pas compte de l’ensemble et de l’agitation thermique. En apprivoisant l’émergence, les chimistes percevraient davantage la Nature et pourraient résoudre des problèmes plus complexes.

Un appel

En cette fin de l’Année internationale de la chimie, le présent texte se veut un appel non seulement aux chimistes, mais à tous les acteurs voulant dialoguer pour aider à réinventer le rôle de cette discipline dans un monde technoscientifique largement façonné elle. Cette réinvention, comme le soulignaient Whitesides et Deutch, est essentielle non seulement à la pertinence de la discipline, mais aussi peut-être à sa survie.

Note

  • 1. G. M. WHITESIDES et J. DEUTCH, «Let’s get practical », Nature, vol. 469, 2011, p. 21.

  • Serge Lacelle
    Université de Sherbrooke

    Serge Lacelle détient un B.Sc. en biologie cellulaire et moléculaire de l’Université d’Ottawa et un Ph.D. en chimie physique d’Iowa State University. Depuis 1985, il est professeur de chimie à l’Université de Sherbrooke, et a dirigé ou codirigé des étudiants aux 2e et 3e cycles en biologie, en chimie, en génie chimique, en mathématiques et en physique. La thématique de ses travaux de recherche est l’émergence dans l’organisation et les transformations de la matière qu’il explore spécialement avec la résonance magnétique nucléaire. 

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