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Roberson Édouard, Université Laval, Ricarson Dorcé ,

« Tout mon travail de recherche consiste à mettre en tension les processus de différenciation sociale, notamment les plus délétères, l’ensemble des mécanismes (appartenance, affiliation, interaction, relation) qui rassemblent ou séparent les individus et les groupes sociaux », Roberson Édouard

Robertson Edouard
Roberson Édouard. Source : https://cresej.org/a-propos/equipe/

Ricarson Dorcé : Vous êtes sociologue et membre de plusieurs structures de recherche scientifique. Depuis plus de dix ans, vous avez publié plusieurs ouvrages et une vingtaine d’articles scientifiques traitant de sujets aussi variés que la santé, l’exclusion sociale, la pauvreté, la violence, les inégalités, etc. Y a-t-il un fil conducteur dans vos activités de recherche?

Roberson Édouard : Le fil conducteur de mon programme de recherche n’est guère évident, j’en conviens. Il semble être occulté par la diversité thématique de mes travaux et la pluralité de mes terrains d’investigation. Il est toutefois manifeste dans la définition de mon objet théorique de recherche, qui se rapporte aux liens sociaux.  Je m’intéresse autant à la manière dont les liens sociaux supportent ou non, dans des contextes sociohistoriques variés, les processus de différenciation sociale (leur re-production et leur transformation) qu’aux impacts de ces processus sur le champ des possibles des individus, des familles et des collectivités (ce qu’ils sont capables d’avoir, d’être et de faire).

Ricarson Dorcé : C’est quoi pour vous la différenciation sociale?

Roberson Édouard : Cette expression désigne le découpage des populations en groupes hiérarchisés. La classification hiérarchique des groupes et des individus sur la base de caractéristiques personnelles (âge, sexe), de statut ou de position sociale n’est pas neutre et inoffensive. Elle crée des inégalités de pouvoir, d’accès, de répartition des ressources. Elle opère à travers des relations d’échange (souvent inégal), des rapports sociaux d’exclusion, des relations d’assistance ou de dépendance, quand elle ne découle pas tout simplement de rapports de pouvoir de subordination ou de domination, de pratiques d’ingérence ou d’exploitation.

Les processus de différenciation sociale ont cependant besoin de se justifier pour se pérenniser. Leur efficacité se mesure au degré d’adhésion générale qu’ils galvanisent autour des récits laissant croire que certains sont supérieurs, meilleurs ou plus méritants que d’autres. Voyez comment ils peuvent être pernicieux : ils sont même capables de faire croire qu’il y a un certain mérite par exemple à naître ici plutôt qu’ailleurs, à être un homme plutôt qu’une femme, un blanc plutôt qu’un noir, un chrétien plutôt qu’un musulman, etc.

Ricarson Dorcé : Votre ouvrage Politiques d’intégration, rapports d’exclusion. Action publique et justice sociale, s’inscrit-il dans cette perspective?

Roberson Édouard : Tout mon travail de recherche consiste à mettre en tension les processus de différenciation sociale, notamment les plus délétères, l’ensemble des mécanismes (appartenance, affiliation, interaction, relation) qui rassemblent ou séparent les individus et les groupes sociaux. L’ouvrage collectif que vous mentionnez soumet à la critique les modalités d’intégration mises de l’avant au nom de la lutte à l’exclusion sociale. Il les examine, sous différents angles et dans différents lieux (géographiques et disciplinaires), pour montrer que ces mesures peuvent elles-mêmes être porteuses d’exclusion de diverses natures. Si elles se justifient le plus souvent par la volonté de résoudre la crise du lien social – qu’elle prenne la forme de l’exacerbation des inégalités, du chômage et de la pauvreté ou celle de la violence, de l’instabilité politique ou de la souffrance humaine –, elles n’en restent pas moins marquées par les rapports de pouvoir entre les acteurs en présence. Tout l’enjeu est de trouver un équilibre entre les velléités de solidarité derrière les politiques d’intégration, la responsabilité des parties prenantes et l’objectif de justice sociale. Car même si la volonté d’inclure demeure au cœur du projet politique de l’État moderne, les rapports sociaux qui le caractérisent sont souvent source d’inégalités et d’exclusion sociale.

"Tout l’enjeu est de trouver un équilibre entre les velléités de solidarité derrière les politiques d’intégration, la responsabilité des parties prenantes et l’objectif de justice sociale. Car même si la volonté d’inclure demeure au cœur du projet politique de l’État moderne, les rapports sociaux qui le caractérisent sont souvent source d’inégalités et d’exclusion sociale ", Roberson Édouard.

Ricarson Dorcé : À vous suivre, on dirait que l’exclusion sociale ne se limite pas à l’univers de la marge qu’investissent les moins nantis de la société?

Roberson Édouard : En effet, l’exclusion sociale est un mot-valise utilisé la plupart du temps pour qualifier la pauvreté. Sa portée heuristique, son potentiel réflexif, va cependant au-delà pour révéler, sous un autre jour, des pratiques de réduction des Autochtones au Canada, l’apartheid, la ségrégation ou les discriminations raciales aux États-Unis, des processus de relégation des immigrants sur le marché du travail en Occident, des relations d’assistance délétères pour les assistés sociaux… Quand elle ne se limite pas à ses dimensions économiques, l’exclusion sociale permet de poser les questions sociales contemporaines : la crise durable de l’emploi, les inégalités sociales et écologiques, le racisme systémique, les problèmes d’intégration des immigrants et des marginaux…

Ricarson Dorcé : Vous avez contribué à nombre d’initiatives de recherche appliquée. Vous avez, à plusieurs reprises, mis en avant des méthodes d’intervention au bénéfice des acteurs appelés à intervenir en faveur du bien-être collectif. Comment un chercheur peut-il se commettre dans une telle démarche? Comment peut-il articuler sa position de chercheur qui construit un savoir objectivé, validé et sa position d’acteur qui désire du changement social?robeson

Roberson Édouard : Ceci est une vaste question pour laquelle je n’ai toujours pas de réponse définitive. Si comme Weber, je pense que le chercheur en sciences sociales est astreint à une certaine neutralité axiologique, je vois difficilement comment le champ académique (ou plus spécifiquement le monde universitaire) peut se permettre de faire l’économie de la contribution de la science à l’effort de développement, notamment dans un contexte de carence de ressources comme c’est le cas dans la plupart des pays du Sud, dont la République d’Haïti.
Je reste convaincu, comme Émile Durkheim, que la recherche ne vaudrait pas une heure de peine si elle ne devait avoir qu’un intérêt spéculatif. Il y a donc une éthique de la responsabilité citoyenne qui accompagne ma pratique de chercheur en sciences sociales pétri des notions de justice et d’équité. Cela dit, mes travaux ne se résument pas à un compendium des meilleures pratiques. Le sens pratique ne doit jamais évacuer l’intérêt heuristique ; il doit, au contraire, l’alimenter.

Ricarson Dorcé : Je vous remercie beaucoup pour votre disponibilité

Roberson Édouard : C’est à moi de vous remercier!


  • Roberson Édouard
    Université Laval

    Chercheur associé au CIERA et cofondateur du CRESEJ, « Roberson Édouard est titulaire d'un doctorat en sociologie. Il enseigne à l'Université Laval et au Cégep Garneau. Il s'intéresse aux questions entourant les inégalités, la pauvreté, les politiques publiques et la violence. Il a mis en place, au sein d'un programme d'études supérieures de l'Université d'État d'Haïti, le premier observatoire national de la violence et de la criminalité en Haïti. » Source : PUQ .

  • Ricarson Dorcé

    Université Laval

    Détenteur d’une licence en psychologie, d’un diplôme de premier cycle en droit et communication sociale, d’une maîtrise en histoire, mémoire et patrimoine ainsi que d’une formation de deuxième cycle en sciences du développement, Ricarson Dorcé est doctorant en ethnologie et patrimoine à l'Université Laval. Ses recherches actuelles portent sur la participation communautaire, le tourisme communautaire et le patrimoine culturel immatériel. Ses travaux sont publiés dans des revues et éditions en Haïti, au Québec et ailleurs. Il est membre de : Centre de recherche Cultures – Arts – Sociétés (CELAT, Québec), Institut du patrimoine culturel de l’Université Laval (IPAC, Québec), Association canadienne d’ethnologie et de folklore, Laboratoire d’enquête ethnologique et multimédia (LEEM de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine ethnologique) et comité éditorial du Magazine de l'Acfas.

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