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Marilou Tanguay, Université du Québec à Montréal

Il y a beaucoup de liens à établir entre ma pratique de chercheuse, ma recherche et mon utilisation des réseaux sociaux. Premièrement, je suis une historienne qui se spécialise en histoire des médias. Je m’intéresse beaucoup à la présence (et à l’absence) des voix marginalisées dans les quotidiens généralistes au Québec. Il va de soi que la manière dont le sujet est porté (ou non) par les médias, incluant les réseaux sociaux, me fascine.

Marilou
@MarilouTanguay, 595 Tweets, 439 abonnements, 301 abonnés

Pouvez-vous présenter votre pratique des médias sociaux? 

Je suis active sur les réseaux sociaux depuis plusieurs années. Je n’ai toutefois pas été parmi les premièr·es utilisateur·ices de Facebook. Il m’a fallu un petit temps avant de me créer un profil puisque je n’en voyais pas l’utilité. J’ai créé, à titre d’exemple, mon compte Facebook en 2011. Dès le début de mon baccalauréat en histoire (en 2012), j’ai créé mon compte Twitter. Il servait davantage à ma vie académique alors qu’Instagram (que j’ai également créé en 2012) et Facebook étaient réservés pour ma vie personnelle. Je ne viens pas d’un milieu particulièrement éduqué. Mes ami·es du secondaire desquel·les je suis demeurée proche n’ont, pour la majorité, pas poursuivi d’études après le secondaire ou le Cégep. Je trouvais bien, dans cette optique, de « séparer » ces facettes de ma vie par mes réseaux sociaux. Autrement dit, j’aimais l’idée d’avoir des communautés d’interactions différentes. Même si être historienne est une partie importante de qui je suis, j’ai évidemment d’autres intérêts, d’autres projets. Cela me faisait grand bien d’ouvrir mon Facebook et de ne pas y voir trop d’articles ou de partages en lien avec le milieu de la recherche.

Mais évidemment, plus on avance dans le parcours universitaire, plus nos recherches habitent nos vies; il faut dire que je travaille sur des enjeux face auxquels je suis personnellement engagée hors du milieu académique et dont je vois la pertinence sociale de le faire. J’ai donc naturellement commencé à devenir plus active sur Twitter (et par la suite Facebook) afin d’échanger avec des gens qui partagent certaines de mes réalités académiques, comme les demandes de financement, et certaines affinités de recherche (et de militance) comme l’histoire des médias, l’histoire autochtone et l’histoire des féminismes. De plus, Twitter et Facebook permettent de prendre facilement connaissance d’appels à propositions pour des colloques, de parution d’ouvrages, etc. Je partage mes recherches et j’échange autour d’enjeux abordés dans le cadre de ma thèse comme les féminismes ou encore l’(in)accès aux médias généralistes par certains groupes afin de sensibiliser bon nombre de gens à ces questions. Ces sujets sont d’une actualité poignante et me permettent de dresser de nombreux parallèles entre aujourd’hui et la période que j’analyse, soit de 1950 à 1990). Cela atteste certainement de la pertinence de la discipline historique encore aujourd’hui remise en question. Dans cette tâche, je ne suis pas seule. À cet effet,  j’aimerais souligner le travail incroyable réalisé par plusieurs de mes collègues, je pense ici notamment à Christine Chevalier-Caron, Adèle Clapperton-Richard, Catherine Larochelle, Camille Robert, Shawn McCutcheon et Alexandre Klein.

Je partage mes recherches et j’échange autour d’enjeux abordés dans le cadre de ma thèse comme les féminismes ou encore l’(in)accès aux médias généralistes par certains groupes afin de sensibiliser bon nombre de gens à ces questions.

Quels liens faites-vous entre cette pratique et vos travaux de recherche? 

Il y a beaucoup de liens à établir entre ma pratique de chercheuse, ma recherche et mon utilisation des réseaux sociaux. Premièrement, je suis une historienne qui se spécialise en histoire des médias. Je m’intéresse beaucoup à la présence (et à l’absence) des voix marginalisées dans les quotidiens généralistes au Québec.  Il va de soi que la manière dont le sujet est porté (ou non) par les médias, incluant les réseaux sociaux, me fascine. Toutefois, c’est surtout ma posture de chercheuse féministe qui oriente et motive mon utilisation des réseaux sociaux. Ce qui me stimule en tant que chercheuse, c’est de participer à la démocratisation, à la vulgarisation et à la décolonisation des savoirs (historiques). Je ne crois pas que, contrairement à certain·es de mes collègues, l’histoire doit demeurer dans sa tour d’ivoire. Pluraliser la trame narrative de l’histoire s’accompagne certainement d’une réflexion quant à qui peut (et doit) participer à son écriture. L’histoire a un potentiel réflexif énorme sur le présent. Dès lors, les réseaux sociaux sont des alliés de diffusion de réflexions innovantes et de mobilisation autour de certains enjeux.  Ces réseaux m’ont permis d’être au fait de recherches menées par des chercheur·euses qui ne parviennent pas à investir les syllabus des cours que j’ai suivis. De plus, j’essaie de constamment réfléchir non pas uniquement à ce que je partage, mais aussi à la manière dont je le fais. Par exemple, je ne vois pas toujours l’utilité d’ajouter ma voix sur certains enjeux. Je préfère partager celles de gens qui méritent davantage d’être entendues sur certains sujets.

En toute cohérence avec ma posture féministe de chercheuse (et de citoyenne), utiliser les réseaux sociaux, au même titre que d’étudier les médias au Québec, m’a rapidement fait ressentir le besoin de créer un safe space pour les chercheuses. Interagir sur les réseaux sociaux, on le sait, mène souvent à des échanges corsés. Je trouvais important d’offrir à des chercheuses qui s’identifient comme étant une femme une plateforme d’échange protégé. J’ai créé à cet effet le groupe Facebook « Chercheuses badass ». Ce groupe permet d’échanger des préoccupations, des critiques du milieu académique, de solliciter des conseils ou des titres d’ouvrages, etc., bref d’interagir avec d’autres chercheuses. Bien que cette plateforme ne soit pas parfaite en tout point, ce groupe répondait manifestement à un besoin partagé puisqu’en quelques mois, le groupe qui ne comptait que quinze chercheuses que j’avais invitées atteignait plus de 600 membres. 

Quels sont les défis, les difficultés et les satisfactions?

Je dirais que peu importe l’utilisation que l’on fait des réseaux sociaux, un défi constant est de maintenir une perspective très critique face à ceux-ci, car on le sait, les médias nous inondent avec des articles et des partages de qualité très variable. Un autre défi – à la fois difficulté à mon avis – et qui n’est pas uniquement l’apanage des chercheur·euses qui ont recours aux réseaux sociaux est certainement celui de ne pas être submergé·es par l’étalage des réussites de chercheur·euses que l’on connaît de près ou de loin. Il est certainement naturel de partager nos victoires et nos accomplissements. Or, dans ce milieu – extrêmement et particulièrement – compétitif, où l’on confond souvent productivité, quantité et qualité, c’est facile de s’y perdre et de se sentir imposteur·es ou inadéquat·es. Les réseaux sociaux ont ce potentiel d'à la fois nous fragiliser comme de nous rendre plus fort·es en nous permettant d’investir des lieux d’échanges. Cependant, je crois qu’il ne faut surtout pas dépersonnaliser les réseaux sociaux. Lorsque je dis « les réseaux sociaux», je parle en fait de ses acteur·ices dont on fait également partie. En interagissant dans cet écosystème numérique, un défi est donc de réfléchir et d’être conscient·e que nos échanges et nos partages ne sont pas neutres, qu’ils renforcent parfois certains rapports de pouvoir (de classe, de race, de genre, d’âge, etc.) déjà en place qu’il importe de déconstruire.

...dans ce milieu – extrêmement et particulièrement – compétitif, où l’on confond souvent productivité, quantité et qualité, c’est facile de s’y perdre et de se sentir imposteur·es ou inadéquat·es. Les réseaux sociaux ont ce potentiel d'à la fois nous fragiliser comme de nous rendre plus fort·es en nous permettant d’investir des lieux d’échanges.

Si l’utilisation des réseaux sociaux pose plusieurs défis aux chercheur·euses, il va de soi qu’elle entraîne beaucoup de satisfaction. Pour ma part, ce que j’aime et qui me stimule, c’est de partager des réflexions et de sensibiliser des publics divers (et surtout d’être sensibilisée par ceux-ci). Nous gagnons à soumettre nos travaux et réflexions à la critique de gens aux expériences et aux parcours variés. Cela fait évoluer la nature de mes recherches, mais aussi ma réflexion quant aux manières potentielles de les diffuser afin d’en démocratiser l’accès. Les potentialités des réseaux sociaux à réduire la distance entre l’écriture et la diffusion des savoirs historiques et divers acteur·ices de cette histoire ou publics sont nombreuses. Une thèse de 300 pages ou un article disponible uniquement dans des revues scientifiques payantes sont bien peu susceptibles d’atteindre un lectorat hors du cercle universitaire. Évidemment, l’idée n’est pas de soutenir qu’un tweet de 280 caractères rend caduc l’exercice de la rédaction d’une thèse. Toutefois, ils se complètent très bien puisque le tweet, par exemple, permet de diffuser davantage des contenus auprès de publics qui souvent, prenons mon cas, sont directement concernés par mes travaux. C’est notamment mon implication sur les réseaux sociaux qui m’a permis de recruter certain·es journalistes à interroger pour mes recherches. Par ailleurs, une autre grande satisfaction demeure leur capacité à être des tribunes pour des contre-publics subalternes et pour les voix marginalisées et peu entendues dans le cadre de nos institutions académiques. Il me fait toujours plaisir de partager ces voix et d’être en quelque sorte une alliée par ce simple geste.

...une autre grande satisfaction demeure leur capacité à être des tribunes pour des contre-publics subalternes et pour les voix marginalisées et peu entendues dans le cadre de nos institutions académiques. Il me fait toujours plaisir de partager ces voix et d’être en quelque sorte une alliée par ce simple geste.   


  • Marilou Tanguay
    Université du Québec à Montréal

    Marilou Tanguay est candidate au doctorat en histoire à l'Université du Québec à Montréal et consultante en patrimoine et muséologie chez Hydro-Québec. Elle s’intéresse, dans le cadre de sa thèse, à l’analyse des dynamiques de production de journaux francophones, anglophones et autochtones au Québec entre 1950 et 1990. Elle a notamment pour objectif de mettre en lumière la diversité d’acteurs et d’actrices qui participent à créer cette multiplicité d'espaces publics. Elle réalise ce projet sous la direction conjointe de Magda Fahrni (UQAM) et de Josette Brun (communication publique, ULaval).  En parallèle, son temps est consacré à ses nombreuses implications professionnelles, académiques et sociales.

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