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Mélissa Thériault, Université du Québec à Trois-Rivières

Devant l'absence de lieux propices où échanger sur les questions féministes, des professeures, chargées de cours et étudiantes de l'Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) se sont rassemblées pour mettre sur place le Laboratoire en études féministes. Ces chercheuses dispersées au sein de différents départements, écoles et programmes se retrouvent désormais dans ce laboratoire membre du Réseau québécois en études féministes (RéQEF). Mélissa Thériault, professeure à l'UQTR, raconte la genèse de ce regroupement.

Ouverture du Laboratoire études féministes - UQTR
Ouverture officielle du Laboratoire en études féministes de l'UQTR, le 8 en mars 2023. Source : Mélissa Thériault
Un lieu à bâtir

« Oh, je ne savais pas que je pouvais faire des études féministes dans mon université! » 

Quand une étudiante de premier cycle a fait cette remarque sur un ton étonné, il a été clair pour moi qu’on tenait quelque chose et que nous allions bientôt pouvoir dire « mission accomplie ».

Nous étions plusieurs à travailler depuis de nombreuses années au sein d’une université située dans une charmante ville de région dont l’économie s’était structurée autour des ressources premières (le bois, principalement). Pour cette raison, les programmes de l’université s’étaient davantage orientés vers des trajectoires professionnalisantes. La recherche théorique en sciences humaines, d’où émanent les études féministes, y tenait peu de place. Si plusieurs personnes s’intéressaient aux questions féministes de façon individuelle depuis plusieurs années et les intégraient dans leur enseignement, il manquait un lieu central pour regrouper et relier tant les ressources que les expertises existantes. Après tout, comme le dit la sagesse populaire (syndicale), toutes seules, on va plus vite; ensemble, on va plus loin, ce qui s’applique particulièrement bien aux champs de recherche multidisciplinaires. 

Le travail à faire

Comment faire émerger une synergie entre des chercheuses isolées dans des départements et écoles dont les objets d’étude n’avaient que peu à voir les uns avec les autres?

Grâce à une activité organisée en 2017 par le RéQEF (le Réseau québécois en études féministes, fondé par la sociologue Francine Descarries), nous avons constaté, lors d’un moment propice à l’émergence d’idées structurantes (la pause-café!), que nous étions plusieurs professeures, chargées de cours et étudiantes à nous intéresser aux études féministes, malgré l’absence d’un programme axé sur ce champ d’études au sein de notre université.

Si quelques personnes s’intéressaient aux questions féministes de façon individuelle depuis plusieurs années, il manquait un lieu central pour regrouper et relier tant les ressources que les expertises existantes.

Ironiquement, la pandémie a fait le reste en facilitant les échanges, puisque nous pouvions faire connaissance à partir de nos maisons respectives, parfois à plusieurs centaines de kilomètres les unes des autres.

Le laboratoire a d’abord été composé d’une page Facebook, d’une cafetière inutilisée et d’une boîte de livres dans le fond d’un bureau. Puis se sont alignées une série de requêtes par courriel, traduites par autant de refus ou presque. Pouvait-on nous attribuer un local de travail? On manquait d’espace. Pouvait-on nous attribuer un budget? La date butoir était dépassée. Pouvait-on être relayées sur les pages de nos départements? Nous n’avions pas encore d’accréditation. Et ainsi de suite. N’importe qui se serait découragé. Mais ça aurait été donner raison aux personnes qui ne croient pas à l’utilité des études féministes et… nous n’allions pas leur faire ce cadeau.

Nous nous sommes donc tournées vers des sources externes pour développer nos projets. Par exemple, les stages d’été financés par Mitacs nous ont fait bénéficier du travail de stagiaires, qui, en retour, gagnaient une expérience d’initiation à la recherche rémunérée. Puis, une collègue a pris le temps de solliciter un palier administratif interne pour décrocher un petit budget afin d’assurer l’embauche d’une coordonnatrice étudiante, et, de fil en aiguille, les activités se sont agglutinées dans le calendrier.

Quelques sessions ont passé. Des embauches et l’arrivée d’une chaire du Canada en éthique féministe ont fait que nous sommes devenues plus nombreuses. L’antenne du RéQEF se révélait une petite ruche bien ancrée dans la région.

Il reste beaucoup à faire pour corriger certains plis solides dans le milieu universitaire : il arrive encore trop souvent que les comités soient peu diversifiés, et le plafond de verre est toujours là. Mais les choses changent lentement.

Nous n’avons toujours pas de programme en études féministes, mais nous pouvons faire connaître les ressources au sein des programmes existants. Nous avons maintenant un historique de collaboration et développons des projets de recherche conjoints, nous embauchons et formons la relève dans une perspective de plus grande justice sociale.

Il reste beaucoup à faire pour corriger certains plis solides dans le milieu universitaire : il arrive encore trop souvent que les comités soient peu diversifiés, et le plafond de verre est toujours là. Mais les choses changent lentement.

Mélissa Thériault
Mélissa Thériault en compagnie du recteur de l'UQTR, Christian Blanchette. Source : Mélissa Thériault.

Le 8 mars dernier, notre recteur est venu couper le ruban lors de l’inauguration du local du Laboratoire en études féministes. Ce petit geste signifiait beaucoup : nous avons un lieu où collègues et étudiantes peuvent se rencontrer, travailler ou prendre une pause, et, très important symboliquement, nous bénéficions d’une forme de reconnaissance de la part de notre université. Il y a quelques années à peine, je participais à un groupe de travail interne sur la préparation d’un plan stratégique où il fallait identifier des enjeux-clés sur lesquels la communauté de la recherche  devait se pencher. Un administrateur haut placé m’avait dit, sourire en coin, qu’il ne fallait pas utiliser le mot féminisme, « parce que ça fait peur ». On partait de loin.

La morale de l’histoire, c’est qu’il n’y a pas de transformation possible sans un patient travail de longue haleine. Et le plus souvent, il faut tout simplement commencer par discuter autour d’une bonne tasse de café sur la façon de s’y prendre pour changer le monde, une étape à la fois.


  • Mélissa Thériault
    Université du Québec à Trois-Rivières

    Mélissa Thériault est professeure au Département de philosophie et des arts de l'UQTR depuis 2013. Elle est membre du conseil exécutif du RéQEF (Réseau québécois d'études féministes) et a co-fondé en 2017 l'antenne RéQEF-UQTR (aussi connue comme le Laboratoire en études féministes). 

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