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Steeves Gourgues, Chercheur indépendant

Divers protocoles existent sur le terrain pour observer les espèces, les identifier et en établir la biomasse. Par exemple l’un d’eux consiste à attirer des insectes nocturnes dans un piège placé sous un éclairage. Les individus sont ensuite identifiés et pesés. J’aimerais ici proposer une approche complémentaire pour calculer l’indice de biodiversité. 

Mont-Royal
Forêt du Mont-Royal, Montréal, été 2018. Crédits : Johanne Lebel.

Le nombre d’espèces qui peuplent notre planète nous est inconnu. Il est pour ainsi dire incommensurable. À défaut de cette connaissance, agissons au moins pour contrer leur déclin1 et améliorer nos méthodes d’investigation. En 2006, Jacques Blondel, président du Conseil scientifique de l’Institut français de la biodiversité, mentionnait six « facteurs » sous la responsabilité humaine qui bouleversent massivement les écosystèmes, mais qui peuvent aussi être vus comme autant de pistes d’action :  

  • La flambée démographique
  • La fragmentation des habitats naturels
  • L’utilisation des pesticides et d’engrais
  • L’introduction d’espèces envahissantes
  • La surexploitation des ressources
  • La modification du climat2

Investiguer la biodiversité

Divers protocoles existent sur le terrain pour observer les espèces, les identifier et en établir la biomasse. Par exemple l’un d’eux consiste à attirer des insectes nocturnes dans un piège placé sous un éclairage. Les individus sont ensuite identifiés et pesés3.

Il existe ensuite différentes façons4 d’aborder la biodiversité pour en tirer des indices. La plus courante porte sur le nombre d’espèces. Une autre concerne la répartition plus ou moins équitable du nombre d’individus des espèces présentes dans un milieu donné. Un écosystème pourrait être peuplé d’un grand nombre d’espèces alors que plus de 90 % de ces organismes n’appartiendraient qu’à une seule d’entre elles. À l’évidence, la biodiversité d’un tel milieu serait alors plus faible.

Le prélèvement d’ADN dans un biotope est un autre moyen d’évaluer la diversité d’un milieu écologique. Que ce soit par la perte de cellules de peau, de gamètes desséchés ou encore de déchets métaboliques, l’ADN des organismes se retrouve à la disposition des chercheurs. On parle d’ADN environnemental (ADNe). L’identification de chaque espèce se fait par le séquençage de cet ADN sans observation directe des organismes, souvent difficilement repérables5. Cette technique est particulièrement adaptée en milieu marin où les espèces sont plus difficilement observables notamment celles en eau profonde6

Un indice de biodiversité tenant compte de la biomasse

J’aimerais ici proposer une approche complémentaire pour calculer l’indice de biodiversité. 

Disons d’entrée de jeu que l’on peut diviser les milieux de vie en écosystèmes naturels ou urbains. Mis à part les milieux désertiques, nous estimons que le nombre d’espèces par unité de volume est habituellement plus faible en milieu urbain. Mais si on tenait compte de la biomasse, notre évaluation ne serait-elle pas plus fine?
Cet indice permettant de mieux comparer la diversité du vivant entre les milieux urbains et naturels se définirait ainsi : le nombre d'espèces par unité de volume divisé par la biomasse présente dans ce volume.

Évaluer la biomasse végétale est une opération délicate. En milieu forestier, on peut évaluer celle des arbres par la connaissance de la densité du bois de chaque espèce et l’estimation du volume, en tenant compte des racines et des ramifications. Parmi les protocoles existants ou qui pourraient être en usage, on distingue ceux avec lesquels on obtient la biomasse à un moment précis, et ceux sur une période donnée. Cette dernière approche prend en compte le déplacement des organismes, et cela oblige les chercheurs à introduire la dimension temporelle. On procède alors à des observations, à l’aide de dispositifs d’enregistrement, à divers moments d’une journée, et on calcule une moyenne tout en indiquant le nombre d’observations réalisées et la durée sur laquelle a été calculée cette moyenne. Cette procédure étant difficile à réaliser en milieu naturel, il serait indiqué de la valider d’abord en zone urbaine.

Un article publié7 récemment montre qu’il est possible de connaître la biomasse d’un biotope pour chacune des espèces en milieu aqueux par l’étude de l’ADN environnemental. Des chercheurs ont validé leur méthode dans un étang. Tous les poissons ont pu être pesés. Les quantités d’ADN recueillies pour chaque espèce de poisson dans le plan d’eau correspondaient à la proportion du poids de chacune d’elle. La répétition du procédé au même endroit, un écosystème lacustre dans ce cas-ci, donnerait accès à une valeur de cette biomasse étalonnée sur une échelle de temps. On peut imaginer que l’échantillonnage d’ADN permettrait de connaître également la biomasse des organismes vivants dans les sols avec une bonne approximation8. Il devient alors plus aisé de comparer la richesse biologique de ces divers milieux qu’ils soient terrestres ou aquatiques avec ceux habités par notre espèce.  

Lutte contre les espèces envahissantes

Le décryptage du contenu génétique avec l’ADNe peut aider à repérer l’arrivée de nouvelles espèces envahissantes. La possibilité d’en établir la biomasse plus aisément, pour les lacs par exemple, permettrait d’en estimer le nombre d’individus partant des caractéristiques de l’espèce. L’obtention répétée de cette donnée fournit une lecture indirecte de son évolution démographique et d’en estimer les effets nuisibles à moyen et long terme. Un tel suivi offre aussi la possibilité d’une rétroaction afin de corriger les moyens entrepris pour éliminer les espèces indésirables sachant qu’il peut en résulter une baisse des populations animales et végétales à protéger.

Biomasse et indice de canopée

Il est à signaler que l’indice de biodiversité défini ainsi peut être utilisé conjointement avec d'autres9 tel que l'indice de canopée dont on se sert, entre autres, en zones urbaines. Calculé à partir de photos satellitaires, il correspond au pourcentage de la superficie d'un territoire couvert par la cime des arbres et permet une comparaison directe avec les milieux forestiers. Un suivi peut être effectué à l'échelle de l'arrondissement ou même du quartier. Au début des années 2010, la Ville de Québec a remplacé les frênes du secteur de Limoilou par d'autres espèces pour lutter de façon préventive contre les ravages de l'agrile du frêne. Un suivi de l'évolution du couvert végétal à la suite à cette intervention par l’indice de canopée serait tout indiqué. 

En conclusion

Le rapport du nombre d’espèces par unité de volume divisé par sa biomasse m’apparaît être une approche utile pour appréhender la diversité biologique dans sa globalité. Certaines actions requièrent toutefois de connaître la biomasse de chaque espèce d’un écosystème séparément pour en constater d’éventuels déséquilibres et de pouvoir y remédier. L’échantillonnage de l’ADN environnemental apporte une aide précieuse pour l’identification des espèces présentes dans les milieux étudiés. Les progrès éventuels de la métagénomique accéléreront l’acquisition et le traitement des données toujours plus volumineuses, mais néanmoins nécessaires pour une connaissance plus précise des environnements de notre planète. Cette discipline dont l'objet est la collecte et l'identification du matériel génétique dans tous les types de milieux naturels aux fins d'identification des espèces et de leurs relations en est encore à ses débuts10.    

Références :
  • Millennium Ecosystem Assessment, 2005. Cité dans François Anctil et Liliana Diaz, Développement durable: enjeux et trajectoires, Presses de l'Université Laval, 2015, p. 106
  • Anne Teyssèdre, "Vers une sixième grande crise d'extinctions?" , dans Biodiversité et changements globaux, p. 24-49, décembre 2004.
  • Jacques Blondel, "Préserver la biodiversité n’est pas un luxe", dans Les génies de la science, no 26, 2006, p. 7
  • Michel Leboeuf, "L’abc de la protection du milieu ; le pourquoi du comment", dans Nature sauvage, 2021, vol. 14, no 1, p. 29
  • Beverly McClenaghan, Nicole Fahner, David Cote, Julek Chawarski, Avery McCarthy, Hoda Rajabi, Greg Singer, Mehrdad Hajibabaei, "Harnessing the power of eDNA metabarcoding for the detection of deep-sea fishes", dans PLOS ONE, 4 novembre 2020,    
  • Muri, LL Handley , CW Bean , J. Li , G. Peirson , GS Sellers , K. Walsh , HV Watson , IJ Winfield , B. Hänfling, "Read counts from environmental DNA (eDNA) metabarcoding reflect fish abundance and biomass in drained ponds", dans Metabarcoding and Metagenomics, 22 oct 2020.
  • Steeves Gourgues, "Le patrimoine immatériel animal : un monde de comportements à préserver", dans Magazine de l'Acfas, 9 octobre 2020
  • Steeves Gourgues, "Le patrimoine immatériel animal, un monde de comportements à préserver", dans L'Homme et l'oiseau, octobre - décembre 2020, Éditeur Ligue royale belge pour la protection des oiseaux, p. 52-55.                                                                                        
  • Steeves Gourgues, "Gestion des écosystèmes et patrimoine immatériel animal", dans Agence Science Presse, 17 novembre 2020.
Quelques liens :
  • 1Nous savons aussi que leur disparition s’accélère. Dans une étude portant sur les écosystèmes, des experts mandatés par les Nations unies ont rapporté que le taux d’extinction des espèces a dépassé au cours du XXe siècle de 50 à 500 fois celui établi à partir de l’étude de fossiles (Millennium Ecosystem Assessment, 2005) pour les périodes géologiques qui excluent les grandes extinctions de masse (Teyssèdre, 2004). Pour une durée de 5 millions d’années, ce taux d’extinctions est d’une espèce sur 50 000 par siècle, soit 0,002 %. Si on estime le nombre d’espèces actuelles entre 10 et 20 millions, on devrait s’attendre entre 200 et 400 extinctions par siècle en l’absence de bouleversements des écosystèmes par l’espèce humaine (Teyssèdre, 2004).
  • 2Blondel, 2006
  • 3Leboeuf, 2021
  • 4À la diversité des espèces s’ajoutent celle des écosystèmes en lien avec celle des habitats, de même que la diversité génétique au sein de chacune des espèces.
  • 5Ce qui est aussi le cas pour les micro-organismes.
  • 6McClenaghan et coll. 2020
  • 7Muri et coll. 2020
  • 8Le rapport du nombre d’espèces par unité de volume divisé par sa biomasse mettrait en relation d‘une autre façon le rendement des sols en agriculture traditionnelle et en agroforesterie.
  • 9Pour ne nommer ici que quelques-uns parmi de nombreux autres indices qui sont utilisés : la diversité des écosystèmes, la mesure de la fragmentation écologique, le coefficient de biotope de même que l’étude d’espèces dites sentinelles, qui jouent le rôle de bio-indicateurs, aident les chercheurs dans le but d’effectuer un suivi des milieux de vie les plus variés afin d’en observer les changements.
  • 10La métagénomique s’occupe d’échantillonner en milieu naturel autant l'ARN que l'ADN et concerne non seulement les règnes animal et végétal, mais aussi les champignons, bactéries et virus.

  • Steeves Gourgues
    Chercheur indépendant

    Membre de Québec Oiseaux, Steeves Gourgues porte un intérêt particulier à la faune aviaire. Il est l'auteur du concept de "patrimoine immatériel animal" publié dans un article pour le magazine de l’Acfas et publié ensuite dans la revue belge L’Homme et l’oiseau. Il a développé plus à fond ce concept dans un article paru sur le blogue de l’Agence Science Presse. Il est par ailleurs le premier membre non européen de la Ligue royale belge pour la protection des oiseaux. De plus, sa formation en linguistique l'amène à publier des textes pour le blogue du Portail linguistique du gouvernement du Canada.

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