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Lourdes Rodriguez del Barrio, Université de Montréal

La mise en dialogue représente pour moi un premier aspect de la vulgarisation des savoirs. [Par la création] de ponts non seulement de l’univers scientifique vers la population en général, mais aussi à l’intérieur même du travail scientifique comme tel.

Mon travail de recherche et d’enseignement en service social se fait à partir d’une perspective spécifique : celle de la remise en question des savoirs dominants. Depuis une trentaine d’années, je développe des méthodologies afin de saisir l’univers des personnes qui vivent des expériences de souffrance intense pouvant conduire à la marginalité. Une de mes motivations est d’introduire le point de vue des personnes concernées. Le choix de cet angle d’approche a eu une importance cruciale quand j’ai travaillé avec des hommes et des femmes aux prises avec de graves problèmes de santé mentale. Cette perspective « des premiers concernés », souvent marginalisés, au cœur de la recherche partenariale et transformationnelle, s’inscrit au sein des savoirs émergents. Le résultat a été de proposer de nouvelles pratiques qui transforment la vie des personnes en leur rendant la santé, en augmentant leur qualité de vie, et surtout, en leur redonnant la dignité et l’estime de soi.

Une telle perspective m’a obligée à traduire ces savoirs émergents pour les « mettre en dialogue »  et les contraster  par rapport aux perspectives disciplinaires, comme celles de la sociologie et de la psychiatrie. J’ai ainsi cherché à créer un discours élargi qui inclut les récits des premiers concernés et les observations issues de la recherche multidisciplinaire, celle-ci pouvant donner du sens à ces croisements de savoirs. Il en résulte des pratiques plus respectueuses qui tiennent compte des droits des personnes et de leur dignité.

La mise en dialogue représente pour moi un premier aspect de la vulgarisation des savoirs. Sur le plan de la transmission des connaissances, les diverses instances de production constituent des espaces dans lesquels les chercheurs ou chercheuses ne se comprennent pas toujours, chaque discipline utilisant un langage et un paradigme spécifiques. Parfois, les mêmes mots acquièrent des significations différentes. D’où l’importance de créer des ponts non seulement de l’univers scientifique vers la population en général, mais aussi à l’intérieur même du travail scientifique comme tel.

Mon objectif est de communiquer mes résultats de recherche aux personnes concernées directement par l’avancement des connaissances, et ce, auprès de la population en général et à l’intérieur des champs de prise décision où l’on élabore des politiques ou des programmes de services publics. Ces derniers doivent devenir accessibles et adaptés à la diversité dans le cadre d’une société démocratique plurielle, inclusive et équitable.

Mon objectif est de communiquer mes résultats de recherche aux personnes concernées directement par l’avancement des connaissances, et ce, auprès de la population en général et à l’intérieur des champs de prise décision où l’on élabore des politiques ou des programmes de services publics

Le travail de communication se révèle, selon moi, de plus en plus exigeant. L’enjeu actuel est le risque de se confiner dans une production scientifique qui se vaudrait par elle-même, non consciente de sa propre pertinence et de son impact social. De rater l’occasion, par exemple, que les connaissances dans le champ social et celui des sciences humaines aient un réel impact dans le domaine de la santé physique ou mentale. Il faut ouvrir les modèles de pensée, élargir les visions et montrer les limites de ce qui se construit à l’intérieur des paradigmes professionnels ou d’expertise. Pour relever d’abord les grands défis sociétaux du présent, il importe d’aller au-delà de l’industrie scientifique guidée par une logique de productivité, au-delà du besoin d’entrer dans une communication tous azimuts. Pour contrer cette tendance, je me préoccupe de réaliser une recherche qui soit empreinte d’éthique, fondée sur des valeurs de justice sociale et axée sur des enjeux de démocratie.

Ainsi, ma recherche nourrit mon enseignement parce qu’elle me place dans l’exigence de l’actuel. Mes étudiants et étudiantes sont en contact avec la science et les pratiques de l’heure. Grâce aux mégadonnées et à l’intelligence artificielle, les possibilités de traitement des connaissances ont augmenté considérablement, mais il faut produire aussi du sens. Et pour cela, il faut mener une réflexion plus large, au-delà du plan théorique : quelle influence les contextes organisationnels peuvent-ils avoir avoir sur les objectifs de la recherche et sur les innovations technologiques qu’elle produit, sur leurs enjeux éthiques, leurs impacts sociaux et leurs angles morts? Quand on enseigne, un effort de réflexion nous est demandé, mais il en va de même pour nos élèves. Toute communication se fait vice versa. Ce faire-sens est activé par le dialogue avec eux et par ce qu’ils transmettent, soit leur savoir sur les enjeux auxquels ils sont confrontés. C’est un espace de communication dans le sens le plus profond, c’est-à-dire un espace de réinvention mutuelle. La transmission s’accompagne immédiatement de transformation. Hannah Arendt parlait à juste titre d’ « élargissement de la pensée ». Par ce dialogue autour des connaissances et de leurs effets, nous créons un monde plus accueillant, plus inclusif, plus capable de se réfléchir dans les actions qui y sont produites. Encore faut-il être prêt à sortir des silos, des logiques asymétriques du pouvoir, de la hiérarchie préétablie des savoirs, et à se laisser déplacer pour entrer dans un dialogue authentique. 

Par [un] dialogue autour des connaissances et de leurs effets, nous créons un monde plus accueillant, plus inclusif, plus capable de se réfléchir dans les actions qui y sont produites. Encore faut-il être prêt à sortir des silos, des logiques asymétriques du pouvoir, de la hiérarchie préétablie des savoirs, et à se laisser déplacer pour entrer dans un dialogue authentique. 


  • Lourdes Rodriguez del Barrio
    Université de Montréal

    Lourdes Rodriguez del Barrio est professeure titulaire à l’École de Travail social de l’Université de Montréal. Elle dirige l’Équipe de Recherche et d’Action en Santé Mentale et culture (ERASME) ainsi que l’Alliance de Recherche internationale Université-Communauté Santé Mentale et Citoyenneté (ARUCI-SMC) qu’elle a fondée. Finalement, depuis juin 2017, elle est directrice scientifique à la recherche sociale du CIUSSS du Nord-de-l’Île-de-Montréal (NIM). [Source]

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