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Yvan Allaire, HEC Montréal
Les jeux financiers sont de plus en plus complexes et obscurs. L’ingénierie, voire la "prestidigitation financière", rend difficiles l’attribution et l’évaluation des risques.

[Ce texte a été publié une première fois en septembre 2008, dans le cadre d'un dossier sur la gouvernance.
L'article avait alors paru dans le version imprimée du présent magazine]

Fondé en 2005, l’Institut sur la gouvernance d’organisations privées et publiques (IGOPP) réfléchit sur les modèles de gouvernance des entreprises privées, des coopératives et des organismes du secteur public.

« Pour nous, la définition de la gouvernance commence avec ce petit groupe de personnes travaillant à temps partiel, à qui on demande de superviser la direction et de prendre des décisions pour une organisation. Comment peut-on arriver à réaliser ces objectifs avec des gens qui ne sont pas de l’entreprise et qui se réunissent sporadiquement? Chaque fois, c’est le grand défi », lance Yvan Allaire, président du conseil d’administration de l’IGOPP et professeur associé à HEC Montréal [NDLR : statut de M. Allaire en septembre 2008. En février 2015, il était président exécutif du CA de l'IGOPP, et professeur émérite de l'UQAM].

Ce mode de gouvernance par les conseils est remis en question par plusieurs analystes, qui le considèrent plus ou moins comme un mythe, une fiction qui ne peut pas vraiment fonctionner. Yvan Allaire, pour sa part, croit que les conseils peuvent être productifs et utiles. Mais pour ce faire, leur travail doit être bien encadré.

« La gouvernance fiduciaire, première voie, régule très précisément le fonctionnement du conseil. On y multiplie les règles et les principes; on y définit les types de comités ou de membres; etc. Cette voie rassure parce qu’elle respecte, entre autres, les obligations juridiques des membres, dans le secteur privé comme public d’ailleurs. Il y a eu un resserrement considérable de ce type de gouvernance avec la loi fédérale américaine Sarbanes-Oxley de 2002, établie en réponse aux pratiques « enronistes ». Le remède est douteux, cependant, la gouvernance ayant joué un rôle mineur dans ce scandale par rapport aux manquements de “veilleurs” supposés surveiller les marchés financiers, qui soit se sont endormis au poste, soit, pire, ont été “soudoyés”. Cette loi a cependant été copiée un peu partout et fait en sorte que les obligations du conseil sont plus claires et les conséquences, plus graves. Cette manière d’opérer peut donner le sentiment d’avoir rempli ses obligations, mais c’est une démarche stérilisante. »

L’IGOPP, pour sa part, favorise une voie qui vise à ajouter de la valeur à la gouvernance. On y privilégie l’indépendance des membres du conseil, leur imputabilité, mais surtout leur légitimité et leur crédibilité.

Questions de légitimité

Du côté des institutions publiques, le dilemme de la gouvernance, commente Yvan Allaire, « est de tenir l’équilibre entre la marge d’autonomie nécessaire aux organismes et à leur conseil, et le danger de créer une bureaucratie kafkaïenne où le gouvernement s’assure que personne ne va l’embarrasser. Pas d’autonomie sans une bonne gouvernance et pas de bonne gouvernance sans une certaine autonomie. » Rappelons que le secteur public recouvre des dizaines d’organisations allant des « entreprises » telles Loto-Québec aux universités, en passant par les établissements de santé, les villes ou les commissions scolaires.

Pas de bonne gouvernance sans une certaine autonomie, et pas d’autonomie qui ne serait pas bien régulée.

Du côté du secteur privé, la légitimité tient en bonne partie à la qualité démocratique des assemblées d’actionnaires. « La légitimité des conseils dans le secteur privé a besoin d’être rehaussée, particulièrement dans les cas où l’actionnariat est largement partagé. Essentiellement, on reconduit les mêmes personnes pendant plusieurs années et, au moment de départs, on propose à l’assemblée un ou des candidats et puis on vote, souvent en bloc. Vous pouvez retenir votre vote, mais vous ne pouvez pas dire : je suis contre. C’est pénible. Pour les entreprises contrôlées par des actionnaires majoritaires, les enjeux sont différents. Théoriquement, ceux-ci peuvent élire tous les administrateurs. Nous proposons alors que le tiers soient élus par des actionnaires minoritaires, mais on est encore dans le domaine du souhaitable. Il n’y a rien de plus légitime que d’avoir des gens qui sont élus. Mais il faut se demander par qui, par combien de personnes et comment ils ont été mis en nomination. »

La crédibilité, soit les connaissances et l’expérience nécessaires pour comprendre les enjeux et prendre les décisions valables, représente aussi tout un défi pour les conseils, qui s’appuient de plus en plus sur des experts. Les marchés financiers, par exemple, se sont beaucoup complexifiés avec la numérisation des échanges et la déréglementation du secteur. Selon Yvan Allaire, « dans le cas d’Enron, il s’est avéré que le problème venait plutôt de la possibilité d’imbriquer banques d’affaires, assurances, fonds de couverture, etc. Les jeux financiers sont de plus en plus complexes et obscurs. L’ingénierie, voire la “ prestidigitation financière ”, rend difficiles l’attribution et l’évaluation des risques. »

Une bonne gouvernance par les conseils d’administration serait donc un jeu d’équilibre entre autonomie et réglementation. Pas de bonne gouvernance sans une certaine autonomie, et pas d’autonomie qui ne serait pas bien régulée.


  • Yvan Allaire
    HEC Montréal

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