La performance exigée des chercheurs promeut-elle indirectement le plagiat et la fraude scientifique? Les universités sont-elles trop indulgentes face à des pratiques douteuses, mais productives?
Croyez-vous que le copiage n’est l’affaire que de jeunes têtes folles peu soucieuses de la propriété intellectuelle? Détrompez-vous! Depuis trois ans, les scandales de plagiat de haut niveau ne cessent de se succéder en Europe et les têtes d’importantes personnalités politiques tombent les unes après les autres, à la suite du démasquage du même délit : une grande partie de leurs thèses de doctorat est issue du plagiat.
Le phénomène touche particulièrement l’Allemagne, où l’obtention d’un doctorat est socialement valorisée et constitue une bonne porte d’entrée pour accéder à des fonctions prestigieuses, tant dans le secteur public que privé. En 2011, la vice-présidente du Parlement européen, Silvana Koch-Mehrin, et le ministre de la Défense du gouvernement allemand, Karl-Theodor zu Guttenberg, remettent leur démission après que leurs universités respectives eurent révoqué leur titre de docteur pour cause de plagiat dans leurs thèses. Puis, en février 2013, autre coup dur : la ministre allemande de l’Éducation depuis 2005, Annette Schavan (aussi responsable de la recherche scientifique), est également contrainte de démissionner après qu’une commission universitaire eut conclu à une tricherie « systématique et délibérée » dans sa thèse soutenue en 1980.
Des affaires similaires éclatent ailleurs en Europe, où, en 2012 seulement, le premier ministre de la Roumanie Victor Ponta, son ministre de l’Éducation Ioan Mang ainsi que le président de la Hongrie Pal Schmitt sont accusés de plagiat dans la rédaction de leur thèse.
La facilité du « copié, collé »
L’accessibilité à une multitude d’informations sur Internet et la facilité du « Ctrl+C, Ctrl+V » mènent à une propagation de l’usurpation du travail d’autrui dans le milieu universitaire.
Les récents scandales européens apportent un éclairage nouveau sur ce phénomène en brossant un portrait des tricheurs qui ne correspond pas aux préjugés établis. En effet, le milieu universitaire aime dépeindre les plagiaires comme des étudiants de premier cycle utilisant à outrance des passages – non-cités – provenant de Wikipédia, en quête d’une meilleure note obtenue à peu d’effort. Bien souvent, l’ignorance des règles de rédaction et de citation des références est invoquée pour expliquer le comportement de ces jeunes et naïfs tricheurs.
Ce que nous dévoilent les scandales européens, ce sont des exemples d’adultes bien rompus aux pratiques scientifiques et pour qui le plagiat n’est pas une banale incompréhension du système de référence, mais un moyen de succès.
Or, ce que nous dévoilent les scandales européens, ce sont des exemples d’adultes bien rompus aux pratiques scientifiques et pour qui le plagiat n’est pas une banale incompréhension du système de référence, mais un moyen de succès. Succès dans l’obtention d’un diplôme et d’un titre, succès dans la publication d’articles et d’ouvrages à partir de la thèse, succès dans la carrière professionnelle qui s’ensuit.
L’invention de données
Lorsqu’un chercheur n’hésite pas à s’attribuer les résultats et le travail de ses collègues afin d’assurer l’avancement de sa carrière, la ligne vers la fraude suivante, en amont de la rédaction, peut être vite franchie : pourquoi ne pas inventer des données?
Un autre scandale, cette fois-ci aux Pays-Bas, montre que cette opération de création frauduleuse de données est non seulement possible, mais qu’elle peut aussi s’avérer fructueuse pour le tricheur… jusqu’à ce qu’il se fasse prendre.
Le professeur en psychologie sociale de l'Université de Tilburg, Diederik Stapel, a vu sa brillante carrière s’arrêter « net » en 2011 lorsque certains de ses jeunes collègues ont émis des doutes sur l’authenticité de ses résultats d’expérience. Une commission d’enquête [pdf] a confirmé ces allégations dans un rapport rendu public en novembre 2012 . Comme le rapporte le journaliste scientifique du Monde Pierre Barthélémy , la fraude est gigantesque : sur les 137 articles que Stapel a publiés, 55 contiennent assurément des données inventées ou trafiquées! Inutile de dire que les 10 étudiants dont il dirigeait les thèses doivent reprendre en grande partie leurs travaux…
La technique de fraude était aussi simple qu’efficace : le professeur Stapel affirmait à ses collaborateurs que les expériences de recherche étaient effectuées dans d’autres universités, tandis qu’il remplissait lui-même les questionnaires des participants et les tableaux de données. Avantages de cette façon de procéder : moins de temps et d’argent dépensés pour la collecte de données certes, mais surtout, le professeur parvenait à tout coup à obtenir des résultats significatifs (!), c’est-à-dire dignes d’intérêt pour les revues scientifiques.
La perversité de la course aux publications
Deux chercheurs canadiens, Benson Honig et Akanksha Bedi, se sont intéressés au phénomène du plagiat chez les professeurs et chercheurs établis (plutôt que chez les étudiants) dans la discipline du management. Leur article, paru dans le premier numéro de 2012 de la revue Academy of Management Learning & Education, lie la propension au copiage et la pression de publier.
Le recours au plagiat s’accroit dans les institutions qui accordent des incitatifs (avancement professionnel, subvention, décharge d’enseignement, etc.) à la publication.
En effet, le recours au plagiat s’accroit dans les institutions qui accordent des incitatifs (avancement professionnel, subvention, décharge d’enseignement, etc.) à la publication. De plus, le plagiat est également plus fréquent chez les chercheurs diplômés d’universités non anglophones. L’hypothèse est que ces derniers, quoique plus ou moins à l’aise avec la langue anglaise, subissent des pressions pour publier dans les plus prestigieuses revues, c’est-à-dire les revues anglophones. L’utilisation du copiage serait alors un moyen pour progresser professionnellement, malgré leur handicap linguistique.
La performance exigée des chercheurs promeut-elle indirectement le plagiat et la fraude scientifique? Les universités sont-elles trop indulgentes face à des pratiques douteuses, mais productives?
Le chasseur de plagiaire
La question se pose d’autant plus que les universités sont, en quelque sorte, prises en défaut dans ces multiples scandales de plagiat. Autrement dit, elles ont réagi aux scandales, en enlevant le titre de docteur aux coupables, mais elles n’ont pas été en mesure de découvrir et de prévenir d’elles-mêmes ces crimes.
Apparaît donc un nouveau joueur qui fait trembler de plus en plus les élites intellectuelles : le chasseur de plagiaires. Dans le cas des personnalités politiques examinées plus haut, les accusations de plagiat ont été émises pour la première fois par des dénonciateurs anonymes, sur des blogues ou par l’envoi de preuves à des médias scientifiques, par exemple la revue Nature dans le cas du premier ministre de la Roumanie.
D’internaute anonyme, le chasseur de plagiaires désormais se professionnalise : par exemple, le Courrier international présentait dans une édition de février 2013 l’entreprise de l’Allemand Martin Heidingsfelder, un « justicier d'un nouveau genre qui gagne sa vie en traquant la fraude aux titres universitaires ». Si des particuliers peuvent le contacter pour enquêter spécifiquement sur une personne, Heidingsfelder a pris l’initiative de mettre en ligne la liste de l’ensemble des candidats aux élections législatives allemandes régionales et fédérales de 2013 qui sont titulaires d’un doctorat. Les internautes sont invités à faire un don à l’entreprise en associant cette somme au candidat de leur choix dont ils souhaitent que la thèse soit examinée. Lorsque l’argent suffisant est recueilli, la chasse débute!
Au-delà de cette nouvelle et insolite profession, les universités utilisent de plus en plus des logiciels de détection de similitudes pour valider l’originalité des travaux scientifiques produits dans leurs institutions. Des revues scientifiques commenceraient également à recourir à ces logiciels, afin d’éviter de voir leur réputation entachée par des rétractions d’articles issus du plagiat.
Une nécessaire critique de l’idée de performance
Cette sensibilité au plagiat doit toutefois s’accompagner d’une réflexion plus générale sur les conditions de travail et les exigences de performance demandées aux chercheurs, dont l’un des effets pervers est de vouloir découvrir et publier « à tout prix ». Sans une telle réflexion, le recours accru à de tels logiciels ne conduira pas à une diminution du plagiat, mais plutôt à son raffinement, par exemple par l’émergence d’une industrie de ghostwriters scientifiques.
- Maude Benoit
Université Laval et Université Montpellier 1
Maude Benoit est candidate au doctorat en science politique à l’Université Laval (Québec) et à l’Université Montpellier 1 (France). Ses recherches portent sur les politiques publiques en agriculture au Canada et dans l’Union européenne. Elle s’intéresse plus particulièrement à l’intégration des préoccupations de développement rural et d’environnement dans l’action publique agricole.
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