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Maude Benoit, Université Laval et Université Montpellier 1
Il y avait impossibilité pour les journalistes de pouvoir questionner les chercheurs du gouvernement fédéral sur leurs données scientifiques alarmantes, c’est-à-dire l’observation de l'un des plus grands trous dans la couche d'ozone jamais observé.

Le dernier opus cinématographique des aventures de James Bond nous dépeint une fois de plus le scientifique (« Q ») comme un brillant « patenteux » de gadgets sophistiqués, mais qui se trouve loin de tous les dangers, bien à l’abri dans son laboratoire. N’en déplaise à ce mythe tenace, la profession de scientifique a toujours comporté des risques, que l’on pense par exemple au procès qu’intenta le tribunal de l’Inquisition à Galilée au 17e siècle.

L’actualité de 2012 nous rappelle d’ailleurs que les scientifiques sont toujours sous haute surveillance, même dans nos sociétés démocratiques dites « du savoir ». De la condamnation à l’emprisonnement en octobre 2012 de six universitaires italiens n’ayant pas prévu avec précision le séisme de L’Aquila en 2009, au musellement répété par le gouvernement fédéral canadien de ses propres chercheurs, être scientifique signifie aussi la mise sous les barreaux et la soumission à la loi du silence. De façon paradoxale, les scientifiques sont là condamnés pour leurs affirmations trop rassurantes, et ici réprimés pour les déclarations alarmantes qu'ils pourraient énoncer publiquement.

Les sismologues italiens : coupables d’homicides par négligence

Rappelons le déroulement des évènements de mars-avril 2009 qui devaient mener à la condamnation en 2012 des six scientifiques et d’un fonctionnaire italiens, non seulement à la prison, mais au paiement de plus de 7 millions d’euros de dommages et intérêts aux victimes du séisme.

Au printemps 2009, les habitants de L’Aquila, bien qu’habitués à vivre en zone sismique, s’inquiètent du nombre élevé de secousses ressenties depuis quelques semaines. L’inquiétude cède à un vent de panique lorsqu’un particulier annonce l’imminence d’un tremblement de terre important, prédiction fondée sur l’enregistrement d’un taux de radon particulièrement élevé, une technique par ailleurs controversée pour la détection des séismes. Afin de tranquilliser la population, le gouvernement convoque le 31 mars 2009 la réunion d’une commission spécialisée, composée d’experts en vulcanologie, séismes, inondations et autres glissements de terrain, et chargée de conseiller les autorités publiques sur ces questions. Les scientifiques concluent que les observations relevées ne permettent pas de confirmer l’existence d’un véritable risque sismique. Un avis public est ensuite émis afin de rassurer les habitants. Moins d’une semaine plus tard, le séisme survient et ensevelit 309 personnes.

Lors du procès, l’accusation a démontré qu’au moins 27 de ces 309 victimes avaient expressément décidé de rester chez elles (plutôt que de se réfugier dans un endroit plus sûr), rassurées qu’elles étaient par les messages des autorités publiques. Les membres de la commission d’experts ont été reconnus coupables d'homicides par négligence pour avoir sous-estimé les risques de l’avènement d’un tremblement de terre.

Le verdict du procès de L'Aquila ne constitue-t-il pas un dangereux précédent qui rendra réfractaires les scientifiques à participer aux processus politiques d’évaluation des risques?

Ce verdict de culpabilité a soulevé de nombreuses critiques de la communauté scientifique internationale et aussi plusieurs questionnements. Par exemple, que s’est-il passé lors de la fatidique réunion du 31 mars 2012? Est-ce que, comme l’ont conclu les magistrats italiens, les scientifiques ont fourni des informations incomplètes, imprécises et contradictoires sur l’activité sismique en cours ou si, comme l’affirment d’autres, la non-confirmation, non-infirmation d’un risque de séisme émise par les chercheurs s’est transformée sous le travail de relations publiques des autorités politiques en « il n’y aura pas de secousses sismiques importantes »? De cette question en découle une autre : à qui revient la responsabilité de prise de décision dans un contexte de risque, aux scientifiques ou aux « politiques »? Plus largement, ce verdict ne constitue-t-il pas un dangereux précédent qui rendra réfractaires les scientifiques à participer aux processus politiques d’évaluation des risques, abandonnant ainsi les communautés aux intuitions des charlatans et autres diseuses de « mal » aventure?

Les scientifiques canadiens : coupables de présenter leurs données

À l’autre opposé du spectre, qu’ont en commun David Tarasick et Kristina Miller? D’abord, il s’agit de deux scientifiques, employés du gouvernement fédéral canadien, dont la pertinence des travaux leur a valu une publication dans les prestigieuses revues Nature et Science. Deuxième point en commun : impossibilité pour les journalistes de pouvoir les questionner sur leurs données scientifiques alarmantes, c’est-à-dire l’observation de l'un des plus grands trous dans la couche d'ozone jamais observé (Tarasick) et la découverte d’un virus qui pourrait entraîner la disparition du saumon rouge en Colombie-Britannique (Miller). Que ces curieux journalistes s’adressent aux directions des relations publiques des ministères et agences concernés pour en savoir plus!

Ces deux cas s’inscrivent dans un climat de musellement général des scientifiques gouvernementaux canadiens, instauré sous le règne de Stephen Harper. Ce climat est marqué par la diffusion de réponses « toutes faites » au cas où, malgré les contrôles, des employés fédéraux entreraient en contact avec les médias, et caractérisé par des délais interminables pour les journalistes qui veulent obtenir des autorisations d’entrevues, voire des refus catégoriques non justifiés, à un point où ils renoncent parfois simplement à interviewer des scientifiques.

Quand la science n’est plus « publique »

Au-delà du dangereux retrait des perspectives scientifiques des débats publics que cela entraîne, la question des rapports entre science et pouvoir politique est encore une fois soulevée par l’exemple canadien. Il ne s’agit pas cette fois-ci d’établir la responsabilité des uns et des autres, mais d’interroger le caractère public et l’accès transparent (ou pas?) des recherches financées par la population et réalisées par des administrations publiques. Que les entreprises privées gardent jalousement les résultats de leurs activités de recherche et de développement, soit; mais les citoyens sont en droit de s’attendre à un accès plus ouvert aux recherches et aux explications des scientifiques de la fonction publique.

Et si l’on recoupe les exemples italien et canadien, peut-on envisager l’idée qu’un jour des scientifiques soient accusés d’avoir gardé le silence à la demande de leurs employeurs gouvernementaux, ou alors, de ne pas avoir suffisamment souligné les risques et les conséquences liés, par exemple, aux changements climatiques?


  • Maude Benoit
    Université Laval et Université Montpellier 1

    Maude Benoit est candidate au doctorat en science politique à l’Université Laval (Québec) et à l’Université Montpellier 1 (France). Ses recherches portent sur les politiques publiques en agriculture au Canada et dans l’Union européenne. Elle s’intéresse plus particulièrement à l’intégration des préoccupations de développement rural et d’environnement dans l’action publique agricole.

     

    Note de la rédaction : Les textes publiés et les opinions exprimées dans Découvrir n’engagent que les auteurs, et ne représentent pas nécessairement les positions de l’Acfas.

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