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Claude-Armand Piché, Chercheur indépendant
« N'importe quelle fille peut avoir l'air glamour, tout ce que vous avez à faire est de rester immobile et de prendre un air idiot », Hedy Lamarr

Née à Vienne en 1914, l’actrice et comédienne autrichienne Hedwig Eva Maria Kiesler est issue d’un milieu juif et bourgeois. En 1933, elle s'impose au sein du monde cinématographique européen avec son rôle dans le film Ectasy du Tchèque Gustav Machatý: elle y apparaît totalement nue, une première dans le cinéma mondial non pornographique, et y simule un orgasme qui fera le tour du monde…

Mariée à un riche Autrichien à demi juif, mais proche des milieux fascistes et nazis, elle le quitte pour Paris, Londres et Hollywood, où elle mènera, durant deux décennies, une carrière de star. Archétype de la séductrice fatale d’origine étrangère, favorite du jet-set, Lamarr tourne beaucoup, mais dans peu de films mémorables, ce qui expliquerait sa quasi-disparition du radar de la culture populaire. Mariée à six reprises, elle élèvera trois enfants.

Au tournant des années soixante, c’est le début d’une descente aux enfers qui s'éternisera durant 40 ans : vols à l’étalage, publication de mémoires à scandale (Ecstasy and Me, 1966), chirurgies plastiques et procès à répétition, perte progressive de la vue, appauvrissement, etc. Lamarr meurt en 2000, réfugiée en Floride. Elle est honorée par une étoile sur le Hollywood Walk of Fame.

Le radioguidage brouillé par le glamour...

Heureusement, hors de la saga hollywoodienne, il existe une Hedy Lamarr manifestement plus heureuse. Comme toujours avec les stars, les sources biographiques documentaires sont souvent sujettes à caution. Cela dit, le croisement de toutes ces données fait apparaître une Lamarr à mille lieues de sa légende dorée.

Reconnue par ses proches pour son intelligence, son intérêt pour les sciences et sa facilité à manier les mathématiques, Hedy invente sans arrêt des outils destinés à faciliter la vie quotidienne, mais sans les développer ni les breveter.

Un soir de 1941, elle fait la rencontre du pianiste d’avant-garde George Antheil (1900-1959). Ensemble, et apparemment à la suggestion de Lamarr, le couple met au point un système de codage des transmissions – l’étalement de spectre ou commutateur de fréquences –destiné à rendre plus sécuritaire le radioguidage des torpilles étatsuniennes : les radiofréquences seraient protégées par 88 fréquences différentes, rendant impossible la détection par l'ennemi d’une attaque sous-marine imminente. L'invention est brevetée.

Malheureusement, ce dispositif, inspiré par le fonctionnement du piano mécanique, est d’abord rejeté par l’armée étatsunienne. Celle-ci le juge trop complexe, voire trop fantaisiste, pour une utilisation immédiate. Vingt ans plus tard, le mécanisme de Lamarr-Antheilrefait cependant surface lors de la crise des missiles de Cuba (1962). L’armée étasunienne est désormais en mesure de gérer cette technique. Par la suite, ce système de brouillage, qui servira si bien les militaires (communications chiffrées), connaîtra plusieurs applications civiles, dont notamment le brouillage des ondes associées au positionnement par satellite (GPS), la téléphonie portable et les systèmes de communication sans fil de type Wi-Fi ou Bluetooth!

En 1997, enfin, Lamarr se voit décerner un prix reconnaissance par l’Electronic Frontier Foundation, tandis que son pays d’origine met sur pied les Conférences Hedy-Lamarr en communication, commanditées par l’Académie des sciences autrichienne, les Telecom autrichiennes et la Maison des médias de Vienne.

Ombre et lumière

Si nous pouvons reconstituer une chronologie assez rigoureuse des événements  liés à la vie et à la carrière « scientifique » de Lamarr, beaucoup de faits et de motifs sont plus ou moins masqués par la légende propre à une star.

A-t-elle développé dès son premier mariage une détestation pour le fascisme et le nazisme? A-t-elle reçu à sa table Mussolini et Hitler? S’est-elle intéressée très tôt aux techniques de communication et de brouillage, sujet de conversation apprécié par son premier époux? Quel rôle a-t-elle vraiment joué dans la création du commutateur de spectre : un rôle mineur, comme elle semble le suggérer à quelques reprises, ou un rôle très actif souvent évoqué par ses nombreux « biographes »? A-t-elle vraiment souhaité alors abandonner sa carrière d’actrice pour rejoindre le National Inventors Council et travailler à l’effort de guerre autrement que par la vente de war bonds avec d’autres vedettes hollywoodiennes? À la fin de sa vie, a-t-elle enfin pu monnayer son brevet?

Difficile de répondre à ces questions compte tenu des sources disponibles. Ce qui demeure certain, cependant, c'est que les cultures populaires et élitaires étatsuniennes se sont emparées à la fin des années 1990 de la personnalité scientifique d’Hedy Lamarr.

Longtemps égérie des boîtes renfermant les suites de logiciels CorelDRAW', Lamarr la « chercheure » posera aussi pour une affiche de Boeing destinée aux campagnes de recrutement du géant aéronautique. Sujet de quelques articles, la carrière scientifique de Lamarr a également été le thème d’une pièce présentée à New York et intitulée Frequency Hopping. Enfin, un documentaire consacré à l’invention du commutateur de spectre par Lamarr et Antheil a été programmé récemment par le Science Channel show étatsunien.

Femmes et inventions

La « carrière » scientifique d’Hedy Lamarr met en lumière la double question de la recherche scientifique féminine et de la recherche scientifique hors des milieux traditionnels de l’université et des laboratoires publics ou privés. De l’agricultrice étatsunienne Sybilla Masters (?-1720) à la biochimiste nobélisée Gertrude Belle Elion, également étatsunienne (1918 – 1999), les femmes ont contribué aux innovations dans des domaines aussi variés que la recherche agricole, énergétique, environnementale, informatique, médicale et pétrochimique; elles ont inventé des outils et techniques associés aux communications, à la sécurité publique, aux soins personnels, au tissage, à la confection, à la production de papier, de pétrole et de verre, à l’utilisation du laser, etc.

Détentrices vers 1890 de 1 % des brevets enregistrés aux États-Unis, les femmes en possèdent aujourd'hui 6 %. Cela étant, un pourcentage aussi faible est nécessairement associé au rôle exercé au 19e siècle par les femmes en recherche. À l’origine éloignées des métiers scientifiques, les femmes sont alors principalement des « amatrices douées » dans un monde « édisonien » où la découverte peut encore se faire dans son salon ou dans un laboratoire peu équipé.

Aujourd’hui, l’invention est presque uniquement confinée dans des laboratoires faisant un usage généralisé de l’informatique et de techniques particulièrement complexes et coûteuses. La généralisation de la présence féminine en recherche devrait bonifier le nombre et la valeur des brevets dits « féminins ». Qui sait si aujourd’hui Hedwig Eva Maria Kiesler n’aurait pas préféré devenir une de ces chercheuses au lieu de se perdre dans la machine hollywoodienne?

Sources :


  • Claude-Armand Piché
    Chercheur indépendant

    Claude Armand Piché est détenteur d’un baccalauréat en urbanisme, d’une maîtrise en muséologie et d’un doctorat en histoire de l’Université du Québec à Montréal. Basé à Montréal, ce dernier travaille présentement à deux ouvrages consacrés à l’histoire montréalaise.

     

    Note de la rédaction :
    Les textes publiés et les opinions exprimées dans Découvrir n'engagent que les auteurs, et ne représentent pas nécessairement les positions de l’Acfas.

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