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Charlotte Biron, Stagiaire en journalisme scientifique
Depuis 2008, l’accès aux scientifiques travaillant pour le gouvernement du Canada est devenu très difficile. La journaliste Binh An Vu Van répond à nos questions sur ce bâillon scientifique.

Les journalistes ont désormais l’obligation de passer par le service des communications pour accéder aux scientifiques des agences fédérales. De plus, ce sont parfois les relationnistes qui répondent à des questions adressées aux chercheurs.

C’est le constat fait par l’Association des communicateurs scientifiques (ACS) lors du congrès de l’American Association for the Advancement of Science (AAAS), en février dernier, à Vancouver. Depuis, de nombreux médias, dont la BBC, ont relayé le message. Pour sa part, l’Acfas décrie depuis le début l’attitude du gouvernement. 

Trois mois plus tard, Binh An Vu Van, journaliste et membre de l’ACS à l’origine du panel à Vancouver, revient sur cette initiative pour parler des derniers développements.

Bonjour Binh An, quels sont les impacts de ce bâillonnement des scientifiques fédéraux?

Binh An : Premièrement, les journalistes ont moins d'outils pour expliquer ce qui se passe dans les laboratoires du gouvernement canadien, comme l’Agence spatiale canadienne, Environnement Canada ou même Pêches et Océans Canada. Pour faire un bon article scientifique, ils ont besoin de la collaboration des experts. Beaucoup de journalistes n’essaient même plus de contacter les scientifiques fédéraux. Il est ici question de 23 000 scientifiques. Comment se fait-il que lorsqu’il y a une publication produite avec l’argent du public, on ne puisse pas savoir exactement comment les résultats ont été obtenus? 

On voit aussi une baisse de la présence des chercheurs et de la couverture médiatique de la science en général. Ça devient un problème, car il y a une grande méfiance envers la science en Amérique du Nord. Habituellement, un relationniste ou un agent de communication est un facilitateur des échanges entre les scientifiques et les journalistes. Désormais, il est une barrière entre les deux. La raison donnée par le gouvernement fédéral : si on a un ministère, on a une voix, on a un message, et il faut que ce message-là soit uniforme. Il ne faut pas que les scientifiques surprennent le ministre.

En fin de compte, tout ça c’est une lutte pour la liberté d’expression et la transparence du gouvernement. Pour moi, cette transparence est la base d’une démocratie en santé. Ça aide tout le monde à prendre des décisions éclairées, à agir de manière informée. La transparence, ça donne envie de s’investir dans la vie démocratique en tant que citoyen, parce que ça permet d’avoir confiance dans le gouvernement.

Pourquoi y a-t-il une politique de bâillonnement comme celle-ci?

Binh An : Plusieurs personnes pensent que c’est pour des raisons idéologiques, que le gouvernement fédéral veut véhiculer certaines valeurs dans la population. Ce n’est pas une information validée, mais certaines personnes croient que les scientifiques au fédéral sont bâillonnés pour qu’ultimement il y ait une certaine approbation des mesures que le gouvernement propose. Est-ce que le gouvernement tire un certain avantage à garder le public peu informé en science? Peut-être!

Y a-t-il des scientifiques qui prennent la parole à ce sujet là?

Binh An : Les scientifiques fédéraux se taisent, par peur certainement, mais on a reçu beaucoup de courriels d’encouragement. Ils veulent rester anonymes, mais ils nous ont envoyé des documents, même des témoignages, assez troublants! Certains scientifiques retraités d’Environnement Canada parlent. D’ailleurs, un des groupes qui nous a le plus aidés est le Syndicat de la fonction publique. Ils savent très bien que c’est une préoccupation majeure parmi leurs membres. Ils sont prêts à mettre beaucoup d’argent et d’énergie là-dessus.

Avec le recul, comment voyez-vous que ça évolue?

Binh An : Le gouvernement s’est contenté de dire qu’il n’y avait pas de problème. Les différents ministères citent le nombre d’entrevues qu’ils ont accordées cette année. C’est un peu rigide. Stephen Harper a une vision très claire de ce qu’il attend des communications. Je ne pense pas qu’il va changer exprès ses politiques de science pour nous. Au moins, le public est averti, les journalistes sont avertis. Les critiques du parti Libéral et du NPD l’ont dénoncée en chambre. Les cas de musèlement ont fait du bruit. Je pense que le gouvernement va faire preuve d’un peu plus de prudence dans ses manœuvres. Ils vont devoir se demander si, en fin de compte, ça ne va pas être plus néfaste pour eux d’empêcher certains scientifiques de parler plutôt que de laisser les journalistes réaliser leurs entrevues.

Et à long terme?

Binh An : C’est sûr qu’on va poursuivre nos actions. On peut continuer à faire pression, pour au moins gagner un peu d’accès aux scientifiques. Il va falloir faire la preuve par des nombres et des faits qu’il y a un vrai problème pour pouvoir le présenter au public. Pour le faire, on peut recenser les cas à la pièce. C’est-ce que l’Union of Concerned Scientists a fait aux États-Unis. Mais ils ont aussi obtenu les politiques de chacun des départements, de chacune des agences, et ils ont regardé quelle était leur approche. Est-ce qu’il faut passer par un agent de communication? Comment cette politique est-elle appliquée? Est-ce que les journalistes sont envoyés automatiquement? Combien de temps ça prend en moyenne? Ensuite, ils ont fait des recommandations au gouvernement : voici ce qu’on aimerait voir appliqué, voici ce que vous faites de bien, voici ce que vous faites de mal. Au Canada aussi, ça nous prend de la documentation. En attendant, il faut sensibiliser le public, et encourager les chercheurs à se positionner et à oser en parler d'avantage.


  • Charlotte Biron
    Stagiaire en journalisme scientifique

    Actuellement étudiante de baccalauréat en littératures de langue française, Charlotte Biron a écrit pendant trois ans au Quartier Libre. Elle a complété un stage à l’étranger avec Radio-Canada à Moscou, une expérience marquante, puis a débuté en vulgarisation scientifique dans Forum, le journal institutionnel de l’Université de Montréal, en 2012. L’Acfas est une occasion en or de continuer d’écrire sur la science et de l’intéresser aux projets de chercheurs fascinants.Photographie, Mariève VautrinAprès avoir complété un baccalauréat en journalisme et un certificat en création littéraire, Mariève décide d’entreprendre des études de deuxième cycle en sociologie à l’Université de Montréal. Passionnée par les expériences issues du travail de terrain, elle s’intéresse particulièrement aux inégalités sociales, à l’exclusion et aux rapports de pouvoir entre les êtres. Aussi perçoit-elle le journalisme comme une profession riche de rencontres et de découvertes, profession lui permettant de mettre de l’avant tant sa curiosité que sa créativité.

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