Aller au contenu principal
Il y a présentement des items dans votre panier d'achat.
Virginie Angers, Ville de Montréal

Le Concours de vulgarisation de la recherche de l'Acfas célèbre cette année son 30e anniversaire. En revisitant nos archives, l'équipe de la rédaction a découvert cette photographie de la cohorte des récipiendaires de la 11e édition de ce concours, en 2003. Vingt ans plus tard, nous avons voulu prendre de leurs nouvelles, et nous leur avons demandé de nous faire part de leur parcours depuis leur participation à ce concours.

Rencontrez Virginie Angers, aujourd'hui ingénieure forestière et cheffe de section par intérim de la section biodiversité au Service des grands parcs, du Mont-Royal et des sports de la Ville de Montréal.

laureats2003
Les récipiendaires de la 11e édition du Concours de vulgarisation de la recherche de l'Acfas. De gauche à droite : Geneviève Dorion, Laetitia Davidovic, Virginie Angers, Félix Racine et Yanelia Yabar.

Découvrez les autres propositions récipiendaires du 11e Concours de vulgarisation de la recherche de l'Acfas

  • Geneviève Dorion, autour de sa proposition en médecine expérimentale « Quand la nicotine devient une alliée »
  • Laetitia Davidovic, autour de sa proposition en biologie moléculaire « Nos neurones se renouvellent tous les jours »
  • Félix Racine, autour de sa proposition en histoire « L'histoire d'un saint à tête de chien »

 


 

Déjà presque 20 ans! En 2003, je terminais ma maîtrise en j’entamais mon doctorat en écologie forestière. J’allais enfin pouvoir concentrer mes recherches sur un enjeu qui m’avait vivement interpellé lors d’un échange étudiant en Suède : le bois mort. Relativement abondant dans nos forêts, il était quasi absent des très productives forêts scandinaves, avec pour corollaire une baisse drastique des populations d’organismes qui y sont associé à un moment ou l’autre de leur cycle de vie. Le cas suédois était frappant, le thème peu abordé à cette époque au Québec et je pouvais faire un lien avec la crise du logement qui frappait les centres urbains cette année-là: des ingrédients parfaits pour un concours de vulgarisation.

VirginieAngers
À gauche : Virginie Angers en 2003, à la fin de sa maîtrise en écologie forestière (UQÀM) / À droite : Virginie Angers en 2022, ingénieure forestière pour la Ville de Montréal.

À l’époque, ma motivation était évidemment l’envie de faire connaître un sujet qui me passionnait, mais aussi le simple plaisir de partager cette situation méconnue. En plus du petit velours de voir mes mots publiés dans La Presse, la validation et la reconnaissance de l’Acfas m’ont apporté une grande confiance. À tel point que la vulgarisation a longtemps arrondit mes fins de mois d’étudiante graduée à travers des collaborations avec divers partenaires : institutions d’enseignement, revues spécialisées, chaire de recherche, ministères, organisme de conservation. Pour l’exercice, je suis retournée dans mes archives : près de 70 chroniques, documents et articles de vulgarisation sont nés de ces partenariats!

Si je n’ai conservé à ce jour que ma collaboration régulière au magazine Nature Sauvage pour lequel j’écris depuis ses débuts - maintenant pour le simple plaisir d’apprendre et de communiquer -, j’utilise tout de même les principes de la vulgarisation au quotidien. Ayant quitté le milieu universitaire pour le monde bien concret de la fonction publique municipale, c’est l’occasion pour moi d’exploiter les connaissances et les outils développés pendant mes études graduées pour les appliquer aux enjeux très actuels des milieux naturels en contexte urbain et les mettre au profit de mon employeur : le citoyen. Travailler pour une ville, c’est collaborer avec des collègues et des partenaires aux profils très variés : ingénieurs, urbanistes, architectes du paysage, gestionnaires, décideurs, médias, citoyens, etc. Les notions de public cible, de clarté, de message clé, de simplification sans déformation sont fondamentales dans le monde du travail. À mon avis, la communication vulgarisée devrait faire partie des cursus universitaires de tous les professionnels.

Travailler pour une ville, c’est collaborer avec des collègues et des partenaires aux profils très variés : ingénieurs, urbanistes, architectes du paysage, gestionnaires, décideurs, médias, citoyens, etc. Les notions de public cible, de clarté, de message clé, de simplification sans déformation sont fondamentales dans le monde du travail. 

Le rôle de l’Acfas en science est selon moi fondamental. Dans un monde où l’excellence en recherche passe principalement par les publications et le facteur d’impact, le concours de vulgarisation, enrichi depuis par l’admission des formats BD, audio et vidéo, et les autres concours de l’Acfas qui ont poussé depuis (Ma thèse en 180 secondes, La preuve par l’image) valorisent un aspect que je juge aussi essentiel : la percolation de la science vers le grand public. Un défi d’autant plus actuel que les sources d’information auxquelles la population est exposée sont trop souvent douteuses, quand elles ne sont pas simplement fallacieuses.

Le concours de vulgarisation de l’Acfas, ça ne change pas l’monde, sauf que…

 


 

« Une crise du logement... en forêt »

Texte lauréat de Virginie Angers, publié en 2003

Depuis quelques années dans les grandes villes du Québec, on assiste à ce qui est maintenant reconnu comme une crise du logement : un nombre d’habitations trop restreint pour arriver à desservir convenablement une population grandissante. On pourrait tout aussi bien vivre une autre sorte de crise si, pour une population stable, les logements disponibles diminuaient d’année en année. Maintenant, quittez Québec ou Montréal et imaginez-vous une crise du logement en forêt. C’est une image incongrue, mais pourtant bien d’actualité … si on sait dans quelle peau se mettre!

C’est ce qui arrive présentement au pic à dos blanc en Scandinavie. En fait, cet oiseau est maintenant sur la liste rouge des espèces menacées de plusieurs pays d’Europe. Pourquoi? Une véritable crise du logement sévit. Les vieilles forêts feuillues du sud de la Finlande et de la Suède, ainsi que celles de plusieurs pays d’Europe centrale où il habite, se raréfient. En fait, la carence ne se situe pas tant au niveau de l’ancienneté des forêts que des éléments qu’elles renferment, notamment les arbres moribonds ou morts.

Ces forêts, principalement des chênaies et des hêtraies, sont en partie composées de gros arbres matures. Les vieux feuillus ont la particularité de développer l’équivalent d’une carie dentaire avec le temps; la pourriture se développe à l’intérieur du tronc alors que la périphérie demeure solide. Ces sections internes sont évidemment plus tendres, et c’est précisément ce que recherche le pic à dos blanc quand vient le temps de se construire un abri. Les cavités excavées à même le tronc ou une grosse branche d’un vieil arbre, d’un arbre moribond ou simplement d’un arbre mort, lui permettront de s’abriter, de se reposer et surtout, d’élever sa progéniture. D’autre part, la diète de ce pic est principalement composée de larves et d’insectes qui se cachent dans l’écorce ou dans du bois mort en décomposition. Son garde-manger est lui aussi en danger!

Depuis quelques dizaines d’années, la foresterie moderne, appliquée de manière intensive et à grande échelle, a fait son apparition. Les Scandinaves sont depuis longtemps reconnus pour leur efficacité dans l’aménagement intensif des forêts et pour leurs forts rendements en matière ligneuse. En Suède par exemple, 95% des forêts sont utilisées à des fins commerciales. Mais cette renommés se paie d’un lourd tribut en termes de perte d’habitats et de biodiversité. Les vieilles forêts feuillues ont souvent été coupées et replantées en conifères. Entre 1950 et 1990, elles ont été réduites à 80% en Finlande, et pendant la même période, les populations de pic à dos blanc ont chuté de 90%! Qui plus est, les quelques forêts feuillues résiduelles ont été aménagées. La productivité constituant le principal objectif, le grand ménage des vieilles forêts s’est traduit par l’élimination des arbres en mauvaise santé ou de piètre qualité, ces tiges étant souvent celles qui présentent les plus faibles croissances et le moins fort potentiel pour la transformation. On n’a conservé et favorisé que les arbres les plus vigoureux, ayant un potentiel économique élevé, mais présentant malheureusement un bien faible potentiel « locatif ».

Le cas du pic à dos blanc n’est pas unique. En fait, la plupart des espèces menacées ou disparues en Suède, qu’elles soient animales ou végétales, sont liées aux forêts feuillues. Évidemment, un exemple tiré de la Scandinavie peut nous paraître bien éloigné de nous et de nos préoccupations. Mais à notre façon, nous avons le même genre de problèmes.

Il faut comprendre que dans plusieurs systèmes dont l’organisation est complexe, des changements parfois mineurs ont des conséquences souvent imprévisibles du fait de la quantité d’éléments et d’interactions impliqués. À la suite de l’aménagement intensif des forêts scandinaves, non seulement la matière première nécessaire à la construction de logements est raréfiée, mais pour de nombreuses espèces, la main d’œuvre l’est aussi!

Pensez simplement aux pics : par leur rôle d’excavateurs, ils deviennent des espèces-clés, dont le rôle est crucial puisque d’autres espèces ont besoin de leurs cavités abandonnées pour s’abriter et se reproduire. Imaginez si nos travailleurs de la construction disparaissaient : sans eux, à moyen terme du moins, la vie de la plupart d’entre nous serait misérable!

Au Québec, certains de nos plus beaux oiseaux figurent parmi les utilisateurs secondaires de cavités. Le si bien nommé canard branchu par exemple, y construit son nid. Un canard dans un arbre? Étonnant! Sans cavités construites par les pics, les abris disponibles pour les becs-scies couronnés, les petits-ducs maculés, les crécerelles d’Amérique, les écureuils, les abeilles et tout le cortège des utilisateurs secondaires se feraient par conséquent plus rares. En nature, non seulement la récupération et le recyclage sont poussés à leur maximum, mais ils sont essentiels à la survie d’une kyrielle d’organismes.

Sans cavités construites par les pics, les abris disponibles pour les becs-scies couronnés, les petits-ducs maculés, les crécerelles d’Amérique, les écureuils, les abeilles et tout le cortège des utilisateurs secondaires se feraient par conséquent plus rares. En nature, non seulement la récupération et le recyclage sont poussés à leur maximum, mais ils sont essentiels à la survie d’une kyrielle d’organismes.

Mais l’effet de la raréfaction du bois mort ne se fait pas sentir qu’au niveau des espèces qui nichent dans les cavités. Si la plupart des espèces menacées en Suède sont associées aux forêts feuillues, plus du quart de ces espèces requièrent des vieux arbres ou des débris ligneux au sol. En éliminant les arbres peu vigoureux ou de mauvaise qualité, on diminue les probabilités de mortalité. Donc, moins d’arbres moribonds, moins d’arbres morts sur pied, aussi appelés chicots. Et s’il n’y a pas de chicots, il n’y a pas non plus de débris ligneux au sol! Des centaines d’espèces se retrouvent ainsi sans abri.

Des invertébrés qui s’en nourrissent à l’ours qui se fait une collation des fourmis qui y vivent, en passant par les salamandres qui y pondent leurs œufs, les mousses et les lichens qui s’y développent, les écureuils qui y cachent leurs glands et les chauves-souris qui y roupillent, le bois mort sous toutes ses formes joue à la fois le rôle de buffet, de cachette, de berceau, d’auberge, ou de terreau nécessaire à la survie d’une multitude d’espèces. On estime, par exemple, qu’au moins 25% des espèces de vertébrés forestiers utilisent une forme de bois mort au cours de leur cycle de vie.

De notre côté de l’Atlantique, le rôle du bois mort reste le même, mais la situation est cependant moins dramatique. Notre aménagement est beaucoup moins intensif, notre historique de récolte plus récent, et le territoire occupé par les forêts feuillues plus étendu qu’en Scandinavie. Comme les forêts feuillues du sud du Québec ont un lourd passé « d’écrémage » (ce sont surtout les arbres de fort diamètre, de qualité et d’espèces commercialement intéressantes qui ont été récoltés par le passé), les gros arbres de faible qualité sont encore légion, et on est encore loin des parfaites chênaies scandinaves… du moins pour l’instant.

Dans presque toutes les forêts publiques feuillues du Québec, on utilise depuis quelques années une méthode de récolte appelée « jardinage », qui consiste à couper périodiquement environ 25% des arbres, en priorité ceux de faible qualité ou peu vigoureux. Déjà, on observe que la densité d’arbres creux ou présentant des cavités naturelles est moins forte dans les forêts jardinées que dans celles qui n’ont jamais été exploitées. Évidemment, à l’échelle de la province, le cortège faunique et floristique rattaché au bois mort n’est pas menacé à court terme, mais l’accumulation graduelle d’effets apparemment mineurs mais répétés peut s’avérer sournoise.

[...] à l’échelle de la province, le cortège faunique et floristique rattaché au bois mort n’est pas menacé à court terme, mais l’accumulation graduelle d’effets apparemment mineurs mais répétés peut s’avérer sournoise.

Notre compréhension des écosystèmes et des liens complexes entre les éléments les constituant est encore trop partielle pour anticiper les conséquences de nos actions. Les Scandinaves l’ont appris à leurs dépens et en sont maintenant réduits à tenter de réparer les pots cassés en testant des méthodes pour tuer des arbres en santé dans l’espoir qu’ils soient colonisés par des espèces menacées utilisatrices de bois mort. La solution ne passe évidemment pas par l’arrêt de toute activité d’exploitation sous prétexte que nos connaissances sont insuffisantes, mais les lacunes dans le savoir actuel nous obligent à demeurer prudents. Dans son dernier rapport, la vérificatrice générale du Québec a d’ailleurs critiqué la gestion trop mal documentée de nos forêts. Sans nécessairement tout remettre en question, on doit être conscient de la tendance actuelle, et s’inspirer des erreurs des autres afin d’adapter les pratiques déjà existantes et ainsi éviter de s’engager sur une voie qu’on sait glissante.

Vous verrez peut-être maintenant d’un autre œil le gros érable pourri et chambranlant que vous prévoyiez couper pour en faire du bois de chauffage, et vous y penserez peut-être à deux fois avant de « nettoyer » le sous-bois de tout ce bois mort « inutile »… Du moins, laissez-en un peu pour les locataires!


  • Virginie Angers
    Ville de Montréal

    Ingénieure forestière de formation (BSc en Aménagement et environnement forestier, ULaval 2001), Virginie Angers a ensuite travaillé à l’Office national des forêts (France, 2001) pour après entreprendre une maîtrise (Biologie, UQAM 2004) puis un doctorat (Biologie, UQAM 2010). Ses études graduées ont porté sur l’impact de l'aménagement forestier sur la structure et la composition des forêts feuillues par rapport à celles qui n’ont peu ou pas été exploitées ainsi que sur la dynamique du bois mort en forêt boréale. Virginie a ensuite travaillé comme professionnelle de recherche au Centre d’études de la forêt (2011-2016) puis a fait le saut vers la forêt urbaine à titre d’ingénieure forestière au Service des grands parcs, du Mont-Royal et des sports de la Ville de Montréal (2016-). Elle y occupe actuellement le poste de cheffe de section par intérim de la section biodiversité. Elle est également collaboratrice régulière au magazine Nature Sauvage.

Vous aimez cet article?

Soutenez l’importance de la recherche en devenant membre de l’Acfas.

Devenir membre Logo de l'Acfas stylisé

Commentaires


Articles suggérés

Logo de l'Acfas stylisé

Infolettre