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Geneviève Dorion, Fonds de recherche du Québec

Le Concours de vulgarisation de la recherche de l'Acfas célèbre cette année son 30e anniversaire. En revisitant nos archives, l'équipe de la rédaction a découvert cette photographie de la cohorte des récipiendaires de la 11e édition de ce concours, en 2003. Vingt ans plus tard, nous avons voulu prendre de leurs nouvelles, et nous leur avons demandé de nous faire part de leur parcours depuis leur participation à ce concours.

Découvrez l'engouement pour la vulgarisation scientifique de Geneviève Dorion, coordonnatrice à la gestion des programmes aux Fonds de recherche du Québec.

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Les récipiendaires de la 11e édition du Concours de vulgarisation de la recherche de l'Acfas. De gauche à droite : Geneviève Dorion, Laetitia Davidovic, Virginie Angers, Félix Racine et Yanelia Yabar.

Découvrez les autres propositions récipiendaires du 11e Concours de vulgarisation de la recherche de l'Acfas

  • Laetitia Davidovic, autour de sa proposition en biologie moléculaire « Nos neurones se renouvellent tous les jours »
  • Virginie Angers, autour de sa proposition en écologie forestière « Une crise du logement... en forêt »
  • Félix Racine, autour de sa proposition en histoire « L'histoire d'un saint à tête de chien »

 


 

En 2003, j’étais étudiante à la maîtrise en médecine expérimentale dans le laboratoire du Dr. Yvon Cormier à l’Université Laval. Je travaillais sur les maladies inflammatoires pulmonaires. Au-delà de l’intérêt que suscitait chez moi mon sujet de recherche, ce que j’aimais par-dessus tout, c’était d’inventer des expériences pour infirmer ou confirmer mes hypothèses. L’aspect créatif de cette opération me plaisait énormément et j’adorais analyser les résultats de mes expériences. Malgré cela, mon cœur balançait entre science et communication scientifique.

En effet, depuis toute petite, j’aimais la vulgarisation scientifique; qu’il s’agisse de soirées à l’amphithéâtre dans des parcs fédéraux ou de ma revue Hibou, que je lisais religieusement aussitôt récupérée de la boîte aux lettres. Je voulais faire cela pour gagner ma vie. J’avais d’ailleurs complété un certificat de journalisme avec l’idée de faire de la vulgarisation scientifique en dilettante. Je faisais entre autres de la vulgarisation scientifique à la radio communautaire, dans une émission appelée Futur Simple.

GenevieveDorion
À gauche : Geneviève Dorion en 2003, alors étudiante à la maîtrise en médecine expérimentale (Université Laval) / À droite : Geneviève Dorion en 2022, coordonnatrice à la gestion des programmes aux Fonds de recherche du Québec - Santé.

C’est pourquoi, lorsque j’ai appris l’existence du concours de vulgarisation scientifique de l’Acfas, j’ai tout de suite eu envie d’y participer. Pas pour le gagner, mais simplement pour m’amuser. D’autant plus que j’avais un sujet en or : la nicotine pour soigner l’asthme? Inusité! C’est avec beaucoup de fierté que j’ai accepté ce prix, quelques mois après avoir pondu mon texte.

Je ne saurais affirmer avec certitude que ce prix a incité des employeurs à m’embaucher, mais j’ai fini par dénicher plusieurs contrats de rédaction de livres à saveur scientifique, que j’effectuais en parallèle de ma maîtrise et de mon travail d’assistante de recherche. J’ai ensuite complètement bifurqué vers l’édition scolaire, où j’ai œuvré pendant quelques années à titre de chargée de projets ou d’éditrice, toujours majoritairement en science. En travaillant sur une variété de sujets s’adressant à des lecteurs et lectrices de tous âges, j’ai peaufiné mes qualités de communicatrice tout en continuant d’apprendre, ce que je considère comme un privilège.

En travaillant sur une variété de sujets s’adressant à des lecteurs et lectrices de tous âges, j’ai peaufiné mes qualités de communicatrice tout en continuant d’apprendre, ce que je considère comme un privilège.

Vingt ans après avoir reçu ce prix, je suis de retour en recherche, mais dans l’envers du décor, en administration de la recherche. J’ai en effet la chance de travailler comme coordonnatrice aux Fonds de recherche du Québec. C’est un travail que j’adore, dans une organisation ayant une mission avec laquelle je suis en phase. La vulgarisation scientifique occupe une moins grande place dans ma vie de tous les jours, bien que je la considère plus importante que jamais en cette ère de désinformation. Je suis toutefois heureuse de constater que les chercheuses et les chercheurs sont de plus en plus souvent invité·e·s, voire incité·e·s, par différentes instances, dont l’organisation pour laquelle je travaille, à sortir de leurs laboratoires pour vulgariser leurs résultats de recherche. À mon humble avis, cette démocratisation du savoir ne peut qu’avoir du bon sur notre société.

 


 

« Quand la nicotine devient une alliée »

Texte lauréat de Geneviève Dorion, publié en 2003

Xia, en pleine crise d’asthme, est dans un état de panique avancé. Elle a toute la difficulté du monde à faire entrer l’air dans ses poumons et c’est avec des yeux affolés qu’elle regarde l’Ahmen (celui qui sait) rouler soigneusement les feuilles de tabac. Elle sait très bien que la première bouffée de cette cigarette sera comme un souffle de vie. Ce remède, dont seul son guérisseur a le secret, l’a déjà sauvée plus d’une fois. À cet instant précis, Xia ne peut imaginer que cette plante aujourd’hui magique, deviendra maudite dans quelques milliers d’années.

Gageons que vous non plus ne pouvez croire qu’il y a plusieurs milliers d’années, les Mayas utilisaient le tabac pour calmer les crises d’asthme. C’est pourtant toujours accompagnés de leurs blagues à tabac que se baladaient les sages femmes et les médecins de l’époque précolombienne. Car les feuilles de tabac, en plus de redonner le souffle, étaient utilisées pour calmer tout un éventail de maux, allant de la simple migraine jusqu’aux problèmes intestinaux. Elles étaient aussi fumées à des fins magico-religieuses, afin de chasser les mauvais esprits.

Le tabac restera un secret bien gardé en Amérique jusqu’à ce que les colons y débarquent au tournant du 16ième siècle. C’est Jean Nicot, qui, vers 1560, a véritablement donné ses lettres de noblesse à la plante, alors qu’il était ambassadeur de France au Portugal. Il envoya à la reine Catherine de Médicis des herbes aux vertus soi-disant miraculeuses qu’il avait reçues d’un marchand fraîchement débarqué des Amériques, dans l’espoir de soigner ses migraines. L’histoire ne dit pas si les migraines royales furent guéries, mais à partir de ce moment, le tabac se répandit comme une traînée de poudre dans toute la France sous le nom d’Herbe-à-la-Reine, ainsi que dans tout le reste de l’Europe. Ce n’est que plus tard que Jean Nicot honora la plante de son nom en l’appelant : Nicotiana. C’est d’ailleurs ce même nom qui inspira Vauquelin lorsqu’en 1809, il isola le principe actif présent dans le tabac et l’appela : nicotine.

Aujourd’hui associée au tabagisme et à ses nombreux effets pervers, la nicotine a bien mauvaise réputation! Et pour cause : l’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que le tabac est actuellement responsable de trois millions de morts par an et que ce chiffre pourrait grimper jusqu’à 10 millions en 2025.

Or, la nicotine pourrait bien regagner un peu de lustre au cours des prochaines années. La médecine expérimentale lui redécouvre, en effet, des vertus que la société occidentale avait oubliées depuis longtemps.

Une maladie que les fumeurs n’attrapent pas

C’est à la fin des années soixante-dix que la première étude épidémiologique démontrant un effet protecteur du tabagisme a été publiée. Dans cette étude, on comparait l’incidence de l’alvéolite allergique extrinsèque (AAE), une maladie pulmonaire, chez des populations de fumeurs et de non-fumeurs. Étonnamment, les fumeurs semblaient protégés de cette maladie.

Mais qu’est-ce donc que l’AAE? Comme son nom le laisse supposer, l’AAE est en fait une réaction allergique à des poussières d’origine animale ou végétale en suspension dans l’air. Ces particules peuvent être des moisissures qui proviennent du foin qu’utilisent les fermiers ou encore des tourbières. Les éleveurs d’oiseaux et les gens qui utilisent un humidificateur risquent aussi de développer l’alvéolite. Il existe donc plusieurs types d’alvéolite : le poumon du fermier, la maladie des climatiseurs, la maladie des éleveurs d’oiseaux en sont autant d’exemples. Toutes ont un point commun : elles s’attaquent préférablement aux non-fumeurs.

Intrigués par ce constat, les médecins et chercheurs se sont mis à fouiller le dossier plus en profondeur. Une des études effectuée consistait à faire respirer à un groupe de fumeurs et de non-fumeurs, un extrait d’eau d’humidificateur en aérosol. L’humidificateur étant un milieu constamment humide et plutôt hermétique, il offre toutes les «conditions gagnantes» pour que les moisissures s’y installent. Les volontaires qui ont respiré cet extrait devaient donc se défendre contre les moisissures en formant des anticorps contre celles-ci. Or, les résultats ont révélé que les fumeurs produisaient beaucoup moins d’anticorps que les non-fumeurs. D’autres résultats se sont ajoutés par la suite, appuyant tous l’hypothèse d’un effet suppresseur du tabac sur le système immunitaire. En d’autres mots, les gens qui fument sont moins aptes à se défendre contre les milliers de micro-organismes et de substances pathogènes auxquels ils sont exposés chaque jour. Mais par un curieux retour des choses, c’est précisément cette défaillance de leur système immunitaire qui finit par les protéger contre l’alvéolite allergique intrinsèque.

En d’autres mots, les gens qui fument sont moins aptes à se défendre contre les milliers de micro-organismes et de substances pathogènes auxquels ils sont exposés chaque jour. Mais par un curieux retour des choses, c’est précisément cette défaillance de leur système immunitaire qui finit par les protéger contre l’alvéolite allergique intrinsèque.

Comment cela se peut-il? Et quel agent, parmi les quelques 4000 produits retrouvés dans la cigarette, est responsable de l’effet observé? Commençons par évoquer les problèmes liés à la nicotine, avant de parler de son surprenant aspect positif qui peut faire échec à l’AAE.

Plusieurs travaux effectués récemment semblent démontrer que la nicotine, comme d’autres molécules de sa famille, aurait bel et bien un effet immunosuppresseur. Il faut dire que cette substance, mieux connue comme étant l’agent causant la dépendance à la cigarette, est sous observation depuis fort longtemps.

Un envahisseur nommé nicotine

La raison pour laquelle les fumeurs sont accrocs à la nicotine est bien simple : sa petite taille lui permet de se faufiler à travers la barrière hématoencéphalique. Cette barrière a pour fonction de protéger le cerveau, afin qu’aucun corps étranger n’y pénètre. Or, la nicotine y parvient très bien et trouve de l’autre côté, des récepteurs auxquels elle se fixe spontanément. Le récepteur de la nicotine s’appelle le récepteur nicotinique et a une forme et une structure qui sont complémentaires à la nicotine. Comme tous les récepteurs, il se trouve à la surface des cellules et attend que sa molécule complémentaire vienne se poser sur lui, un peu comme une clé et une serrure. Lorsque la clé entre dans la serrure, elle envoie un message à la cellule. C’est exactement ce qui se passe lorsque l’on prend une bouffée de cigarette.

En fait, la nicotine envoie aux cellules du cerveau l’ordre de produire de la dopamine, une molécule associée au plaisir. Mais elle envoie aussi bien d’autres messages qui ont été le sujet de nombreuses études. Ainsi, on a pu découvrir au fil des ans que le récepteur nicotinique était impliqué dans de nombreuses pathologies neurologiques, comme l’Alzheimer ou le Parkinson. Cependant, la nicotine n’est pas le ligand naturel du récepteur nicotinique. Dans le corps humain, ainsi que dans tous les organismes vivants qui possèdent le récepteur nicotinique, le ligand naturel est l’acétylcholine. En fait, à l’origine, la nicotine est une molécule que le plant de tabac aurait développé afin de se protéger contre certains insectes.

Jusqu’ici, presque toutes les recherches ont donc été effectuées sur les récepteurs nicotiniques du système nerveux. Ce n’est que récemment qu’un nouveau monde s’est ouvert à la recherche sur la nicotine. On sait maintenant que les récepteurs nicotiniques se trouvent sur la plupart des cellules du corps et non pas seulement sur les cellules neuronales. Ils se retrouvent aussi sur des cellules du système immunitaire comme les macrophages ou les lymphocytes. Ces cellules sont chargées d’identifier les éléments pathogènes dans le corps et de les éliminer. Soit en les mangeant, soit en envoyant des signaux d’alarmes à d’autres cellules de défense. Cependant, les récepteurs nicotiniques que l’on retrouve à leur surface sont légèrement différents selon qu’ils sont situés sur un type de cellule ou un autre. La nicotine ou l’acétylcholine peuvent toujours s’y fixer, mais le message est différent de celui envoyé dans le cerveau. Au lieu d’envoyer un message de plaisir via la dopamine, la nicotine envoie un signal qui empêche les cellules de défense de fonctionner normalement en cas d’agression.

Voilà ce qui protège de l’AAE les fermiers qui fument, tout comme les travailleurs de tourbières ou les éleveurs d’oiseaux amateurs de tabac. La nicotine vient amoindrir les réactions de leur système immunitaire qui, autrement, réagirait de façon outrancière contre les poussières et les moisissures. Les patients qui souffrent d’AAE, tout comme ceux qui souffrent d’allergies plus communes, sont en fait victimes de leur propre système immunitaire trop zélé. C’est pourquoi l’idée d’utiliser la nicotine comme suppresseur du système immunitaire, dans ce cas, refait tranquillement surface.

C’est du moins là-dessus que planche l’équipe de recherche du Docteur Yvon Cormier, pneumologue-chercheur à l’Hôpital Laval. Cependant, leurs travaux portent sur une molécule apparentée à la nicotine, mais qui ne traverse pas la barrière hématoencéphalique. Jusqu’à maintenant, cette molécule a entre autres prouvé son efficacité chez des souris asthmatiques. C’est une histoire à suivre! Et je vous laisse sur une citation du Dr. Cormier, qui un jour a dit : « Sans la nicotine, les fumeurs ne pourraient même pas fumer! »


  • Geneviève Dorion
    Fonds de recherche du Québec

    Originaire de la région de Québec, Geneviève Dorion a étudié à l’Université Laval où elle a complété un baccalauréat en biologie, un certificat en journalisme et une maîtrise en médecine expérimentale. Elle a travaillé en recherche à l’Université Laval et à l’Université McGill, puis, comme rédactrice, chargée de projet et éditrice pour diverses maisons d’édition. Elle travaille maintenant pour les Fonds de recherche du Québec – Santé comme coordonnatrice à la gestion des programmes.

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